Julian Alaphilippe, la fin des années Quick-Step : retour sur une décennie où le coureur a tout connu dans l'équipe belge
De l’équipe de son premier contrat pro, en 2014, il n’en reste plus qu’un, le Belge Pieter Serry. La structure s’appelait alors Omega Pharma - Quick-Step et abritait certains des plus grands noms du peloton. Tom Boonen, Alessandro Petacchi ou Mark Cavendish. Le Britannique fut d’ailleurs le compagnon de chambre de Julian Alaphilippe, lorsque le natif de Saint-Amand remporta sa première victoire professionnelle sur le Tour de l’Ain, le 16 août de cette année-là.
Aujourd’hui, ce sont les jeunes Antoine Huby et Paul Magnier qui partagent avec bonheur et curiosité la chambrée du grand Alaphilippe. Ils se souviendront, dans une décennie, que c’est à ses côtés qu’ils ont commencé.
Une relation filiale puis toxique avec son managerObserver l’instant présent consiste donc à se focaliser sur le transfert de “Loulou” vers Tudor, à se rappeler que ses trois dernières saisons avec l’équipe belge ont été rudes, aussi bien moralement que physiquement. Le présent, toujours, convoque cette relation tumultueuse entretenue avec Patrick Lefevere, le manager de l’équipe. Relation filiale puis toxique dont on ne mesure sans doute pas suffisamment l’influence sur la panne de résultats et de confiance traversée par Alaphilippe ces derniers mois.
Le double champion du monde était invité à se battre pour une équipe dont le patron critiquait parfois son mode de vie, parfois sa famille, parfois ses performances et souvent tout en même temps. Alors que la seule chose qu’il avait à lui reprocher véritablement demeurait le contrat à sept chiffres qu’il avait lui-même signé.
À la fin, les deux camps semblaient être redevenus bons amis, mais ces bisbilles ont pollué ce qui a longtemps ressemblé à un conte de fées franco-belge débuté en 2012 et dont Patrick Lefevere nous avait raconté les prémices. « Un ancien soigneur, Johan Moly, est venu me voir et m’a dit “il y a un petit Français qui est intéressant. Il sort d’une année difficile à cause d’une blessure à un genou, mais il a été deuxième des Mondiaux juniors de cyclo-cross. D’ailleurs, il aurait dû gagner, il a fait une bêtise dans le sprint.” À partir de là, j’ai commencé à le suivre et un jour, je l’ai invité chez moi, à Wevelgem, et je l’ai tout de suite fait signer dans notre équipe développement. Au départ, l’idée était qu’il y passe deux ans, mais on a très vite repéré son talent et on l’a engagé dans l’équipe pro. »
Si un entraîneur de l’équipe est alors proposé à l’ancien coureur de l’armée de terre, l’expérience ne fait pas long feu. Une semaine tout au plus. Le temps pour Julian de constater qu’il ne veut pas quitter Franck Alaphilippe, son cousin qui le coache depuis les cadets et qui le comprend mieux que les autres. Quick-Step fut donc aussi cette équipe qui lui a permis, des années durant, d’être entraîné par un homme extérieur à la structure, ce que beaucoup d’écuries du peloton World Tour ne tolèrent pas.
La recette a si bien marché avec les deux Alaphilippe que Franck est devenu, entre 2020 et 2023, l’un des entraîneurs officiels de l’équipe de son jeune cousin, ce puncheur dont on a longtemps peiné à deviner les limites.
Si les performances inqualifiables de Tadej Pogacar en 2024 nous conduisent parfois à oublier le vélo d’hier, il ne faudra jamais sous-estimer ce qu’a réalisé Julian Alaphilippe avant de redevenir un humain au milieu des ogres. Révélé au grand public sur les classiques ardennaises en 2015 avec deux places de deux sur la Flèche wallonne et Liège-Bastogne-Liège, le joyeux drille a mis trois ans avant de confirmer tous les espoirs placés en lui.
L’unanimité autour de luiEn 2018, il remporte la Flèche wallonne, sa première grande classique, puis rafle deux étapes et le maillot à pois du Tour. L’année suivante, plus fort encore, il décroche Milan - San Remo, son premier Monument, quelques semaines après les Strade Bianche et quelques mois avant un chef-d’œuvre estival sur le Tour de France. Deux nouvelles étapes et quatorze jours en jaune traversés en funambule sur le fil d’un destin à la Bernard Hinault.
Si Egan Bernal le délogea de la tête de la course à 48 heures des Champs-Élysées, Julian Alaphilippe remporta cet été-là une place de choix dans le cœur des Français. L’autocar de l’équipe Deceuninck - Quick-Step fut le plus acclamé au bord des routes, avec tous ces petits lionceaux en peluche sur le tableau de bord.
Quelques victoires de prestige et deux titres de champion du monde plus tard, « Loulou » n’a jamais critiqué publiquement l’équipe avec laquelle il a tout connu.
Et si les relations avec son boss ont emprunté une courbe sinusoïdale, celles avec le reste de l’équipe n’ont jamais varié de cap. De Dries Devenyns, coéquipier et ami qui a refusé de porter le maillot belge pour ne jamais rouler contre lui, à Davide Bramati, fantasque directeur sportif et compagnon de galéjades, en passant par Remco Evenepoel, successeur omnipotent qui le réclame à ses côtés sur le Tour, Alaphilippe n’a cessé de faire l’unanimité autour de lui au sein de cette équipe qu’il aurait pu ne jamais quitter.
À l’hiver 2022, on avait demandé à Patrick Lefevere s’il imaginait Julian, alors double champion du monde en titre, terminer sa carrière avec Quick-Step. Sa réponse disait à la fois tout de leur relation du moment et de sa connaissance du milieu. « C’est un souhait, oui. Mais on ne sait jamais ce que la vie nous réserve. Je pense que lui et moi on est heureux ensemble aujourd’hui, mais c’est comme dans un mariage, un jour les chemins peuvent se séparer. »
Antonin Bisson