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EXCLUSIF. Hydroxychloroquine et Covid-19 : l’étude phare du Pr Raoult officiellement invalidée

La toute première étude de IHU de Marseille (IHUm) sur l'hydroxychloroquine, longtemps présenté par Didier Raoult comme un traitement pour traiter le Covid-19, publiée le 20 mars 2020 dans la revue International Journal of Antimicrobial Agents, a été rétractée ce mardi 17 décembre, après plus de quatre ans de controverses. "Des inquiétudes ont été soulevées concernant cet article, liées au respect des politiques d’éthique de publication d’Elsevier et à la conduite appropriée de la recherche impliquant des participants humains, ainsi que des inquiétudes soulevées par trois des auteurs eux-mêmes concernant la méthodologie et les conclusions de l’article", explique Elsevier, l’éditeur de la revue, dans une longue note justifiant sa décision. Avec l’aide d’un "expert impartial agissant en tant que conseiller indépendant en matière d’éthique de l’édition", Elsevier a mené une enquête minutieuse - qu’elle détaille par le menu dans sa note - aboutissant à la découverte d’une très longue liste de malversations : non-respect du droit français en matière de recherche, début de l’essai sans autorisation, non-obtention du consentement éclairé des patients, ajout d’un médicament non prévu dans le protocole de recherche, résultats manipulés et mal interprétés, etc. La revue précise que les auteurs n’ont pas été capables d’apporter des arguments et preuves à l’appui de leur défense.

Ces travaux, signés par 18 auteurs dont les deux principaux sont Philippe Gautret, professeur à l’IHUm, et Didier Raoult, l’ex-directeur de l’IHUm, prétendaient démontrer l’efficacité de l’hydroxychloroquine en association avec l’azithromycine (un antibiotique) contre le Covid-19. A sa parution, l’étude avait provoqué un élan d’espoir porté par Didier Raoult, présentant ce traitement comme LA solution qui allait mettre fin à la pandémie en quelques semaines. "C’est probablement l’infection respiratoire la plus facile à traiter", avait-il assuré. Mais dès la publication, de nombreux chercheurs et spécialistes de l’éthique et de la loi avaient alerté sur de potentielles erreurs et fraudes. Plus tard, des enquêtes des autorités sanitaires et administratives et des médias ont confirmé ces soupçons en révélant que les données avaient été manipulées et les résultats biaisés. Puis des études scientifiques rigoureuses et indépendantes ont démontré l’inefficacité de ce traitement contre le Covid-19, en association ou non avec d’autres molécules.

En actant la rétractation de ces travaux, l’éditeur de la revue, Elsevier, invalide officiellement ses résultats. "Enfin ! se réjouit le professeur Mathieu Molimard, chef du service de pharmacologie médicale du CHU de Bordeaux. Cette étude, c’est le péché originel, la fondation d’un scandale mondial, sur laquelle était construit tout l’édifice artificiel de l’hydroxychloroquine. C’est une très bonne nouvelle. Mais ce n’est que le début : toutes les études de l’IHUm qui contiennent des problèmes éthiques et des erreurs doivent suivre". La Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique (SFPT), dont le Pr Molimard est membre, a également salué la nouvelle dans un communiqué : "Cette rétractation, attendue depuis quatre ans, constitue une reconnaissance tardive mais essentielle des dérives scientifiques […] Elle doit marquer le début d’une remise en question plus large des travaux menés sous la tutelle du Pr Didier Raoult, notamment de l’hydroxychloroquine, travaux suspectés de non-respect des normes éthiques et scientifiques, et qui font actuellement pour certains l’objet de procédures judiciaires".

Pourquoi attendre plus de quatre ans ?

Il reste néanmoins de nombreuses interrogations. Compte tenu des failles évidentes, pourquoi ces travaux ont-ils été publiés en premier lieu ? Et pourquoi, ensuite, n’ont-ils pas été rétractés plus vite ? "En comparaison, l’étude frauduleuse publiée dans le Lancet [qui tentait de démontrer l’inefficacité de l’hydroxychloroquine avec des données manipulées, NDLR] a été rétractée en 15 jours", rappelle Mathieu Molimard. Pour répondre à ces questions, il faut rappeler les conditions de l’élaboration de ces travaux. A l’origine, l’étude visait à effectuer des prélèvements nasopharyngés et à administrer seulement de l’hydroxychloroquine à 36 patients, dont des mineurs de plus de 12 ans. Une autorisation - obligatoire en France pour les essais cliniques de ce type - avait été accordée par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) le 5 mars 2020, et le Comité de protection des personnes (Ile-de-France V) avait donné son feu vert le lendemain. La procédure administrative semblait donc respectée.

Mais le jour de sa parution, l’étude indiquait cette fois que deux enfants de 10 ans avaient été inclus, mais aussi qu’un autre médicament, l’azithromycine, avait été administré, ce qui n’était ni prévu ni autorisé. Plus tard, l’IHU de Marseille admettra même avoir inclus non pas 36 patients, mais 42, et qu’il n’y avait pas eu un, mais deux morts dans le groupe qui a reçu le traitement hydroxychloroquine et azithromycine. Autre anomalie : l’étude a été envoyée le 16 mars à la revue International Journal of Antimicrobial Agents, acceptée le 17 et publiée le 20, 14 jours seulement après avoir reçu toutes les autorisations. "Ces délais ne permettent pas de s’assurer de la qualité du travail de recherche, ni du travail d’analyse par le comité de relecture de la revue", avait déclaré, à l’époque, Hervé Maisonneuve, médecin spécialiste de l’intégrité scientifique. En outre, un conflit d’intérêts avait été découvert : la revue International Journal of Antimicrobial Agents était en effet dirigée, à l’époque, par Jean-Marc Rolain, coauteur de l’étude, mais aussi chercheur à l’IHUm.

La Société internationale de chimiothérapie antimicrobienne (ISAC), société savante copropriétaire de l’International Journal of Antimicrobial Agent, s’était elle-même émue de ces irrégularités dans une note publiée deux semaines plus tard. "Ces travaux ne respectent pas les standards permettant d’assurer la sécurité des patients", affirmait-elle, avant de publier une analyse indépendante d’un chercheur hollandais, Frits Rosendaal, qui avait qualifié l’étude de "totalement irresponsable". A ce stade, tous les éléments étaient réunis pour discréditer ces travaux sur le plan éthique, médical et administratif. Mais l’éditeur de la revue, Elsevier, avait refusé de la rétracter, arguant qu’elle devait rester disponible pour qu’un "débat scientifique public solide" puisse avoir lieu. En janvier 2021, un reportage d’Enquête exclusive (M6) avançait de son côté que non seulement les résultats avaient été manipulés pour faire croire à l’efficacité du traitement, mais surtout que des avocats de l’IHUm avaient menacé Elsevier de poursuites judiciaires si ces travaux étaient rétractés. "Je pense que l’éditeur a eu peur, mais aussi qu’il n’a pas voulu remettre en cause son fonctionnement, parce que ces petites revues, rattachées à la maison mère, sont là pour faire de l’argent", déplore Mathieu Molimard.

Derrière la rétractation, le courage de trois coauteurs

Tout semblait donc perdu. Mais c’était sans compter sur une équipe d’irréductibles défenseurs de l’éthique scientifique qui a mené, pendant près de quatre ans, un combat sans relâche pour faire entendre raison à Elsevier. Parmi eux, Dominique Costagliola (épidémiologiste, bio statisticienne), Elisabeth Bik (microbiologiste et chasseuse de fraude), Karine Lacombe (infectiologue à l’hôpital Saint-Antoine à Paris), Damien Barraud (anesthésiste-réanimateur à l’hôpital de Metz Thionville), Véronique Saada (biologiste au centre Gustave Roussy de Villejuif), Dorothy Bishop (professeur émérite de l’Université d’Oxford), David H. Gorski (professeur d’oncologie de l’université Wayne State aux Etats-Unis), Hervé Maisonneuve (médecin spécialiste de l’intégrité scientifique de l’Université Paris Cité), Éric Billy (chercheur en immuno-oncologie), Jérôme Barrière (oncologue), Jacques Robert (professeur émérite de cancérologie de l’Université de Bordeaux), Alexander Samuel (docteur en biologie moléculaire), Lonni Besançon (chercheur en visualisation de données à l’université Linköping en Suède), Fabrice Frank (chercheur indépendant) et Mathieu Molimard.

Ensemble, ils ont écrit à Elsevier à de nombreuses reprises afin d’apporter les preuves justifiant une rétractation. Certains ont aussi publié des études scientifiques pour démontrer toutes les erreurs et les fraudes. "Nous souhaitions publier dans International Journal of Antimicrobial Agents, mais Elsevier a refusé", détaille Mathieu Molimard. Ses collègues et lui ont également tenté de convaincre certains co-auteurs de l’étude de demander la rétractation. Face à l’évidence des preuves accablantes et peut-être dans un sursaut de respect pour l’éthique et l’intégrité scientifique, trois d’entre eux - le Dr Johan Courjon, le Pr Valérie Giordanengo et le Dr Stéphane Honoré -, ont finalement accepté, courant 2024. Leur demande a été entendue par Elsevier, qui a pris la décision de rouvrir l’enquête… dont les conclusions ont abouti à la rétractation.

"Il est important de souligner le courage de ces trois coauteurs qui ont pris la décision de demander le retrait de l’étude, insiste Fabrice Frank. Ils auraient certes pu le faire avant, mais il ne faut pas oublier l’influence de Didier Raoult. Ce n’est qu’après son départ à la retraite et son interdiction en appel d’exercer la médecine pendant deux ans [sanction appliquée par l’Ordre des médecins et pour laquelle M. Raoult s’est pourvu en cassation, NDLR] que les langues ont commencé à se délier". Le chercheur indépendant rappelle aussi le rôle de la société savante Isac, qui a mené un long bras de fer avec l’éditeur Elsevier, et plus largement de toute la communauté scientifique et médicale qui a démontré l’inefficacité de hydroxychloroquine. "Et la nouvelle direction de l’IHUm a retiré la protection fonctionnelle à Didier Raoult, l’institution ne prend donc plus ses procès en charge, ce qui a peut-être rassuré Elsevier", précisé encore Fabrice Frank. Ces derniers jours, les fameux irréductibles ont aussi relancé l’Agence nationale de sécurité du médicament afin que l'instance française se charge elle-même d'envoyer à Elsevier les nombreuses preuves à l'appui d'une rétractation et l'assurance que les règles éthiques avaient bien été bafouées. L'instance française a accepté. Une dernière goutte qui a vraisemblablement permis de faire déborder le vase.

Beaucoup de dégâts, peu de sanctions

Reste qu’une rétractation plus rapide aurait évité bien des scandales, dont la prescription d’hydroxychloroquine et d’azithromycine à de nombreux patients dans le monde. "Cela a entraîné une prise de risque inutile pour des millions de personnes et potentiellement plusieurs milliers de décès évitables puisque l’utilisation de ce traitement a été associée à de graves effets indésirables, notamment huit arrêts cardiaques et une centaine de troubles du rythme cardiaque signalés en pharmacovigilance en moins d’un mois d’utilisation en France", rappelle la SFPT dans son communiqué. Les travaux de l’IHUm ont également entraîné une prolifération d’études visant à vérifier si l’hydroxychloroquine fonctionnait réellement ou pas. "Un gaspillage de ressources financières au détriment de la recherche sur des traitements réellement efficaces", tacle la SFPT.

L’absence de rétractation a aussi permis à l’équipe du Pr. Raoult de continuer à publier des dizaines d’études sur l’hydroxychloroquine, allant jusqu’à inclure plus de 30 000 patients, ce qui a été qualifié dans une tribune signée par seize sociétés savantes "de plus grand essai clinique sauvage de l’histoire" et a déclenché une procédure pénale toujours en cours. "Une tribune d’imbéciles", avait réagi Didier Raoult, qui s’était plaint d’être "persécuté et harcelé". Le professeur marseillais n’a jamais cessé d’affirmer que son traitement fonctionne, sans pour autant apporter les preuves permettant de convaincre la communauté médicale et scientifique.

"Même en période de crise sanitaire, la prescription de médicaments sans preuves solides d’efficacité, en dehors du cadre rigoureux d’essais cliniques bien conduits, demeure inacceptable. L’un des principes fondamentaux de la médecine - primum non nocere (d’abord, ne pas nuire) - a ici été sacrifié, avec des conséquences dramatiques", pointe encore la SFPT. Si Didier Raoult a été sanctionné par l’ordre des médecins et les Hôpitaux Universitaires de Marseille ainsi que les autorités, qui l’ont poussé à la retraite, de nombreux autres coauteurs de l’étude sont toujours en poste à l’IHUm de Marseille. Parmi eux, Philippe Gautret, Jean-Christophe Lagier, Philippe Parola, Bernard La Scola, Jean-Marc Rolain, Philippe Brouqui et Eric Chabrière. Pour l’heure, ils n’ont pas été inquiétés.

En rouge, le nombre d'articles rétractés associés à chaque dirigeants. 31 études de l'IHU ont été rétractées en tout, certaines étant signées par plusieurs auteurs de l'IHU.

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