Bayrou, le petit chose
Après avoir dirigé trois petits partis, occupé tous les postes de la République ou presque et brigué trois fois la magistrature suprême, François Bayrou voit ses efforts récompensés. Si au cours de sa carrière le Béarnais a accepté de ronger son frein et d’avaler tant de couleuvres, c’est qu’il est doté d’une confiance en soi à faire pâlir Jupiter.
Longtemps François Bayrou va se coucher de bonne heure devant les héritiers en politique que sont les Baudis, les Barrot, les Méhaignerie, les Bosson, tous nés coiffés d’une circonscription douillette, tous promis à des ministères. L’agrégé de lettres reçu à une modeste 76e place ronge son frein durant seize longues années en servant de scribe à l’ensemble de la famille démocrate-chrétienne. Il est tour à tour la plume de Jean Lecanuet, de Pierre Pflimlin, de Pierre Méhaignerie, d’une kyrielle d’augustes inconnus « fils de » et l’éditorialiste de Démocratie moderne, l’hebdomadaire du parti. Il gratte, gratte, gratte et, surtout, cajole ces importants qui ouvrent rarement un livre et qui s’amusent de ce fils d’agriculteur aux longs cheveux bouclés qui n’a pas encore complètement vaincu ses difficultés d’élocution.
« Où est François ? Il n’a pas rendu son texte ! » sera la question la plus entendue au siège du CDS du boulevard Saint-Germain. En ces temps-là, le centrisme communie dans l’extase du giscardisme triomphant. On se donne des frissons en lançant dans des colloques aux salles vides que l’immigration est une chance pour la France et que l’avenir appartient à un travaillisme à la française.
Bayrou dont les premiers émois spirituels furent provoqués par Lanza del Vasto, ce dandy disciple de Gandhi, sait se rendre indispensable pour mettre le catholicisme social en musique. L’ambition vaut bien une messe. Mais le biographe d’Henri IV aura l’âme d’un Ravaillac en songeant à ces humiliations passées.
De fils d’agriculteur à chef de parti
Quand il parvient, contre toute attente, à déloger le dernier « fils de » du CDS en 1994, il ne peut s’empêcher de lancer rageur à la tribune : « Comme s’il n’y avait que la génétique qui permettait d’entrer dans cette famille-là ! »
Chef de parti enfin ! Certes, la formation qu’il préside compte peu sur l’échiquier politique, mais l’enfant de paysan qu’il est préfère être maître chez lui. D’autant qu’il a vu se dresser devant lui un autre obstacle : les énarques. De Gaulle voulait « des agrégés sachant écrire ». Ce temps est passé et les écuries des présidentiables réclament auprès d’eux des énarques sachant compter.
Face à ces petits messieurs en costume gris avec leurs dons de tout savoir et de tout comprendre, leur façon policée de réduire le combat politique à une querelle d’experts, leur manière inimitable de pasteuriser le moindre débat idéologique au nom de prétendus impératifs de gestion, Bayrou fait, encore une fois, tache avec ses envolées lyriques et laborieuses. Il ne suffit pas de poser ses bagages au cœur du 7e arrondissement pour être des leurs. Ces gens-là possèdent un indécrottable esprit de caste. Le jeune dépité des Pyrénées-Atlantiques apprend que la politique est le royaume des ascenseurs que l’on renvoie rarement. Il lui reste donc à emprunter l’escalier de service puisque les autres ont la fâcheuse manie de le prendre pour un liftier.
On dit souvent que Bayrou a toujours eu une haute idée de lui-même. C’est juste. On souligne aussi qu’il est persuadé qu’aucune personne ne croise sa route par hasard. C’est vrai. Enfin, on prétend qu’il s’est vu élu, depuis sa tendre enfance, dans le petit village de Bordères où le doigt de Dieu se serait posé sur son front. C’est faux.
De même, une légende dorée aime à répéter combien Jacques Delors compta pour lui, trouvant chez cet Auguste un modèle de carrière, celui du fils du peuple, formé à l’école publique et bonifié au fil des ans par l’humble fréquentation des caïds de la politique. Le seul intérêt de cette prétendue proximité est de mettre Martine Aubry dans des rages froides. En vérité, un homme politique fut bien plus essentiel à son parcours. Il s’agit de François Mitterrand.
Pour comprendre, il faut revenir à ce fameux et fumeux épisode des « rénovateurs » de la droite, qui remonte à plus d’une trentaine d’années. Le 13 décembre, à l’occasion de la traditionnelle passation de pouvoir devant les marches de l’hôtel Matignon, le nouveau Premier ministre ne peut s’empêcher de l’évoquer avec son prédécesseur au grand étonnement des observateurs.
Rencontre avec Mitterrand…
Après la présidentielle de 1988, six jeunes députés UDF et six jeunes députés RPR parmi lesquels Seguin, Fillon, Noir, Barnier et Bayrou rêvent de secouer le cocotier de la droite avec une vacuité galactique pour tout projet. Libération leur déroule un tapis rouge. Jacques Pilhan racontera, en privé, comment Mitterrand les reçoit à tour de rôle avec gourmandise, promettant à chacun des « révoltés » un destin présidentiel.
Aucun ne prit autant pour argent comptant la parole mitterrandienne que Bayrou. Il est vrai que le président avait actionné pour le séduire trois leviers forts : les lettres, l’enracinement local et l’éloge de la flânerie qui magnifie les absences et les retards. Il est vrai aussi que cet expert savait faire mieux que flatter les ego : témoigner de la considération à son interlocuteur.
Pour le reste, il distilla au jeune Béarnais les mêmes conseils qu’aux autres : prendre le contrôle d’un appareil politique et ne pas craindre de se présenter trois fois à la présidentielle. L’ennui de cette recette de grand chef est qu’elle figurera dans tous les livres de cuisine. Le moindre gâte-sauce s’y essaiera.
Bayrou a eu constamment en tête la geste mitterrandienne qui anoblit les changements de pied politiques. Lors des deux dernières présidentielles où il se présente, lui, l’homme de centre-droit, plante sa tente dans le champ de la gauche. Il n’a, en fait, qu’une seule feuille de route : ne plus jamais être humilié. Fillon ne le comprit pas. Le 20 février 2017, Bayrou reçoit encore des notes le confortant dans son choix de briguer la magistrature suprême. Mais la morgue et le mépris des équipes du candidat de la droite suffiront à le convaincre de rallier le panache de Macron deux jours plus tard. Ce dernier, une fois élu, commet le même impair en le traitant avec insolence. Il le convoque, en décembre dernier, pour lui annoncer qu’il ne sera jamais premier ministrable et qu’il doit s’effacer pour laisser la place à un nouveau chouchou présidentiel. Fatale erreur ! Au moins Henri III avait-il désigné comme successeur le roi de Navarre, son soutien. Mais l’Histoire ne bégaie pas.
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