Dans un foyer berlinois, les exilés du monde entier ont remplacé ceux de la Guerre froide
A Marienfelde, une banlieue sans charme du sud de la capitale allemande, un authentique morceau du Mur annonce une cité à l'allure désuète.
L'accès n'a pas changé depuis la Guerre froide. Les nouveaux venus traversent toujours le sas d'entrée "avec toutes leurs valises et ce qu'ils ont pu emporter", décrit Olivija Music, la directrice de la "résidence de transit".
A l'intérieur, entourés d'arbres et d'aires de jeux, une dizaine de blocs et quelque 200 appartements vétustes.
Layan Al Jazzar ne quitte le sien que pour se rendre à l'école, dit-elle à l'AFP.
"J'ai peur de sortir seule", explique cette jeune Syrienne de 22 ans, qui partage un modeste deux-pièces avec sa soeur Lara, 26 ans, et leur mère Amina, 57 ans.
Quand les trois femmes sont arrivées de Jordanie l'hiver dernier, "nous pleurions tout le temps parce que nous ne pouvions pas parler la langue, et ne connaissions personne", dit-elle.
Comme elles, environ 700 personnes vivent aujourd'hui dans cette cité construite en 1953 pour accueillir les Allemands de l'Est fuyant un régime communiste de plus en plus répressif.
Jusqu'au 9 novembre 1989, date de la chute du Mur de Berlin, plus de 1,35 million d'entre eux ont transité par ce "camp d'urgence" situé dans la partie ouest de la capitale.
Après la réunification, ce fut au tour des ressortissants d'Europe de l'Est aux lointaines origines allemandes.
Le flux s'est tari progressivement mais en 2010, le centre a rouvert pour accueillir des réfugiés irakiens.
D'un exil à l'autre
L'histoire du lieu n'est désormais plus "seulement liée à la migration germano-allemande, mais aussi à une migration très diversifiée", souligne Bettina Effner, directrice du musée installé dans un bâtiment mitoyen du complexe.
Le lieu évoque les exilés de la Guerre froide et ceux d'aujourd'hui, ce qui le rend "très particulier, pas seulement historique", estime-t-elle.
Des visites sont aussi régulièrement organisées pour faire découvrir aux nouveaux arrivants l'histoire des réfugiés allemands qui les ont précédés.
Ce parallèle n'est pas anodin, dans le contexte de poussée de l'extrême droite en Allemagne.
Le musée de Marienfelde veut "ouvrir des espaces de discussion" et "montrer ce que cela signifie, pour les gens, de partir,(...) dans quel genre de société ils entrent, quel genre de société ils veulent", explique Bettina Effner.
Le brûlant dossier migratoire occupe depuis des mois le gouvernement allemand, qui a réintroduit des contrôles aux frontières.
Et ainsi tourné la page généreuse de 2015-2016, quand plus d'un million de réfugiés avaient été accueillis dans le pays.
De nombreuses collectivités se plaignent aujourd'hui de ne plus avoir les ressources suffisantes pour soutenir cet effort.
A Marienfelde, les réfugiés sont financièrement pris en charge et bénéficient d'allocations. Mais les ressources "manquent de tous les côtés", affirme Olivija Music.
"Enracinés ici"
Si les résidents à Marienfelde restent en moyenne "entre cinq et sept ans", indique Olivija Music, c'est d'abord parce que trouver un logement adapté sur le marché berlinois relève du "coup de chance" pour les familles nombreuses.
Mais aussi parce qu'ils peinent à s'éloigner du cocon où ils ont pu récréer un réseau.
"Beaucoup d'enfants sont nés ici et ont grandi ici, ils sont tellement enracinés dans ce lieu. Comme les femmes, surtout les plus âgées".
La veille, elle avait suggéré l'idée d'un départ à une résidente de 75 ans, qui s'est immédiatement "effondrée".
Pour les travailleurs sociaux, accompagner des réfugiés sujets au "deuil, à la dépression, à des traumatismes" vers la sortie nécessite souvent "un, deux ans de préparation", souligne Mme Music.
Arkota Suleiman Jabonah, arrivé en juillet d'un camp du Kenya avec trois membres de sa famille, a déjà tissé des liens hors du centre, dans un club de football voisin.
"Quand on saura parler allemand et faire les choses par nous-mêmes, nous pourrons trouver un appartement quelque part", espère ce Soudanais de 26 ans.