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Où va la médecine en France ?

Ancien chef de clinique-assistant des Hôpitaux de Paris, médecin en exercice libéral depuis 1984, créateur de services de médecine interne et gériatrique dans des cliniques privées, le docteur Hervé D. Nahum a pu observer l’évolution fantastique des technologies médicales mais aussi les réformes catastrophiques qui ont abouti à la situation dramatique actuelle. Oui, il mesure les adjectifs employés. Témoignage.


« L’offre crée la demande ». Tel a été le principe des nombreuses réformes dans le domaine médical au cours des années. Et au nom de cette affirmation, la réduction de l’offre de soins fut l’objectif de toutes les administrations et gouvernements successifs.

Tout a commencé avec le numerus clausus des étudiants en médecine et autres en 1971. Il fallait réduire le nombre de médecins et autres professions apparentées afin de réduire le déficit de la sécurité sociale. L’administration pensait que les citoyens et les médecins se livraient à un abus de consommation de soins. La sécurité sociale était alors un organisme de droit privé géré par les syndicats. Il y avait d’ailleurs des élections !

Puis, dans les années 90, l’assaut a été donné aux structures hospitalières privées et publiques : les petites cliniques furent l’objet de normes qu’elles ne pouvaient assumer, les obligeant à se regrouper et donner naissance de ce fait à de grands groupes. Ces grands groupes, structures commerciales devant faire des bénéfices, ne pouvaient faire autre chose que de réduire le service à mesure des réformes restrictives imposées par l’État. Les prix des prestations prises en charges par la sécu semblaient calculés pour permettre un budget au plus juste des établissements qui faisaient des économies d’échelle par leur regroupement. Les hôpitaux publics ont vu le fameux « pouvoir médical » et celui de ceux qu’on appelait complaisamment « mandarins » se réduire au profit de l’administration qui a privilégié sa croissance au détriment des équipes de soins. L’émiettement du « pouvoir médical » à l’hôpital avait commencé avec la création des CHU (réforme Debré dans les années 60). Les grands patrons étaient en voie d’extinction.

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Quant à la médecine de ville, son évolution a été tout aussi désastreuse avec une ruée vers les urgences hospitalières :

— L’abolition de l’obligation de garde des médecins généralistes par le gouvernement Jospin, a contraint les patients à se précipiter aux urgences ! Les villes avaient un médecin de garde qui répondait aux urgences par des visites à domicile.  Je l’ai fait et cela fonctionnait bien.  (Il n’y avait pas encore de SAMU)

— L’absence de consultation de médecine ouverte l’après-midi dans les hôpitaux a contraint les patients à aller aux urgences.

— La quasi-disparition des consultations ouvertes de médecine générale de ville au profit des consultations sur rendez-vous a aussi orienté les patients vers les seules structures ouvertes, les urgences hospitalières.

— Le refus actuel d’accepter « de nouveaux patients » par certains médecins a rendu illusoire l’obligation pour un patient d’avoir un médecin traitant et donc a conduit les patients, naturellement, vers les urgences hospitalières. Ce refus, inexplicable selon l’éthique de la médecine, serait dû à la surcharge de travail des médecins qui sont moins nombreux. Lorsque je consultais en médecine générale à Sarcelles, les cabinets affichaient leurs horaires d’ouverture et tout un chacun pouvait y entrer librement, étant sûr d’être reçu.

Bien entendu, il faut aussi compter avec le vieillissement de la population et l’afflux de plusieurs centaines de milliers de personnes venant de pays pauvres. Ces derniers, porteurs de pathologies fréquentes voire particulières quoique pas forcément infectieuses, du fait de leur misère ou conséquences des modes de vie dans leur pays d’origine, ont l’habitude d’avoir recours plutôt à l’hôpital qu’à la médecine libérale, onéreuse dans leur pays.

Tout cela n’a fait qu’aggraver la situation de la médecine en France.

J’ai pratiqué la médecine générale avant tous ces bouleversements, j’ai vécu la destruction programmée de la médecine, avec la nécessité d’importer des médecins et des infirmières de l’étranger et parfois non francophone. J’ai vu les malheureux étudiants faire leurs études de médecine en Belgique ou en Roumanie et même entendu dire qu’une faculté de médecine portugaise s’était un jour implantée dans le Midi de la France…

J’ai été le témoin affligé de cette évolution. Gouverner c’est prévoir, dit-on. Pendant ces quarante dernières années, il semble que nos dirigeants ont été incapables de prévoir le devenir de la médecine. 

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Enfin, il faut souligner la césure souvent profonde qui existe entre la médecine hospitalière et la médecine de ville. L’impossibilité trop fréquente de joindre des médecins hospitaliers, avec un barrage infranchissable même pour adresser un patient, la généralisation de rendez-vous sur des plateformes, sans possibilité de joindre un médecin, même libéral. Tout cela génère une coupure entre les patients, qui sont l’objet d’une nouvelle médecine que j’appelle de « masse », et les médecins ainsi qu’entre les médecins de ville et ceux de l’hôpital public.

J’ai l’impression que beaucoup de médecins sont devenus des techniciens dont l’humanité a été réduite du fait de la multiplication des techniques et des procédures. La relation médecin-patient en a été altérée, frustrant très souvent le malade dans son attente.

Si l’on veut remédier à tout cela, il faut former des médecins cliniciens. Les étudiants en médecine attirés par la technique – et on le comprend, vu sa nouveauté permanente – ne peuvent pas en même temps apporter au patient le temps nécessaire à ce qui fonde la relation. En effet tout à sa technique ou à sa prise en charge spécifique, on peut comprendre que la relation humaine soit estompée.

Il faudrait ainsi former plusieurs catégories de médecins. On avait autrefois les médecins et les chirurgiens, une troisième catégorie est apparue, les médecins-techniciens dont la spécialité étroite et toujours en évolution, laisse peu de place à un autre type de prise en charge, celle de la médecine attendue par les citoyens.

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