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"En fanfare", un hymne à l’industrie française, par Nicolas Bouzou

Cette année 2024 n’a pas seulement été celle de nos fabuleux Jeux olympiques et de la réouverture de Notre-Dame. Ce fut aussi un excellent cru pour le cinéma français. D’après le CNC, la part de marché des films tricolores a atteint, dans nos salles, 44,4 %. Un record. Un p’tit truc en plus a dépassé les 10 millions d’entrées et Le Comte de Monte-Cristo les a quasiment atteint. Sorti tard dans l’année, le fabuleux L’Amour ouf de Gilles Lellouche frise les 5 millions d’entrées. En fanfare, sur les écrans depuis le 27 novembre, dépasse déjà 1,3 million de spectateurs en quatre semaines. Le film d’Emmanuel Courcol avec Benjamin Lavernhe et Pierre Lottin, est une comédie sociale qui se déroule sur fond de désindustrialisation dans la région des Hauts-de-France. Comme dans The Full Monty et Les Virtuoses mais près de trente ans plus tard, En Fanfare met en scène la performance artistique d’ouvriers dont l’usine est menacée de fermeture et un conflit de classe qui tente de se résoudre par la musique. Allez le voir, c’est superbe.

L’émotion créée par le film a en partie à voir avec le phénomène de désindustrialisation. Loin d’être manichéenne, l’histoire raconte des ouvriers qui aiment leur travail, qui aiment leur usine, qui aiment sans doute leur entreprise et qui refusent l’assistanat. Ces idées simples et justes sont beaucoup plus répandues qu’on ne le pense bien qu’elles soient sous-représentées dans les médias qui laissent une grande audience aux thuriféraires du droit à la paresse et de la décroissance. La réalité de notre pays, c’est que la majorité de nos concitoyens aspire au progrès matériel et à l’élévation sociale, sans disposer spontanément de tous les codes qui permettent d’y parvenir, ce que montre parfaitement le film d’Emmanuel Courcol. Mais la question n’est pas seulement économique. Une usine qui s’arrête, ce sont non seulement des emplois en moins mais aussi des commerces qui s’éteignent, une école qui ferme, un village déserté. Voilà pourquoi le sujet de la réindustrialisation doit être au cœur de nos politiques publiques.

La crise de 2008 n’a jamais été digérée

Où en est la France à cet égard ? L’étude de l’indice de production industrielle de l’Insee est riche d’enseignements peu connus. Depuis 1990, la production dans notre pays est stable. Plus exactement, elle a progressé de 1,8 %. 1,8 % en 34 ans ! Bien sûr, cette tendance masque des variations brutales. Notre industrie s’est quasiment remise de la pandémie. En revanche, elle n’a jamais récupéré après la crise de 2008. Voici donc plusieurs résultats contre-intuitifs : la France ne souffre pas d’une brutale désindustrialisation mais d’une apathie industrielle. Le Covid que tout le monde a en tête a été digéré (au prix du "Quoi qu’il en coûte" qui, de ce point de vue, n’a pas été inutile). La crise de 2008, que presque tout le monde a oubliée, a eu un effet délétère en accélérant les fermetures d’usines dans l’Hexagone.

Comment sortir de ce marasme ? Le rapport Gallois de 2012 avait constitué une heureuse mise au point en sensibilisant le pouvoir à la politique de l’offre, laquelle a constitué la matrice d’Emmanuel Macron et de Bruno Le Maire à partir de 2017. Fondée sur la baisse de la fiscalité des entreprises et du capital, elle a donné quelques résultats positifs : hausse des projets d’implantations étrangères en France, augmentation du nombre d’ouvertures d’usines, arrivée spectaculaire de gigafactories, notamment dans les Hauts-de-France. Malheureusement, la dissolution, l’instabilité politique et la possibilité de voir accéder au pouvoir le RN ou le NFP ont stoppé ce petit élan.

Une géographie industrielle dominée par les Etats-Unis

Libérer le potentiel industriel de notre pays ces prochaines années est possible mais en intégrant une nouvelle donnée. Quand on regarde la géographie industrielle du monde, on voit que très clairement, à partir de 1989, les capacités de production manufacturières se sont déplacées de l’Ouest vers l’Est. Depuis 2022, elles tendent à se déplacer de l’Europe et de l’Asie vers les Etats-Unis, notamment grâce à l’abondance d’une énergie bon marché et de moins en moins carbonée. Le grand plan de simplification et de déréglementation annoncé par le tandem Donald Trump/Elon Musk est de nature à accentuer ce mouvement. Si l’Europe et la France ferment les yeux ou se contentent de jugements moraux sur cette politique, le peu d’industrie qui nous reste disparaîtra. Et le cinéma social à la En fanfare deviendra alors le genre dominant.

Nicolas Bouzou, économiste et essayiste, est directeur du cabinet de conseil Asterès

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