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La tuerie de la Sauvenière de 1909

1908 : Restaurant d’Edouard Evrard (carte postale)

Au début du 20ème siècle, le lundi 27 décembre 1909 exactement, va se dérouler au restaurant de la Sauvenière, restaurant isolé tenu par le Nivezétois Edouard Evrard, un drame atroce, un quadruple assassinat, un véritable massacre.

Un siècle plus tard, cet événement tragique reste gravé dans la mémoire des habitants de la région, à tel point que le bâtiment est toujours connu par les anciens sous le nom de « la maison du crime ».

Voici le récit de ce terrible drame et de l’enquête criminelle qui suivit. L’enquête fut menée principalement par la police spadoise et par le Parquet de Verviers. Si de nos jours pour de tels événements, les enquêteurs disposent d’outils appropriés et modernes, en 1909 presque tout était basé sur le témoignage humain.

Découverte des corps

Le lundi 27 décembre 1909, entre 17h et 18h, Henri Evrard, cultivateur à Nivezé-Spa, se rendit, comme tous les jours, à la Sauvenière, chez son frère Edouard pour donner des soins à sa vieille mère gravement malade. Ce soir-là, la porte de la maison était fermée à clef, il n’y avait aucune lumière contrairement aux autres jours, même le petit chien n’aboyait pas. Etonné, Henri décida de retourner chez lui. Mais, gagné par l’inquiétude, il se rendit à nouveau à la Sauvenière accompagné de sa femme. Là, malgré ses appels à haute voix et ses coups sur la porte, personne ne se manifesta. Henri Evrard décida alors de descendre à Spa prévenir la police, tandis que son épouse regagnait Nivezé.

Peu de temps après, Henri Evrard était à nouveau à la Sauvenière accompagné du commissaire adjoint Michel Heynen, de deux agents et du serrurier Legrand qui ouvrit la porte d’entrée. Dans la salle à manger, ils se trouvèrent en présence d’un affreux spectacle. Sur le sol, gisait le corps de Léopoldine Chardez épouse Edouard Evrard et à ses côtés le corps de Lucie, son bébé. A l’étage, le commissaire buta sur le corps d’Edouard Evrard, tandis que dans une chambre à coucher, il trouva le corps de Rosalie Lebalue, la mère de l’aubergiste. Tous avaient le crâne fracassé à coups de hache. La montre que portait Edouard Evrard était arrêtée sur 16h30’ ce qui fit croire que la tuerie se situait à cette heure-là !

Charlemagne Gernay, garde-champêtre de Nivezé en 1909


Questionné, le garde-champêtre de Nivezé, Pierre Jacques Charlemagne Gernay, déclara être passé vers 17h devant le restaurant et n’avoir rien remarqué d’anormal. Une fois les premières constatations terminées, le commissaire Heynen télégraphia au Parquet de Verviers.

1909 : Meeting d’aviation à Malchamps (carte postale)


L’arrivée du Parquet

Le lendemain, le mardi 28 décembre, le juge d’instruction Hanotiau était sur les lieux. Il était accompagné de son greffier, d’un médecin légiste, d’un photographe et d’un architecte. Lors de l’autopsie, le légiste fit une découverte terrifiante : l’assassin, après ses crimes, s’était assuré que ses victimes étaient bien mortes en les piquant à l’aide d’une pointe de canif ou d’un stylet.

Quel était le mobile de ce carnage ?
A qui pouvait-il profiter ?
Etait-ce un cambriolage qui avait mal tourné, un crime familial, une vengeance ?
Edouard Evrard vivait, semblait-il, dans une certaine aisance. En effet, lors des manifestations sportives se déroulant à proximité de la Sauvenière (concours au tir de Malchamps, courses à l’hippodrome, meeting d’aviation) son établissement était souvent bondé. L’enquête s’annonçait longue et difficile !

Les premiers indices

Le mardi 28 décembre, sur le bord de la route menant à Spa, on trouva un masque noir et le long de la route de Marteau, à la sortie de la ville, on ramassa des papiers d’assurance au nom d’Evrard. A part cela rien, l’enquête piétinait !
Pas de traces de l’arme des crimes !

Les funérailles

Les funérailles eurent lieu le samedi 1er janvier 1910. La foule était impressionnante, les commentaires allaient bon train.
Mais que faisait la police ?

Maison de Henri Evrard, rue Pré Jonas à Nivezé (carte postale)


Les premiers suspects

Henri Evrard, sur lequel pesaient certains soupçons, fut le premier à être interrogé. Il dut apporter des précisions sur sa déclaration du 27 décembre. Le vendredi 31 décembre, le garde-champêtre de Nivezé, Charlemagne Gernay, déclara qu’il avait interrogé Louis Gernay cultivateur à Nivezé-Spa ainsi que Julien Jérôme cultivateur à Préfayhai et que ces derniers confirmaient avoir vu Henri Evrard qui se dirigeait vers la Sauvenière le 27 décembre au environ de 18 h. D’autres Nivezétois : Pierre Gernay cultivateur, Edmond Jérôme jardinier et Constant Blaise cordonnier furent par la suite interrogés sur le même sujet.

Le deuxième suspect, Lezan de Malizard, ancien voisin d’Evrard, reçut le matin du 30 décembre la visite de la police à son domicile à Theux. D’après certains témoignages, les relations entre les deux hommes étaient assez tendues et certaines personnes avaient déclaré au garde-champêtre Gernay avoir vu Lezan de Malizard dans les environs de la Sauvenière, le jour avant la tuerie. Le médecin de famille de ce dernier affirma que c’était impossible, car son patient était très malade depuis plusieurs jours et n’avait donc pas pu sortir de chez lui.

La casquette

Une casquette fut trouvée le lendemain du crime sur une table de nuit. Après une première enquête, il apparut qu’elle n’appartenait pas à l’aubergiste. Des recherches plus approfondies démontrèrent qu’elle appartenait à un dénommé Hurlet ayant servi en automne 1909 à la Sauvenière. Interpellé, ce dernier affirma que la casquette et d’autres vêtements lui avaient été volés par Louis Julien lors de la quinzaine de l’aviation, alors qu’ils travaillaient tous deux pour Evrard.

La lettre anonyme

Le jeudi 6 janvier 1910, l’enquête prit une nouvelle tournure, le Parquet de Verviers avait reçu une lettre anonyme d’un cabaretier bruxellois qui dénonçait les intentions de trois garçons de café venus comploter dans son bistrot quelques jours avant la tuerie. L’un d’eux avait parlé d’un bon coup à faire à la Sauvenière près de Spa.

Si d’habitude, le monde judiciaire était fort sceptique à l’encontre de ce genre d’envoi, cette fois-ci, l’information reçue rencontrait un renseignement acté à l’instruction : il avait rapport à Louis Julien, un garçon de café d’origine française employé par Evrard, en automne 1909, pendant la période du meeting d’aviation. De plus, cet homme avait quitté l’aubergiste spadois en complet désaccord.

L’information publiée le soir même par « Le Courrier du Soir » fut lue dès le lendemain par de nombreux Spadois. De nouveaux témoignages arrivèrent et confirmèrent la présence à Spa de Louis Julien accompagné de trois comparses, fin de l’après-midi du 27 décembre 1909.

Mais qui est l’assassin présumé ?

Louis Julien, l’instigateur (collection Musées de la Ville d’eaux – Spa)

Louis Julien, alias Bouchardot, alias Laplace, garçon de café, 29 ans, est né en 1881 à Vienne dans l’Isère en France. Il habitait à Liège où il s’était marié en 1907. Ce n’était pas un tendre, son pedigree était éloquent. Il avait été condamné en France et en Belgique.

En présence des graves présomptions qui pesaient sur Julien, le juge d’instruction Hanotiau du Parquet de Verviers lança un mandat d’amener. La police de Bruxelles fut aussitôt prévenue et se mit à la recherche de l’assassin supposé. Mais l’homme avait disparu !

Aussitôt, le commissaire Maurice Joris de Spa se mit à la recherche du fugueur. La poursuite le mena tout d’abord à Tournai, puis à Roubaix, Lille, Valenciennes et enfin à Amiens où il contacta son homologue français de la sûreté, Monsieur Eloy. Le dimanche 16 janvier 1910, le refuge de Julien était encerclé. Le truand se laissa arrêter sans résistance, il fut ensuite incarcéré à la prison d’Amiens. Le rôle du commissaire Joris était terminé.

Malgré ses dénégations, Louis Julien apparut très vite comme l’instigateur du terrible carnage. La casquette qu’il oublia de récupérer sur la table de nuit des époux Evrard, après avoir aussi tué le petit chien, et les empreintes de pas imprimées dans le sol à l’arrière de l’auberge, par où les tueurs étaient entrés, constituaient des indices probants qui permirent de le confondre sans difficulté. Maintenant, c’était au tour de la justice. Seulement, Julien était Français et la France ne livrant pas ses nationaux, il dut être jugé devant la Cour d’Assises d’Amiens.
Découverte des complices

Louis Julien, pour établir son alibi, invoquait le témoignage d’un certain Gaston Gély, négociant en grains à Amiens, qu’il avait rencontré à Bruxelles, à l’Hôtel de Maubeuge, le 27 décembre 1909.

Lors d’une audience au tribunal d’Amiens, le nommé Gély reconnut le fait évoqué par Julien, mais il précisa que ce jour-là, à Bruxelles, Julien n’était pas seul. Il était accompagné de trois hommes à savoir : Tintin, Aimé Jean et un troisième qui se faisait appelé Bailly. De plus, déclara Gély, ils m’accompagnèrent tous les quatre vers 13 heures à la gare du Nord où je devais prendre un train pour Anvers.

Il fut prouvé qu’à cette heure-là, le jour du crime de la Sauvenière, quatre coupons aller-retour pour Spa avaient été poinçonnés.

On retrouve le stylet

Quelques jours après la levée des scellés, le mardi 29 mars 1910, en rangeant à l’intérieur du bâtiment, le garde–champêtre de Nivezé découvrit par hasard le stylet utilisé par les tueurs pour s’assurer que leurs victimes étaient bien mortes. Il se trouvait sur la tablette du comptoir, sous le tiroir caisse qui avait été déposé dessus. Ce poignard, affirma Bertrand Hermès, cafetier à Spa, chez qui le Français logeait pendant la quinzaine de 1909, appartenait bien à Louis Julien.

Julien Garnier dit Tintin
(collection Musées de la Ville d’eaux – Spa)

Maurice Kerboriou
(collection Musées de la Ville d’eaux – Spa)

Alfred Jean
(collection Musées de la Ville d’eaux – Spa)

Les trois comparses se font arrêter

Julien Garnier dit Tintin, manœuvre, déserteur du 2ème Dragons, fut arrêté en France début avril 1910 et mis à la disposition du parquet d’Amiens. Alfred Jean et non pas Aimé Jean, lutteur forain, fut arrêté à Paris le vendredi 17 juin et écroué également à la prison d’Amiens. C’est aussi dans la capitale française que le lundi 24 octobre 1910, le dernier de la bande Maurice Kerboriou, alias Henri Bailly, serrurier, fut arrêté. C’était un personnage qualifié de dangereux. Lui aussi fut écroué à Amiens. Bien entendu, tout comme Julien, ils nièrent tous leur participation à la tuerie de la Sauvenière du 27 décembre 1909.

L’instruction

Il est évident que le vol est le mobile des crimes. Si d’habitude Edouard Evrard ne vendait que pour quelques francs par jour, il apparut que lors de grandes manifestations comme le meeting d’aviation de l’automne 1909, sa recette journalière atteignait plus de 200 francs, somme importante à cette époque. Julien, employé par Evrard quelques jours pendant cette fameuse quinzaine, aura surestimé fortement la fortune de son employeur qui aimait à se vanter ! L’instruction va traîner, car la justice française doit contrôler l’enquête menée par la police belge, ce qui prendra beaucoup de temps. Une année complète va se passer en vérifications, enquêtes et contre-enquêtes.

La pince-monseigneur

Lors des confrontations et des interrogatoires qui eurent lieu à Amiens, il fut question d’une pince-monseigneur qu’Aimé Jean aurait eue en sa possession lors de son départ pour Spa. Après des recherches laborieuses, cette pince fut retrouvée entre Spa et Marteau. C’est le petit Henri Devillers qui avait trouvé l’outil pendant les vacances de Pâques 1910 et qui l’avait donné à son père.

Le procès

Voici ce qui était établi au début du procès, le mercredi 25 octobre 1911. Au moment du crime, Louis Julien habitait Bruxelles et Kerboriou logeait chez lui. Alfred Jean lui aussi vivait à Bruxelles et en décembre 1909, il hébergeait « Tintin ». Il était également établi que les 4 hommes avaient quitté ensemble la capitale par le train de 13h17’, qu’ils étaient arrivés à Spa à 16h37’, pour en repartir à 20h47’. Le passage des quatre malfrats à la Sauvenière, le 27 décembre 1909, est prouvé par 4 pièces à conviction : un masque noir, une casquette, un poignard et une pince monseigneur. Par contre, la hache ou l’ustensile équivalent ayant provoqué les blessures mortelles aux victimes n’a jamais été retrouvée. Quatre-vingts témoins avaient été convoqués au tribunal à Amiens. Parmi ceux-ci, une trentaine de Spadois. Le 29 octobre 1911, le président prononça le verdict.

Le verdict

Pour Julien, l’instigateur, ce fut la peine de mort. Les trois autres furent condamnés aux travaux forcés à perpétuité. Si les trois complices acceptèrent le verdict, Julien lui alla en Cassation, mais son pourvoi fut rejeté un mois plus tard. Toutefois, le mercredi 27 décembre 1911, il bénéficiait de la grâce présidentielle. Tous les quatre furent transférés au pénitencier de l’île de Ré en attendant leur départ pour la Guyane.

Les témoins spadois au procès

Parmi ceux-ci, on peut citer : Le commissaire Maurice Joris, le commissaire adjoint Michel Heynen, le maréchal des logis de la gendarmerie de Spa Henri Petit, le garde champêtre de Nivezé Charlemagne Gernay, l’architecte Pirotte, le docteur Renuard, Henri Evrard, cultivateur à Nivezé, Bertrand Hermès, cafetier, Elise Pottier épouse Nizet, Jean Willot ouvrier.

Jean Lecampinaire

Sources :
La tuerie de la Sauvenière à Spa (J. Bronckart – Editions Vieux Temps – 2002)
Le drame de la Sauvenière (P. Den Dooven – H.A.S. – 1988 et 1989)

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