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Nominations au Conseil Constitutionnel : le courage qu'il faudrait, par Denys de Béchillon

Jamais la nomination d’un nouveau président et de deux nouveaux membres du Conseil constitutionnel n’aura été plus essentielle. Le mandat de Laurent Fabius, de Corinne Luquiens et de Michel Pinault prend fin à la mi-février. Mais que faudrait-il pour les remplacer au mieux ?

Il n’y a guère de conditions juridiques à remplir pour siéger au Conseil constitutionnel, ne serait celle de ne pas trop déplaire aux instances parlementaires chargées de "confirmer" les nominations ou, plus exactement, de ne pas les repousser à la majorité des trois cinquièmes après avoir un peu cuisiné les impétrants sous l’œil des caméras. La Commission des lois de l’Assemblée nationale statuera sur le choix de sa présidente. Celle du Sénat sur celui du sien. Quant au pressenti par le chef de l’Etat pour présider l’institution, il subira la torture des deux.

Gérard Larcher dispose au Sénat d’un bon appui. Aucun bloc de trois cinquièmes ne se formera pour s’opposer à lui. L’opération se fera sans douleur. Faute de majorité, les choses sont moins fluides du côté de l’Assemblée. Yaël Braun-Pivet devra jouer de subtilité pour éviter l’écueil. Quant à Emmanuel Macron, il est cerné de toutes parts puisque son champion devra ne pas hérisser en même temps le NFP, le RN, LIOT et LR, étant entendu que les résultats des votes au sein des deux assemblées seront additionnés pour déterminer si l’on est parvenu aux trois cinquièmes fatals. Le mouton à cinq pattes devra présenter des traits d’acceptabilité politique de principe mais aussi, le cas échéant, un coefficient de sympathie propre à autoriser quelques entorses individuelles aux logiques partisanes. Il sera prudent de compter au plus juste.

Si la règle avait été d’exiger un vote favorable à la majorité des trois cinquièmes (voire à la majorité simple), nous serions réduits aux solutions atroces. Il faudrait marchander comme des chiffonniers et/ou chercher le plus petit dénominateur commun, c’est-à-dire s’accorder sur le personnage le plus insignifiant. L’horreur… Nous n’en sommes pas tout à fait là, mais rien ne va bien quand même. Vu le paysage parlementaire, on va devoir donner dans la tambouille, spéculer, apprécier l’impact médiatique… Bref, faire de la politique et même en faire deux fois : la première pour nommer dans l’intérêt de son propre camp ; la seconde pour parvenir à ce résultat sans se faire claquer la porte au nez.

Le courage reste la seule clé

Une Cour constitutionnelle ne devrait pas se construire comme ça. Ses membres ont à être (et à apparaître comme) de vrais juges : des tiers désintéressés et impartiaux ; des agents soustraits au jeu partisan et ainsi rendus aptes à trancher le plus objectivement possible les litiges causés par ce même jeu. Leur travail n’est politiquement acceptable que s’il est perçu comme neutre et légitimé par ses qualités intrinsèques : celle d’une discussion juridique inquiète d’elle-même, mais surtout loyale, convaincante, profonde, explicative… La survie de notre Etat de droit se joue en partie là.

Il faut donc de grands juges, capables de s’imposer de par leur grandeur même. Il faut de la hauteur de vue, de l’expérience, de la force, de la compétence, de l’indépendance d’esprit. Rien de tout cela ne se fabrique avec des procédures de confirmation parlementaire. La contrainte (politique) qu’elles appellent complique la tâche au lieu de la favoriser. On a sans doute fait une erreur en créant ces fourches caudines lors de la révision constitutionnelle de 2008.

Le courage reste la seule clé : celui qu’il faudrait aux autorités pour renoncer à nommer qui que ce soit pour des motifs essentiellement politiques. Dans le fond, le seul critère qui vaille est assez simple à formuler même s’il est difficile à remplir : ne choisir que les gens les plus aptes à permettre au Conseil constitutionnel de se légitimer lui-même, par la seule qualité indiscutable de son travail et de ses décisions. Une vaste et improbable conversion des esprits est donc requise. A l’évidence, la nécessité de passer sous la férule de parlementaires rendus incapables de penser de la sorte par l’hystérie ambiante complique encore le jeu. Il reste à espérer sans y croire. C’est un gros problème (de plus).

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