Une thérapie ciblée pour inverser le déclin français
La France doit en finir avec la croissance à crédit. Concernant nos dépenses, l’émergence du numérique et de l’intelligence artificielle rend incompréhensible l’augmentation continue des effectifs d’agents publics… Sans remise en cause préalable profonde de notre modèle économique, parler de transition environnementale, de réindustrialisation, de nouvelles centrales nucléaires ou de développement de grandes infrastructures nationales est vain. Dans le contexte actuel de crédibilité dégradée de la parole politique, seul le recours au référendum gaullien permettrait d’obtenir l’assentiment des Français sur les mesures radicales à prendre. L’analyse de Philippe Nguyen.
Investisseur dans les industries décarbonées sur différents continents, témoin de la remarquable percée technologique du Sud global dans le monde, par ailleurs conseiller économique de deux candidats à la présidentielle française (2012 et 2022), il m’apparaît utile de présenter quelques pistes pour inverser l’inexorable déclin français vécu depuis quatre décennies.
Stabiliser le modèle social
En premier lieu, il convient d’être conscient que deux quinquennats seront probablement nécessaires pour y arriver. Ceci signifie que le porteur, courageux, d’une telle ambition en 2027, a toutes les chances de ne pas se faire réélire en 2032, la malédiction Schröder en quelque sorte.
En second lieu, on ne pourra pas faire l’économie de recentrer le « modèle social » français, que personne au monde n’envie en réalité, contrairement à ce que pensent les Français.
En troisième lieu, c’est bien la croissance qu’il faut privilégier mais une croissance vertueuse, pas une croissance à crédit, au détriment des générations futures. L’épargne privée devra de fait être mobilisée massivement, ce qui est un changement de paradigme.
Enfin, un véritable scénario de redressement devra recueillir l’assentiment d’une grande majorité de Français, pas la moitié mais plutôt les deux-tiers. Ceci appelle un rassemblement transpartisan dépassant les clivages picrocholins actuels. La légalité représentative n’est aujourd’hui clairement plus en phase avec la légitimité populaire.
La France doit renouer avec une discipline macroéconomique sans faille, dans la durée. Il ne s’agit plus désormais d’ajustement à la marge avec telle ou telle mesure sur la fiscalité de l’énergie, de baisse ou de hausse ciblée de la TVA, de taxation des « riches » et des « superprofits », de déremboursement de médicaments ou de suppression d’agences administratives. Inverser le déclin français passe par une discipline macroéconomique forte, s’inscrivant dans la durée.
Notre modèle social est en bout de course. Les dépenses sociales publiques françaises représentent 32,2% du PIB, soit 909 milliards d’euros en 2023, contre 27% en moyenne dans l’Union européenne et 20% dans l’OCDE.
L’objectif premier doit être de réduire progressivement le poids des dépenses sociales publiques dans la production annuelle de richesse. Passer de 32,2 % du PIB à la moyenne européenne, soit 27 %, serait un bon objectif macroéconomique, au-delà des considérations techniques relatives aux différences entre systèmes sociaux nationaux. Ceci correspondrait à une maîtrise des dépenses sociales publiques de 147 milliards en euros constants (le déficit budgétaire 2023) au bout de 10 ans, soit un effort relatif d’une quinzaine de milliards d’euros par an. C’est-à-dire en fait un objectif de stabilisation des dépenses sociales publiques en euros courants, du fait d’une inflation cible à 2%. Il n’y a pas mille possibilités pour atteindre cet objectif. Soit divers dispositifs sociaux sont rendus moins favorables ou sont tout simplement supprimés, soit une désindexation partielle ou totale est mise en œuvre sur longue période. Tout scénario hybride, associant ces deux orientations en proportions variables, dispositif par dispositif, est bien sûr envisageable. Ceci laisse une grande latitude politique quant au choix des dépenses sociales à privilégier ou non.
Prenons l’exemple des retraites. Les dépenses de retraite représentent 13,5% du PIB, soit 381 milliards d’euros en 2023. Nous devrons à l’évidence encore procéder à une nouvelle réforme dans les années à venir, compte tenu de l’allongement de la durée de vie et de la dégradation inéluctable du ratio « actifs sur retraités ». Les problématiques exprimées de façon passionnelles sur l’âge de départ à la retraite (60, 62, 64, 67ans,…) et sur l’indexation partielle ou totale des retraites ont empêché de considérer froidement et collectivement les solutions envisageables, acceptables socialement et compatibles avec les finances publiques. Le choix d’un départ à la carte, tenant compte des carrières longues, des métiers pénibles, des parcours professionnels hachés et des petites retraites, est possible tout en étant financé sur la durée.
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Une dose de capitalisation sera en tout état de cause indispensable, d’autant plus qu’elle sera vertueuse quant aux financements futurs des investissements souverains. L’exemple hollandais, qui fait l’objet d’un consensus national, est à cet égard un bon exemple. Nous touchons du doigt, sur cette question des retraites, la nécessité de sortir des postures et d’accéder à un assentiment populaire de bon sens.
Autre domaine, la santé. Les dépenses de santé représentent 12,1% du PIB, soit 342 milliards d’euros en 2023. Régulièrement chaque année se joue un psychodrame sur le dérapage des dépenses de santé, la baisse alarmante de la qualité des services hospitaliers ou l’extension des déserts médicaux.
Objectif envisageable : stabiliser les dépenses de santé en proportion de la richesse nationale, soit 12,1% du PIB et revenir progressivement à un bon niveau de service public. Ceci laisse la France dans le peloton de tête de l’OCDE, derrière les États-Unis et à peu près au même niveau que l’Allemagne, étant observé que l’OCDE affiche un niveau de dépenses de santé moyen à hauteur de 9,2% du PIB. Pour information, si la France s’alignait sur la moyenne OCDE, les Français économiseraient 82 milliards d’euros chaque année.
Les mesures à prendre, décapantes pour la France… et normales pour n’importe quel autre pays, sont à cet égard connues.
Ajuster et redynamiser la sphère publique
Il convient de se demander pourquoi l’Allemagne gère ses services publics avec 4,6 millions d’agents publics contre 5,5 millions d’agents publics pour la France, alors qu’elle a 24% de population en plus et des institutions décentralisées. Or, les services publics allemands ne sont pas moins bons que les services publics français.
Un objectif de réduction de 20% des effectifs publics est ainsi envisageable pour la France, pour la ramener au niveau de l’Allemagne (en nombre d’agents publics mais pas en proportion de la population), atteignable de façon progressive sur une décennie, soit une réduction programmée d’un million d’emplois publics et une amélioration des finances publiques autour de 60 milliards d’euros en régime de croisière. Objectif bien raisonnable : il s’agit de revenir à la situation de la France des années 2000, à une époque où le numérique n’était pas généralisé et où l’intelligence artificielle était balbutiante.
Il n’y aura pas de « grand soir » : ce programme devra faire l’objet d’une concertation avec les organisations représentatives quant aux processus à mettre en œuvre : adaptation des services et des rémunérations (en mieux…), plateformisation humanisée des services publics permise par le numérique et l’intelligence artificielle en bonne entente avec les agents, départs à la retraite non remplacés mais sans impact opérationnel, aide au reclassement interne et externe, formations complémentaires, appui à l’entrepreneuriat. Plans de licenciement ou dispositifs de radiation des cadres ne seront pas nécessaires. La demande de sens des agents publics dans leur travail constituera aussi un moteur puissant d’accompagnement et de bon atterrissage. Nous ne sommes en France, à l’évidence, qu’au début des transformations majeures qu’enregistrent les secteurs publics sur toute la planète.
Il sera probablement utile de reconsidérer les catégories d’agents publics pour lesquelless s’impose le bénéfice du statut de fonctionnaire, mis en place, rappelons-le, par le Conseil National de la Résistance à la Libération, soit il y a… quatre-vingts ans !
L’évolution du management public est aussi au cœur de l’amélioration des services publics et de leur efficience : il est ainsi urgent de concentrer la responsabilité et la décision publique au plus près du terrain, de redonner aux préfets une capacité d’impulsion et de décision localement, de permettre aux responsables d’unités administratives de base de récompenser et de sanctionner leurs collaborateurs, de les promouvoir et de les inciter à adapter leurs organisations administratives.
C’est une approche positive qu’il faudra promouvoir avec les agents publics, une dynamique de services publics « réenchantés », en quelque sorte. La fonction publique y est globalement prête, si elle est étroitement associée à la mise en œuvre de ces changements.
Une croissance vertueuse
La croissance a des retombées positives sur le pouvoir d’achat, l’emploi et les finances publiques. Nous pouvons dès lors nous demander pourquoi il est devenu si difficile d’atteindre le taux de croissance dite naturelle du pays, qui pour mémoire s’inscrit dans une fourchette de 1 à 1,2%.
La croissance, en fait, ne se décrète pas. C’est la résultante de nombreuses décisions, publiques et privées, qui d’abord repose sur la confiance des acteurs économiques. La croissance dépend aussi de ses modes de financement : ce n’est pas la même chose que de financer la croissance par la dette publique que de la financer par l’épargne privée.
Et à partir d’un certain niveau de prélèvements obligatoires (avec 45,6% du PIB selon Eurostat, nous avons hélas dépassé ce seuil depuis 2009), le multiplicateur keynésien des dépenses publiques passe en-dessous de 1, c’est-à-dire que 1 euro de dépenses publiques se traduit par moins d’1 euro de création de richesses.
Or, les besoins en investissements complémentaires de bien commun du pays sont importants : de l’ordre de 100 milliards d’euros par an, en transition environnementale, centrales nucléaires, infrastructures, technologies, réindustrialisation, fonds propres des PME/ETI, souveraineté industrielle et agricole. Là aussi, les enjeux prennent une dimension macroéconomique.
La mise en place d’un fonds souverain financé par l’épargne privée française, à hauteur de 100 milliards d’euros par an, soit 500 milliards d’euros sur cinq ans, répond à cette problématique de croissance vertueuse. Pour mémoire, le fonds souverain norvégien s’élève à 1700 milliards d’euros.
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En parallèle de la stabilisation des finances publiques, ce fonds souverain constitue un moteur macroéconomique permettant le rehaussement de la croissance naturelle française, passant de 1/1,2% à 2/2,5% par an sur la durée. Rien de magique dans cette perspective : ce fonds souverain permet une impulsion macroéconomique annuelle de l’ordre de 3% du PIB, compensant les effets récessifs de la baisse des dépenses publiques, sans avoir besoin de mobiliser de l’argent public, puisqu’il est financé par de l’épargne privée. Un placement privé complémentaire et non concurrent de l’épargne défiscalisée et de l’assurance-vie. Les émissions annuelles du fonds souverain ne représentent en effet que 4% des encours du livret A, du livret de développement durable et solidaire ainsi que de l’assurance-vie.
C’est du reste comme cela que les chemins de fer, les grands magasins et l’industrie se sont développés au XIXème siècle. Les Français deviennent actionnaires de l’économie française.
Une trajectoire de finances publiques enfin sous contrôle
L’ensemble de ces orientations permettent de passer en excédent budgétaire primaire (hors charges financières) en trois/quatre ans, de placer la dépense publique en-dessous 50% du PIB (57% actuellement) en sept/huit ans et de stabiliser puis ramener la dette publique en dessous de 100% du PIB sur la décennie. C’est long mais c’est atteignable sans fractures majeures au sein du pays.
Les agences de notation devraient assez vite remonter la note souveraine de la France, réduisant ainsi la charge annuelle de la dette publique.
Restaurer le référendum gaullien pour l’adhésion de deux Français sur trois
Se donner des objectifs macroéconomiques sur la durée permet de mettre en œuvre des réformes opérationnelles avec la souplesse nécessaire et de rendre le modèle français soutenable financièrement, sans le défigurer.
Plutôt qu’un plan technocratique, tout aussi pertinent soit-il, c’est une feuille de route traduisant des choix politiques qu’il convient de promouvoir, avec l’assentiment préalable d’une large majorité de Français.
Nous avons tout à gagner à renouer avec la pratique du référendum gaullien, dans le contexte actuel de crédibilité dégradée de la parole publique. Un référendum posant de vraies questions, assorti de formulations claires et non biaisées, de vrais débats publics, en particulier sur le système de retraite, le modèle social français et l’évolution des services publics.
La femme ou l’homme politique qui s’engagera dans une telle démarche de vérité, de transparence et de courage, gagnera la présidentielle 2027, c’est ma conviction profonde. La légitimité et le temps seront là pour permettre la mise en œuvre d’un réel programme d’inversion du déclin français. Le référendum constituera enfin une arme puissante pour dépasser les clivages partisans. Un retour à l’esprit originel de la Constitution de 1958.
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