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Sa proximité avec Mélenchon, ses discussions avec le PS : entre François Bayrou et la gauche, une relation contrariée

La scène se déroule le 8 novembre 2018. La campagne des européennes démarre alors timidement. À Pau ce jour-là, où la France insoumise tient un de ses meetings, Jean-Luc Mélenchon a débarqué un peu plus tôt que prévu pour répondre à l’invitation de François Bayrou. Drôle de compagnonnage, insoumis et populiste d’un côté, démocrate-chrétien et soutien d’Emmanuel Macron de l’autre. Adversaires politiques assumés. Le maire et éphémère garde des Sceaux a mis les petits plats dans les grands pour son accueil républicain. Il récite l’histoire de sa ville depuis le balcon de son immense bureau, vue imprenable sur les Pyrénées embrumées. Un photographe immortalise les scènes : Jean-Luc et François au théâtre Saint-Louis, devant une peinture d’Henri IV, le héros de l’édile palois, l’hôte dédicaçant à son invité un exemplaire de son livre sur le "bon roi Henri". Les fauves politiques, ceux du "monde d’avant Emmanuel Macron", dont ils sont, savent se renifler.

En voilà deux qui se ressemblent tant, Primus inter parum du Modem et de La France insoumise, "Molière" de la politique, trois présidentielles chacun, toutes perdues. "Il n’est de Modem que de François Bayrou" sourit un proche du Béarnais. Et il n’est de France insoumise que de Jean-Luc Mélenchon. Alors que Mélenchon prépare son départ du PS en 2008, il déjeune en secret avec Bayrou pour comprendre comment celui-ci a réussi sa rupture avec la droite pour donner naissance au Modem. Entre les deux hommes, une communauté culturelle et de principes. Il y a les combats partagés comme la proportionnelle; leurs ambiguités communes aussi, comme leur appel à une VIe République, eux qui ne raisonnent qu'avec les codes de la Ve.

Et le reste, moins assumé. En 2017, quand l’affaire des emplois fictifs d’assistants parlementaires du Modem payés par le Parlement Européen pousse Bayrou à quitter la Chancellerie, il reçoit le soutien de Jean-Luc Mélenchon. "Le procès contre Bayrou est dégueulasse", confiait-il encore récemment à L’Express. Le centriste lui rendra la pareille quand l’insoumis sera au centre d’une autre affaire politico-financière concernant ses comptes de campagne, en 2018. Bayrou et Mélenchon, Pater familias invétérés, chef d’un clan plutôt que d’un parti. Ainsi, quand Adrien Quatennens, jugé coupable d’avoir giflé sa femme, sera défendu mordicus par Jean-Luc Mélenchon en 2022, Bayrou ne le jugera pas : "Moi, je ne lâcherais jamais Marc Fesneau (NDLR : son héritier désigné, lieutenant des lieutenants)…"

"J’écoute ce que dit Mélenchon avec intérêt"

Ils ont leurs différences. Le bruit et la fureur pour l’un, le compromis et la rondeur pour l’autre. Pendant la présidentielle 2007, la candidate socialiste Ségolène Royal réfléchit à un rapprochement avec le centriste, Jean-Luc Mélenchon, sénateur PS à l’époque, prend la tête d’un petit groupe d’élus PS pour torpiller Bayrou et empêcher le rapprochement, plombant un peu plus la campagne de Royal. Rebelote en 2011. Il est candidat du Parti de gauche pour la présidentielle qui arrive cette fois-ci, et il intime aux trois favoris de la primaire de clarifier leurs positions vis-à-vis du MoDem. Martine Aubry gère Lille avec des centristes, François Hollande considère qu’il ne faut pas repousser le centriste d’un revers de main et Ségolène Royal veut une campagne "arc-en-ciel", des centristes humanistes jusqu’aux gaullistes. "Les socialistes pensent qu’ils peuvent, dans une espèce d’ambiguïté complète, avoir à la fois M. Bayrou et Jean-Luc Mélenchon dans une coalition, Je leur dis : ce n’est pas possible, on ne peut pas imaginer l’un et l’autre ensemble", tonnera-t-il. Cinq ans plus tard, des amabilités de l’un à l’autre. "J’écoute ce que dit Mélenchon avec intérêt", dit le Palois. Et l’insoumis : "il incarne la solution intermédiaire : c’est un littéraire qui ne parle pas la langue métallique des technos, il parle aux classes moyennes, il peut faire du Pompidou."

François Bayrou fraîchement nommé Premier ministre ce 13 décembre 2024, Jean-Luc Mélenchon s’est contenté d’un message goguenard sur le réseau social X : "ça commence bien…" Il aura été plus sévère contre les nominations d’Élisabeth Borne, Gabriel Attal et Michel Barnier, les trois derniers locataires de Matignon. Mélenchon a une autre cible, ce n’est pas son ami de Pau, mais Emmanuel Macron. Ses insoumis ont d’ores et déjà donné le ton. "Bayrou : censure. Macron : démission", résume le député LFI Antoine Léaument, militant du Modem autrefois. Une intransigeance qui n’est pas celle des socialistes. Dans un courrier voté à l’unanimité de son bureau national, le Premier secrétaire Olivier Faure a indiqué au nouveau Premier ministres qu’ils resteront "dans l’opposition au Parlement", rappelant sa fidélité aux "propositions défendues devant les électeurs du Nouveau Front populaire." Les roses, qui reposent sur la table la nécessité de "garanties indispensables pour éviter une nouvelle censure", parmi lesquelles le renoncement à l’usage du 49.3 et à la réforme des retraites. Autant de "lignes rouges" que Bayrou n’ignore pas, lui qui connaît tout aussi bien les socialistes. Ils l’avaient remercié à leur manière de son soutien à François Hollande face à Nicolas Sarkozy lors du second tour de la présidentielle de 2012, en lui opposant une candidate, Nathalie Chabanne, lors des législatives qui ont suivi. Elle lui chipera le siège de député et, ironie de l’histoire, sera la première des frondeurs de France, dès 2012.

"S’il lance la proportionnelle, on l’aimera bien"

Ces dernières semaines, Bayrou et ses ouailles centristes se sont affairés avec plus d’un socialiste. L’idée d’un accord de non-censure, lancée par le chef de file des députés PS Boris Vallaud, résonne aux oreilles du Modem. Son lieutenant Marc Fesneau, président du groupe, est ainsi jugé comme un "facilitateur". Boris Vallaud et François Hollande l’ont rencontré à plusieurs reprises ses quinze derniers jours, évoquant ensemble l’après-Barnier sans le nommer. Le gel de la réforme des retraites et d’une conférence de financement avec les partenaires sociaux et la question de la fiscalité sur les revenus les plus aisés, sujet déjà porté par le MoDem, a été discuté entre socialistes, écologistes et centristes. Si le PS a rappelé qu’aucun des leurs ne saurait participer au futur gouvernement de Bayrou, le député socialiste de Meurthe-et-Moselle Dominique Potier assume son ouverture, et ferait presque une offre de services : "Je parle régulièrement avec Marc Fesneau. Ces dernières semaines, on a changé sur des sujets de fond, sur ce que pourrait faire un Premier ministre sur les questions agricoles. J’ai une très grande affinité avec eux."

Fesneau qui a trouvé une oreille attentive chez le chef du groupe communiste André Chassaigne et son homologue écologiste Cyrielle Chatelain. D’autres députés écolos, dont Éva Sas et Jérémie Iordanoff, admettent en privé ne pas rester insensibles aux éventuelles mains tendues de François Bayrou, mais pas de là à accepter un portefeuille ministériel. Le sénateur vert Yannick Jadot n’est pas des plus effarouchés par le nouveau Premier ministre. Les deux hommes s’apprécient, et avaient même réfléchi ensemble à une initiative commune sur la proportionnelle. "S’il lance la proportionnelle, on l’aimera bien", chuchote aujourd'hui l’entourage de Jadot.

Recruter des personnalités de gauche dans son nouveau gouvernement, mission impossible pour François Bayrou. Le NFP s’y refuse, bien que socialistes et écologistes ne soient pas opposés à une tolérance. Il pourrait se tourner vers Bernard Cazeneuve, et son mouvement La Convention. Depuis l’été, il multiplie les marques d’affection à l’égard de son lointain prédécesseur à Matignon. Les deux hommes se sont vus à deux reprises la semaine dernière pour discuter des pistes d’une sortie de crise. Bayrou et Cazeneuve, ce dernier sur le chemin du retour d’un voyage professionnel au Maroc, ont prévu d’échanger dans le week-end. Vendredi matin, devant Emmanuel Macron le Palois plaidait encore pour sa désignation si lui-même n'était pas choisi.

L’ancien du PS David Habib, l’un des dirigeants de la Convention, fait contre mauvaise fortune bon coeur: "Je connais François depuis trente ans : ce n’est pas un macroniste pur et dur. Il a sa propre autonomie." Une coopération qui n’est pas gage de durabilité pour le nouveau Premier ministre. "Sa stabilité dépendra de notre capacité à arracher des victoires utiles aux Français, prévient un cadre du PS. Quand on dit accord de non-censure, il y a accord dedans. Donc s’il n’y a pas d’accord, c’est qu’il y a censure."

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