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Syrie : revoilà les poissons rouges qui croient à l’islamisme "inclusif", par Abnousse Shalmani

Ce sont presque les mêmes commentateurs, journalistes ayant commis un livre habile, historiens aussi dégoûtés par l’Occident que fascinés par l’islamisme, sociologues biberonnés à un Michel Foucault illuminé qui n’en veulent voir que les odieux articles sur la spiritualité de la révolution islamique. Ce sont presque les mêmes qui commentaient le retour des talibans en y voyant une version inclusive et modérée. Sortez le pop-corn, les relativistes sont de retour, les yeux mouillés devant la barbe si bien taillée d’Abou Mohammed al-Joulani - qui enfile même une veste pour causer aux Occidentaux, la mémoire de poisson rouge en majesté, déjà amnésiques de l’arrivée au pouvoir du néosultan Erdogan, que l’on comparait à un chrétien-démocrate version musulmane qui allait combiner avec équilibre et respect la foi et le pragmatisme politique.

Ça s’appelait un Frère musulman, ça s’appelle toujours un Frère musulman, et cela ne donne jamais que censure des médias, mise au pas de la justice, politique homophobe, antisémite et raciste, islamisation à marche forcée, propagande éducative, augmentation spectaculaire des violences contre les femmes, toxicité internationaliste islamiste (Arménie, Chypre, Libye entre autres, en ce qui concerne l’exemple turc), anti-occidentalisme buté et adieu la liberté.

Le Moyen-Orient est un chaudron où mijotent des ethnies, religions, idéologies si disparates qu’il est impossible d’y trouver une cohérence politique, ce qui a pour conséquence de le rendre perméable à des invasions idéologiques meurtrières entretenues par un discours paranoïaque et toujours antinational. Ce n’est pas une nouveauté, depuis la chute des empires, perse, romain, ottoman, les frontières sont factices, et les populations communautarisées. Mis à part l’Iran, qui a su préserver jalousement ses frontières comme un talisman nostalgique du temps de la Perse, orgueilleuse de sa langue et jalouse de son histoire, tous les autres pays de la région – sauf Israël dans ses frontières politiques et non religieuses, qui peut aussi se référer aux royaumes antiques de Judée et de Jérusalem – sont en proie à une rupture originelle en leur sein qui écarte toute possibilité de faire nation.

Nous avons tendance à voir le Liban comme l’unique pays communautaire, car son organisation politique reflète sa mosaïque religieuse. L’Irak et la Syrie sont aussi peuplés de communautés diverses, mais leur expression étatique est inexistante – l’Irak à majorité chiite fut, dès sa création en 1921, gouverné par un sunnite, et ce jusqu’à l’intervention américaine de 2003 ; la Syrie à majorité sunnite fut dirigé durant cinquante ans par les Assad, issus de la minorité chiite alaouite. La conséquence en est une quasi-absence du sentiment nationaliste, un patriotisme réduit à sa communauté fermée, un terrain fertile aux discours internationalistes qui flattent l’oumma – la communauté des croyants – et empêchent absolument la constitution d’une démocratie où le citoyen n’est pas seulement réduit à sa naissance, le tout débouchant régulièrement sur d’inévitables guerres civiles.

L’islamisme n’est pas soluble dans la démocratie

La chute bienvenue du clan Assad, la fin d’un système oppressif qui a emprisonné, torturé, massacré sa population en calquant les leçons du nazi Alois Brunner, réfugié en Syrie, ne doit pas nous pousser à accepter sans frémir d’inquiétude l’arrivée au pouvoir d’islamistes. Abou Mohammed al-Joulani a tenu son premier discours dans la grande mosquée des Omeyyades en assurant que « cette victoire est un triomphe pour toute la communauté islamique. » Pas pour la Syrie multiethnique et multiconfessionnelle, pas pour la nation syrienne. Al-Joulani est passé du salafisme au frérisme par opportunisme. Il a suivi l’argent, en l’occurrence celui de la Turquie et du Qatar, qui lui assurait le pouvoir, et pour ce faire il a accepté de se "zelenskyser".

Quand j’entends qu’à Idlib, dont il était le chef, la mixité était seulement autorisée dans les parcs et les centres commerciaux, qu’il n’a pas fait exécuter les chrétiens, préférant les soumettre à la dîme, mais qu’il a quand même fait disparaître les croix des églises et interdit la sonnerie des cloches, créant de fait une inégalité citoyenne, j’ai une unique certitude : l’islamisme n’est pas soluble dans la démocratie.

Abnousse Shalmani, engagée contre l’obsession identitaire, est écrivain et journaliste

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