In gode we trust
La presse s’est récemment réjouie des résultats de la méga-enquête Inserm/ANRS indiquant que les Français font de moins en moins l’amour et rejettent de plus en plus les normes. Moins mais mieux ! assuraient nos journaux.
Dans les sacristies médiatiques, on a sablé le champagne. À en croire les résultats de la méga-enquête Inserm/ANRS sur les sexualités en France – le pluriel étant gage d’ouverture –, la lumière progressiste se répand dans les alcôves. Les Français baisent correct : inclusif, égalitaire, sans tabous, sans culpabilité. Surtout les jeunes, particulièrement les jeunes femmes, pionnières dans l’art très académique de casser les codes, mais vous pouvez aussi trouver un godemiché dans le tiroir de votre grand-mère – en attendant le jour béni où il trônera sur la cheminée, entre une photo de mariage et une gondole en plastique. Cette sexualité privée de normes à profaner dans l’ombre du fantasme est un brin déprimante. La chair sans le péché, c’est moins excitant, enfin j’imagine, j’ai lu ça dans les romans. Dans la nouvelle génération, la mutation anthropologique a eu lieu. Elle veut revenir au paradis perdu, au monde sans mal et sans mâle. Le roman, c’est très dépassé.
Premier constat, relégué dans les coins : les Français font moins l’amour. En 1992, 8 % des hommes de 18 à 69 ans n’avaient eu aucun rapport sexuel dans l’année. Trente ans plus tard, ils sont plus de 18 %. Chez les femmes, la proportion d’abstinentes est passée de 14 à 23 %. Nos sociologues-évangélistes exultent : cette apparente baisse de la libido témoigne de « la moindre disponibilité des femmes », qui font moins l’amour pour faire plaisir. Faire plaisir à sa grand-mère en passant des vacances avec elle, c’est admirable, mais un petit coup pour faire plaisir à son coquin, c’est un viol conjugal – comme si l’appétit ne venait jamais en mangeant. Plus question de dire « non » en pensant « oui », les filles. Quant aux hommes, s’ils forniquent moins, c’est peut-être un peu parce que le chemin du lit au tribunal n’a jamais été aussi court. Ça leur laisse du temps pour méditer sur leurs mauvaises pensées.
Moins c’est mieux ! psalmodient les commentateurs extatiques. On change de partenaires, on multiplie les expériences, c’est la fête du slip tous les jours. On salue donc « la démocratisation de la pénétration anale (réalisée ou reçue) [sic] » et la généralisation du sexe oral. Nathalie Bajos, membre de l’équipe de recherche, constate que, « au sein des couples hétéros, les rapports sexuels ne se font pas juste autour de la pénétration vaginale ». Le Monde publie une enquête énamourée sur « ces couples qui préfèrent faire l’amour sans pénétration », avant-garde du monde sans tabous. Un certain Pierre y explique que la pénétration est « éprouvante, répétitive, presque mécanique ». Pour autant la bastille du coït reste à prendre : « le rapport sexuel pénétratif reste un cap important de l’entrée dans la vie sexuelle des jeunes », s’inquiète une autre chercheuse. La faute aux stéréotypes, déplore une troisième[1]: pour beaucoup de gens, « c’est la pénétration qui symbolise l’affectivité et l’entente au sein du couple ». N’allez pas imaginer qu’il y aurait là une survivance archaïque, un inconscient anthropologique qui établirait un lien entre sexualité et procréation.Ces temps obscurs où on était obligés de se frotti-frotter à l’autre sexe pour se reproduire sont heureusement révolus.
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La bonne nouvelle valait bien une journée d’actions de grâces sur France Inter : l’hétérosexualité, c’est fini. Il ne m’a pas échappé que, dans la vie concrète, elle existe toujours, mais elle a perdu son statut de norme et perdra bientôt son mince privilège majoritaire. Malheureusement pour les lobbys spécialisés dans le pleurnichage victimaire, l’homosexualité est largement acceptée. Heureusement, la « transidentité » suscite toujours des réticences (on se demande pourquoi), ce qui permet aux chercheurs de communier avec les journalistes dans la dénonciation des discriminations qui perdurent.
Découvrant les avancées de la fluidité, l’éditorialiste de Libération ne se sent plus de joie : « Si les frontières géographiques menacent de se renforcer en cette décennie 2020 [si seulement !], celles entre les genres s’estompent. En 2024, on se sent plus libre qu’avant d’aimer une personne du même sexe. » Les femmes sont en avance : une sur cinq (mais près de 40 % des 18-29 ans) déclare ne pas être strictement hétérosexuelle, alors que chez les hommes, on est encore à un sur sept. « Dans un contexte de diffusion croissante des idées féministes, ces jeunes femmes s’orienteraient vers des trajectoires où les inégalités et la violence sont moins prégnantes », conclut une journaliste. Autrement dit, le lavage de cerveau néoféministe a convaincu ces demoiselles qu’en tout homme sommeille un violeur.
Que les hommes et les femmes puissent faire ce qu’ils veulent avec qui ils veulent est une excellente chose, même si un soupçon d’interdit ne nuit pas. Chacun fait ce qui lui plaît, chacun est ce qui lui plaît. Sauf que cette absence de normes est terriblement normative – soyez cool, soyez fluides, soyez vous-même, homme, femme, « autre ». Pas sûr que ces injonctions à la déconstruction soient moins pesantes que les anciennes injonctions au mariage bourgeois avec papa-dans-maman le samedi soir.
« Il n’y a pas de rapport sexuel », disait Lacan. Les chercheurs notent avec satisfaction les progrès foudroyants de la masturbation, à laquelle trois quarts des femmes et 93 % des hommes reconnaissent s’adonner. Mais si on peut tant se donner du plaisir que faire des enfants tout seul, pourquoi s’infliger les tourments et chichis de la relation ? La lutte continue camarades ! La libération sexuelle sera pleinement réalisée quand on pourra se passer non seulement de l’autre sexe, mais de l’autre tout court.
[1] Cette équipe de recherches ne semble pas très paritaire, en tout cas, ce sont les femmes qui causent
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