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Maladies génétiques : il est temps de rouvrir le débat sur la prévention, par le Pr Alain Fischer

La plupart des maladies génétiques connues sont rares mais prises toutes ensemble, elles concernent 2 % à 3 % de la population. De l’ordre de 15 000 à 20 000 nouveaux malades sont recensés chaque année en France. Beaucoup de ces pathologies sont sévères, affectant l’espérance de la vie et la qualité de vie alors que seule une petite minorité dispose aujourd’hui d’un traitement curatif. Le diagnostic inattendu d’une telle maladie est un drame qui vient bouleverser la vie du cercle familial. Pourrait-on envisager de les prévenir ?

Il paraît a priori surprenant de se poser la question dans la mesure où ces maladies sont la conséquence de la transmission d’une anomalie génétique (mutation) portée par chacun des parents dans la majorité des cas ou par un seul, la mère s’il s’agit d’une maladie de transmission liée au chromosome X, comme l’hémophilie par exemple. Lorsque le risque est connu du fait d’antécédents dans la famille, on peut proposer, pour les maladies sévères et si la famille le souhaite, un diagnostic prénatal qui peut aboutir à une interruption de la grossesse si le fœtus est atteint ou bien à un diagnostic préimplantatoire après fécondation in vitro et sélection des embryons non affectés. Mais en l’absence d’antécédents, la majorité des cas, quelles solutions ?

Depuis les années 1970, a été proposée dans des populations où une maladie génétique était fréquente (la thalassémie, une forme d’anémie grave en Sardaigne, Sicile et Chypre ou la maladie de Tay-Sachs, une maladie neurodégénérative chez les juifs ashkénazes), d’identifier, par des caractéristiques sanguines, les personnes à risque de transmettre ces maladies à leurs enfants (avec un risque de 25 %). De tels programmes, très bien acceptés par ces populations, ont permis de réduire grandement la survenue de ces maladies. Les progrès de la génétique ont permis à partir des années 1980 de détecter directement les personnes porteuses de mutations. Aujourd’hui, il devient possible d’identifier de telles mutations dans un très grand nombre de gènes. De ce fait, s’est mise en place dans quelques pays (une dizaine dont l’Australie, Israël, les Etats-Unis) une offre de détection sur prélèvement sanguin ou de salive de mutations partagées par un couple (ou situés sur le chromosome X maternel) conduisant à un risque de naissance d’un enfant atteint d’une maladie génétique grave. Le nombre de maladies concernées varie d’un pays à l’autre en fonction de la prévalence et de la gravité de la maladie, les tests étant ou non pris en charge par la collectivité. Jusqu’à récemment, on disposait de très peu d’informations sur l’utilité et le ressenti par les couples de tels programmes. Une étude récente menée en Australie à large échelle apporte des éléments de réponse fort intéressants.

Un diagnostic salutaire

Parmi 9 100 couples ayant eu recours à cette analyse, la plupart avant toute conception, un peu moins de 2 % ont été identifiés comme ayant 25 % de risque de transmission d’une des 750 maladies (gènes) testées. Dans 3 cas sur 4, les familles ont décidé de tenir compte de cette information en optant pour un diagnostic prénatal ou un diagnostic préimplantatoire lors d’une grossesse. L’enquête a montré que l’annonce du risque générait une bien compréhensible charge d’anxiété mais qui s’avère transitoire. Transposé à l’échelle de la France, cela reviendrait à détecter 14 000 couples à risque chaque année et à éviter la naissance d’environ 2 000 à 3 000 enfants atteints de maladies génétiques graves. Il avait été proposé lors de la dernière révision des lois de bioéthique d’ouvrir la porte au diagnostic génétique préconceptionnel de maladies génétiques graves mais cette possibilité a été récusée par la ministre de la Santé de l’époque au nom d’un risque d’eugénisme.

Bien évidemment un tel diagnostic doit être strictement encadré en termes d’information, de qualité d’annonce des résultats de ce dépistage et de strict respect du choix des couples à y recourir ou pas, et à en tirer les conclusions qu’ils souhaitent prendre. Cela implique la mise en place d’un accompagnement des couples à risque. Ce dépistage devrait être réservé à des maladies particulièrement sévères et faire l’objet d’un suivi attentif. L’équité exige que son coût soit pris en charge par l’Assurance-maladie pour en permettre une juste accessibilité. Espérons que ces éléments d’information nouveaux convaincront les pouvoirs publics d’aller de l’avant.

Alain Fischer est président de l’Académie des sciences et cofondateur de l’Institut des maladies génétiques

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