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Afrique: le grand bond en arrière

Les derniers chiffres de la Banque Mondiale et du FMI révèlent l’état lamentable des économies africaines. Les discours « afroptimistes » dominants ces dernières années sont battus en brèche.


 « L’Afrique façonnera l’avenir de l’économie mondiale ». Cette assertion très sérieuse de la secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen n’a qu’un an d’âge, mais elle relève déjà de la croyance, du vœu pieu, de la science-fiction. Ouvert dans les années 2000 par les concerts enthousiastes des cabinets de conseil et des prophètes-économistes prédisant au continent l’émergence prochaine, le temps des « afroptimistes » est en effet révolu. En témoigne l’état de décomposition avancée et de corruption de pays comme la République démocratique du Congo du président Tshisékédi, pourtant richement doté en matières premières et en terres arables, ou encore celui des pays de l’Alliance des Etats du Sahel – des « scandales géologiques » dont les populations sont les plus miséreuses du monde.

Des lions endormis

S’il était encore possible de se figurer les pays d’Afrique subsaharienne comme des « Lions on the move » (McKinsey & Company) en 2016, c’est-à-dire deux ans après que le PIB par habitant de la région franchisse son pic historique depuis la décolonisation, les lions sont désormais rentrés dormir dans leurs tanières.

Depuis l’acmé de 2014, le PIB par habitant de l’Afrique subsaharienne a chuté de près de 15% pour atteindre un niveau équivalent à celui des années 2010, sans perspective de progrès. A contrario, au cours de la même période, le PIB mondial par habitant augmentait de près de 20%. Le fossé économique s’est ainsi transformé en abyme : en 2023 le niveau de richesse moyen de l’Afrique subsaharienne était 4711 fois inférieur à celui de l’Amérique du Nord, 2613 fois inférieur à celui de la zone euro, 690 fois inférieur à celui de l’Asie du Sud-Est et 533 fois inférieur à celui de l’Amérique latine.

Croissance appauvrissante

L’équation économique africaine démultiplie la pauvreté et cultive le sous-développement. Elle présente un aspect paradoxal, combinant des atouts apparents dont l’association produit des échecs à répétition. L’Afrique subsaharienne représente en effet le principal moteur de la croissance démographique mondiale (une naissance sur quatre, bientôt une naissance sur deux – d’ici 2050 selon l’ONU) et ses économies cumulent des taux de croissance moyens supérieurs à la moyenne mondiale depuis de longues années (une tendance qui ne devrait pas s’inverser au cours de la décennie, selon le FMI). Pourtant, cette croissance ne se traduit pas par un surcroît de prospérité. Au contraire : le modèle économique africain produit de plus en plus de pauvres, d’année en année.

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Malgré sa natalité et des taux de croissance élevés, l’Afrique subsaharienne concentre aujourd’hui la majorité des plus pauvres de la planète. Elle a suivi une trajectoire inverse à celle de l’Asie. Encore majoritairement pauvre et sous-développée il y a trente ans, l’Asie concentrait en 1990 80% des personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté international, contre 30% pour l’Afrique. Trois décennies plus tard, l’Afrique rassemble 60% des plus pauvres de la planète, alors qu’ils ne sont plus que 14% à vivre en Asie (Banque Mondiale, 2022).

Contrairement aux autres régions du monde décolonisées dans les années 1960, dont l’essor a été par la suite étouffé ou ralenti par le corset de la guerre froide, les économies africaines se sont précipitées dans une impasse tragique, que les visions enchantées des illusionnistes de l’afroptimisme ont échoué à éclairer.

Rendez-vous avec la prospérité

Au sortir de la décolonisation, les principaux centres de production et d’innovation du monde se confondaient encore avec le club des anciennes métropoles impériales et avec la puissance économique du nouveau leader mondial d’alors, les États-Unis. Trente ans après, la fin de la guerre froide a dégivré l’organisation du commerce international. Le cœur battant de l’industrie et du commerce s’est peu à peu élargi avec l’arrivée de la Chine, de l’Inde, du Vietnam, de la Corée du Sud, mais aussi du Brésil, du Mexique, de l’Indonésie… L’Afrique est la seule région du monde à être restée à l’écart de ce mouvement historique qui a propagé les méthodes et les bénéfices de l’industrialisation à l’échelle mondiale. Puis elle a manqué la marche de la révolution numérique, dont elle consomme aussi les produits sans parvenir non plus à les fabriquer.

Décolonisation, mondialisation, digitalisation : en plus d’un demi-siècle, l’Afrique a manqué trois rendez-vous avec la prospérité, ne cessant de confirmer son statut de dernier cercle concentrique de la compétition internationale. Dernière destination des capitaux, les investisseurs privés ne croient plus en son essor prochain. Contrairement aux émergents, les pays africains ne sont pas parvenus à sortir du modèle économique de comptoir de matières premières hérité de la colonisation. Ils sont restés empêtrés dans la rente primaire.

Un cul-de-sac économique

Le cul-de-sac dans lequel s’empêtre l’Afrique subsaharienne a un nom : le « piège des matières premières », une situation aussi qualifiée de « malédiction des ressources naturelles » dans la littérature économique pour décrire une économie dont le développement est entravé par une dépendance excessive à l’exportation de ses richesses naturelles.

Fondées quasi exclusivement sur l’exploitation du secteur primaire (agriculture, mines, pêche, forêts) ces économies permettent à des minuscules castes de tirer parti d’un régime qui néglige le développement de secteurs productifs reposant sur une main-d’œuvre qualifiée, capable de concevoir, d’usiner, de commercialiser et de rivaliser avec des produits étrangers.

S’engluer dans la production et l’export de ressources primaires est en effet la condition pour entretenir des économies bancales, dont la valeur des produits baisse avec le temps face à des économies dont la croissance est fondée sur des biens et services à forte intensité de connaissances, sans cesse modernisés par une main-d’œuvre formée et qualifiée ainsi que par des innovations technologiques.

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Les taux de croissance élevés que l’on peut retrouver par exemple en Libye (12,6% en 2023), ou en République Démocratique du Congo (8,4% en 2023) ne sont des atouts qu’en surface. Composés majoritairement de l’exploitation d’hydrocarbures pour l’un et de minerais, pour l’autre, ils ne traduisent que l’augmentation d’une hypertrophie, dont la valeur ajoutée est infime. Pire, cette situation d’extraversion économique constitue une source de vulnérabilité majeure, liée à la volatilité extrême des prix mondiaux des matières premières et aux fluctuations souvent brutales de la demande extérieure.

En RDC, les fruits de cette croissance à l’allure si élevée en ont fait cette année la cinquième nation la plus pauvre du monde. En 2024, 73,5% des Congolais vivent avec moins de 2,15 dollars par jour (Banque Mondiale), tandis qu’un député touche environ 21 000 dollars par mois… Advienne une chute des cours du cuivre, du cobalt ou de l’étain et la RDC se hissera à la première place du podium des nations indigentes. Quant à la Libye, parler de son expansion économique serait déjà parler trop vite. Le clan qui a vécu sur la rente pétrolière libyenne a vu son règne finir violemment à la mort de Kadhafi en 2011. Le semblant d’Etat libyen a disparu et ceux qui ont pris le relai de l’exploitation de l’or noir s’en disputent encore les miettes. Une station-service au milieu d’une guerre civile. La rente primaire n’a ni besoin d’Etat, ni de paix civile, seulement de rentiers.

Instabilité chronique

Le continent se distingue comme le plus instable du monde, emprisonné dans un piège à conflits. Les ressorts en sont certes complexes, à l’image des Grands-Lacs où les provinces orientales de la RDC sont livrées depuis des décennies au pillage des groupes armés. Sans véritable réaction du président Tsishékédi, qui préfère désigner des ennemis à gauche et à droite, plutôt que de s’attaquer aux boutefeux de la crise comme la corruption généralisée du pays et la mal-gouvernance économique et administrative : des maux rédhibitoires à toute politique économique viable. L’annonce d’une révision de la Constitution par le président qui, d’après l’opposition, lui permettrait de rester au pouvoir à vie, conforterait une caste congolaise préemptant toujours plus les ressources d’un État en faillite.

On retrouve peu ou prou ces paramètres dans le Sahel qui regroupe des paramètres liés non seulement au passif inter-ethnique, à la progression de l’islam radical et… une pauvreté endémique. Profondément corrompus, les Etats de la région y sont pour la plupart quasi-faillis et en proie aux juntes militaires prédatrices.

Dans un contexte d’insécurité accrue, de démultiplication des conflits et des coups d’État, qui freine d’autant plus toute velléité de sortie de la trappe à pauvreté, la marche vers l’émergence sera encore longue pour l’Afrique. En particulier si elle s’accompagne des prestidigitations habituelles qui ont pavé son chemin jusqu’à l’immobilisme et la décrépitude.

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