Kamel Daoud, prix Goncourt 2024 : "La France est un pays qui donne la liberté d'écrire"
Il y a dix ans tout juste, Kamel Daoud était passé tout près de la récompense suprême. À Meursault contre-attaque (Actes Sud), l’Académie Goncourt avait préféré Pas pleurer, de l’académicienne Lydie Salvayre (Seuil). Il avait pu se consoler avec le Goncourt du Premier roman et celui des Lycéens.
Cette fois, pas de mauvaise surprise. Favori des pronostics, l’écrivain franco-algérien a été plébiscité par les jurés du Prix Goncourt lundi 4 novembre, lors de leurs ultimes délibérations chez Drouant, à Paris. Dès le premier tour de scrutin, par six voix pour contre deux à Hélène Gaudy et une, respectivement, à Sandrine Collette et Gaël Faye, Kamel Daoud l’a emporté avec son roman Houris. Offrant ainsi à Gallimard le Prix qui lui avait échappé ces deux dernières années.
Un roman de libertéUne récompense que l’écrivain, naturalisé français en 2023, a reçue avec une émotion vibrante et, comme toujours avec lui, engagée. « C’est un livre que chaque Algérien peut raconter, un livre que nous avons tous vécu et qui peut donner du sens à ce qu’on vit dans ce pays-là. Il est né, parce que je suis venu en France ; parce que c’est un pays qui donne la liberté d’écrire. […] On a besoin de trois choses pour écrire : une table, une chaise et un pays ; j’ai les trois. »
D’une écriture à la fois exigeante et poétique, introspection d’une profondeur et d’une acuité rare et road-trip mémoriel à rebondissements, Houris est un roman qui se lit avec une forme de recueillement, mêlé d’admiration pour son aboutissement purement formel. Recueillement, parce qu’il évoque la Décennie noire - la guerre civile qui opposa, de 1992 à 2002, le pouvoir algérien aux islamistes - et les centaines de milliers de morts qu’elle engendra. Des années que Kamel Daoud a documentées lorsqu’il était journaliste au Quotidien d’Oran.
Un roman de reconstructionAube, son sourire tailladé sur le visage, l’héroïne de Kamel Daoud, est l’une des victimes de cette Décennie noire. Enfant, elle a été égorgée, toute sa famille a été massacrée. Devenue adulte, sans voix et sans espoir de paix, elle part en quête de son passé.
— kamel DAOUD (@daoud_kamel) November 4, 2024
À la fille qu’elle porte dans son ventre, elle raconte, trouvant les mots cruels et doux pour dire la perte, la tragédie, le silence, la peur, l’invisibilité. De sa rencontre avec un chauffeur-libraire, qui de cette guerre connaît chaque date, chaque drame, naît un dialogue illuminé qui la mènera jusqu’au village où tout advint.
Un cheminement épique, un récit puissant ; un « livre de résurrection, d’espoir », selon son auteur. La preuve que « l’on peut se reconstruire, s’accepter soi-même. Un mot inévitable ; résilience. »Houris est interdit de publication en Algérie, et qui vaut (sans doute) à Gallimard d’être refusé au Salon international du livre d’Alger, du 6 au 16 novembre. Un hommage magnifique « aux années qui m’ont été volées », a encore lancé, hier, Kamel Daoud.
Houris, de Kamel Daoud (Gallimard) ; 416 pages, 23 €. L’auteur sera présent sur la Foire du livre de Brive (Corrèze) samedi 8 novembre après-midi et dimanche 10 novembre toute la journée.
Jacaranda
Autre prix littéraire, autres violences. Lundi 4 novembre, toujours en direct du restaurant Drouant, à Paris, le Prix Renaudot a été attribué à Gaël Faye pour Jacaranda (Grasset, 282 pages, 20,50 €).
Évocation, à trente ans de distance, du génocide des Tutsis au Rwanda, ce roman, à l’écriture volontairement simple et, à certains égards, enfantine, n’est pas la suite de son premier opus, Petit Pays (Grasset), qui a valu à son auteur, entre autres, le Goncourt des lycéens en 2016.
Dans les pas de son jeune héros, dont la mère ne dit rien du génocide qui frappe sa famille, l’écrivain franco-rwandais revient sur les lieux du drame, en croise les protagonistes, en découvrant le lent engrenage et les sourds retentissements, jusqu’à ce que s’ouvre la voie de la réconciliation nationale.
Un roman d’apprentissage aux vertus pédagogiques.
Blandine Hutin-Mercier