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Jamel Debbouze, pâte à tartiner… Dans les médias algériens, la France en obsession

Ce pourrait être un article comme un autre, relayant un appel au boycott comme un autre. Mais rien n’est anodin dans ce papier du journal en ligne algérien TSA du 2 janvier, ainsi titré : "Appels au boycott du nouveau film de Jamel Debbouze (Mercato, en salles en février prochain, NDLR)".

D’abord, la cible : Jamel Debbouze. L’initiateur du boycott relayé dans cet article, l’influenceur "Hattek HB3", suivi par 189 000 personnes sur TikTok, reproche au comédien son silence sur l’agression israélienne contre Gaza. Par le passé, d’autres personnalités publiques ont été critiquées pour les mêmes raisons sans faire la Une de la presse algérienne. Mais voilà, l’humoriste cumule les deux pires tares du moment aux yeux du régime et de ses affidés : être français…. et marocain à la fois, soit la somme des deux ennemis des ultranationalistes aux manettes à Alger, la France pour son passé colonial, le Maroc pour la dispute séculaire qui l’oppose à son voisin au sujet du Sahara occidental, un espace disputé considéré par l'ONU comme territoire non autonome.

Ensuite, la source : TSA. Longtemps considéré comme un site fiable dans un paysage médiatique algérien plombé par la censure et l’autocensure, le journal semble désormais agir sur commande du pouvoir algérien. On n’y lit plus que les marottes du régime, au premier rang desquels la querelle franco-algérienne et les frasques du grand rival marocain.

Enfin, le contexte : entre Paris et Alger, la fièvre franchit des seuils jamais vus dans une relation diplomatique pourtant jalonnée de crises. L’arrestation récente, en France, de plusieurs "influenceurs" franco-algériens et algériens appelant à la violence contre des opposants du régime, la communauté juive et la société française est l’ultime épisode de cette escalade déclenchée, fin juillet, par la reconnaissance par Emmanuel Macron de la "souveraineté marocaine" sur le Sahara occidental.

Bataille médiatique

Depuis six mois, la crise diplomatique se double d’une guerre des mots et d’une bataille médiatique qui vire à l’obsession dans la presse aux ordres du pouvoir algérien. "Un spectacle tragicomique, constate, amer, un opposant algérien exilé en France. C’est bien simple : il n’y a plus de presse algérienne." Quand ce n’est pas l’APS, agence de presse officielle algérienne, qui voit en l’écrivain Boualem Sansal – emprisonné depuis 55 jours en Algérie – un "pantin du révisionnisme anti-algérien" soutenu par une "France Macronito-Sioniste", ce sont ces médias privés qui se muent en organes de communication. Tout est alors prétexte à hystérisation, tout est bon pour lustrer Alger et débiner Paris, y compris les histoires les plus anecdotiques, en apparence. Par exemple ces articles sur le retour au pays d’Algériens de France, au moment même où la fuite des cerveaux s’accélère en Algérie : "En 2024, Katia laisse derrière elle la France et sa grisaille et réussit à ouvrir à Djanet une maison d’hôtes", lit-on dans ce papier de TSA.

"L'affaire" El Mordjene

Autre thème de choix, les success stories des produits algériens à l’export. "Pour plaire au régime, beaucoup de journaux font malheureusement la part belle à ces exportations, aussi anodines soient-elles, pour montrer que l’Algérie n’exporte pas que des hydrocarbures", constate Hamid Arab, directeur de la publication du journal Le Matin d’Algérie, établi en France. Le cas "El Mordjene" a fait grand bruit ces dernières semaines. El Mordjene, du nom de cette pâte à tartiner "made in Algérie" interdite sur le marché français en septembre après un gros buzz sur les réseaux sociaux. Quelques semaines plus tôt, des influenceurs vantent alors ce "Nutella DZ" (NDLR : référence à Dzaïr, prononciation en arabe du mot "Algérie"), fabriqué à Oran par l’entreprise familiale Cebon. En France, la demande croît, à tel point que l’enseigne de grande distribution Carrefour s’apprête à la commercialiser. Mais la belle histoire s’arrête net à la mi-septembre au port de Marseille : des containers pleins de pots de cette crème de noisette sont bloqués par les douanes. Le produit ne respecterait pas les règles de l’Union européenne relatives à l’importation et à l’exportation de produits laitiers.

Sur l’autre rive de la Méditerranée, la presse fulmine. "L’accord d’association entre l’Algérie et l’Union européenne [NDLR : qui visait à "établir une zone de libre-échange entre l’UE et l’Algérie"], entré en vigueur le 1er septembre 2005 […] ne prime-t-il pas sur les législations européennes ?", s’interroge El Watan, évoquant un "problème d’iniquité commerciale flagrant".

Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Devant le succès d’El Mordjene, un Français d’origine algérienne décide d’imiter ses compatriotes et lance "Nella Delice", vendu comme un "produit algérien". A Alger, la presse ne tarde pas à se faire l’écho de cette nouvelle "sensation", avec une pointe d’exagération sur le succès de cette pâte. "Elle ne sera pas interdite comme El Mordjene : voici comment Nella Délice a dribblé la France", jubile le site DNAlgérie. Sauf que… drame ! Ladite "Nella Delice" est en réalité fabriquée en Turquie ! Rétropédalage en règle de TSA, qui raille cette "tentative désespérée de surfer sur la vague du succès d’El Mordjene".

"Le vide politique est tel en Algérie, les perspectives si inexistantes – autres que la prison, la répression et la misère – qu’une simple pâte à tartiner devient une affaire d’Etat et un sujet bilatéral franco-algérien !", se désole Hamid Arab. Voilà ce que souligne, en creux, la crise diplomatique à l’œuvre entre Alger et Paris : un "système" algérien à bout de souffle, mû par une haine d’Etat tous azimuts.

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