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La boîte du bouquiniste

« Paris est la seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres », dixit Blaise Cendras. Causeur peut y dénicher quelques pépites…


C’est un petit ouvrage relié en plein maroquin couleur cognac, rehaussé d’une dorure au fer. Sur la page de garde de cet exemplaire chiné près du Pont-Neuf est collée une étiquette. Les mentions imprimées sont complétées à la plume : « Pensionnat de Dourdan. 2e Prix d’Analyse logique décerné à M. Henri Billard. Élève de la classe de français 1ère division. Dourdan, le 26 août 1841. Le Directeur du pensionnat : Bals. »

Son titre complet : Les petits artisans devenus hommes célèbres ; ouvrage fait pour inspirer des sentiments d’élévation aux jeunes gens des deux sexes, même dans les classes les plus inférieures de la société. C’est le parfait exemple du livre de prix, cette récompense que l’on décernait aux élèves méritants en fin d’année – la tradition perdure, si, si, dans quelques établissements. L’auteur, qui signe ici A. Antoine (de Saint-Gervais), est aussi connu sous Antoine Antoine, Antoine de Saint-Gervais ou Antoine Antoine de Saint-Gervais… coquetterie d’écrivain ou caprices d’éditeurs avares de leurs plombs, on l’ignore. On ne sait rien de sa vie, si ce n’est qu’il est né en 1776, est mort en 1836, et que sa production éditoriale, entièrement vouée à l’élévation des jeunes esprits, a traversé les bouleversements politiques du XIXe siècle – il a été longtemps réédité. Au fil de ses ouvrages, Antoine démontre un vrai talent d’historien vulgarisateur, un brin moraliste, et dans un beau français, sobre mais imagé, simple et précis (nous sommes au XIXe !), il expose ses sujets d’étude en précepteur pédagogue. Dans sa préface, il affirme : « Oui, nous pensons que présenter à la jeunesse un livre où on lui prouve, par des exemples réels, qu’il n’est point de position malheureuse d’où l’on ne puisse se tirer, point d’état si petit d’où l’on ne puisse s’élever en travaillant, en se donnant de la peine, en cherchant tous les moyens de s’instruire et de se rendre recommandable aux yeux de ses concitoyens, nous pensons que présenter à la jeunesse un tel livre, c’est lui rendre un service éminent. » Nous sommes loin du désolant discours actuel qui se contente de pointer « l’oisiveté » de nos petits anges.

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Cette lecture désuète n’est pas fastidieuse : ce n’est pas une compilation de notices biographiques, mais une gentille mise en scène montrant un certain M. Doutremont avec ses enfants. En promenade à la campagne ou au coin du feu à la maison, il les entretient de la grande histoire. Pour cette leçon de mérite, il ressuscite 232 personnages historiques, plus ou moins connus, de l’Antiquité, des Français et des étrangers, des hommes et des femmes (on en compte 13). On apprend que, grâce à son intelligence, Olivier Le Dain, barbier de Louis XI, a été nommé ministre ; que le forgeron Kaob est devenu prince perse ; que le peintre Gainsborough est fils d’un petit marchand de draps ; que Mme de Maintenon est née dans une prison de Niort ; que Théophanie, fille d’un cabaretier, a épousé Romain II, empereur d’Orient ; que le général Roussel, tué à Ostrowno en 1812, était fils de rémouleur…

Nul doute que cette galerie de destins ne récolterait pas beaucoup de likes et de followers sur TikTok ou Instagram, « mais du moins vous aurez la satisfaction de penser que la lecture de ce livre ne peut qu’offrir un résultat bien doux à l’humanité ».


Les petits artisans devenus hommes célèbres, de A. Antoine, Paris, F. Denn, Libraire-Éditeur, 1829.

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