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Budget américain : cette discrète clause qui affole les investisseurs étrangers

On dit souvent que le diable se cache dans les détails. Et dans un document de plus de 1000 pages, il a de quoi s'y loger confortablement. Parmi les nombreuses dispositions du tentaculaire paquet fiscal porté par Donald Trump, la "section 899" est d’abord passée inaperçue. Officiellement intitulée "mesures contre les impôts étrangers injustes", cette clause prévoit une surtaxe de 5 à 20 % sur les revenus d'investisseurs issus de pays "discriminatoires". Autrement dit, des Etats accusés d'appliquer une fiscalité "injuste" aux entreprises américaines, ce qui englobe les taxes sur les services numériques, celles sur les bénéfices détournés et la règle relative aux paiements insuffisamment imposés. L’Europe, avec sa taxe Gafa, a de quoi être inquiète.

Cette mesure au parfum de vengeance n'a pas tardé à semer la confusion sur les marchés… et a donné du grain à moudre aux cabinets d’avocats d’affaires. D’abord car ses contours demeurent flous. Et potentiellement, son périmètre est immense. Depuis plusieurs semaines, les spéculations vont bon train sur les types de revenus soumis à la surtaxe. "A priori, elle s'appliquerait aux dividendes et aux plus-values, tandis que les obligations et les bons du Trésor seraient épargnés, même si le texte définitif est encore en délibération", détaille Raphaël Gallardo, chef économiste chez Carmignac. Autre source d’incertitude : la liste des "pays étrangers discriminatoires" n’est pas encore définie, laissant carte blanche au Trésor américain pour décider qui entre dans son collimateur. Enfin, le texte précise que de nouvelles taxes étrangères pourraient intégrer à l'avenir la catégorie "fiscalité injuste". Ce qui pourrait étendre la liste des pays jugés hostiles.

En parallèle, la clause cible les filiales américaines de sociétés étrangères. Désormais, les sociétés détenues à plus de 50 % par des entreprises domiciliées dans un Etat dit "discriminatoire" seront soumises à une fiscalité plus importante. Etonnant paradoxe, à l'heure où Donald Trump s'échine à encourager l'investissement international sur le sol américain.

Géopolitisation de la fiscalité

Alors, quel est l'objectif recherché ? Aspirant à plus de symétrie, Donald Trump espère aboutir à une politique de taxation plus favorable aux entreprises américaines en incitant les pays "discriminatoires" à alléger leur fiscalité. Dans ce billard à trois bandes, la clause pourrait aussi représenter un instrument de pression dans les négociations que Washington multiplie avec ses partenaires commerciaux.

Mais le président américain mène, en réalité, une offensive plus large. Derrière "la règle relative aux paiements insuffisamment imposés", il a dans son viseur le projet de l’OCDE consistant à établir un cadre de fiscalité mondiale. Plus particulièrement, le Pilier 2 de cette initiative qui consiste à instaurer un impôt mondial minimum de 15 % sur les multinationales. A peine arrivé à la Maison-Blanche, le président républicain s'était empressé de rejeter en bloc ce projet d'harmonisation, ordonnant de "notifier à l'OCDE que les engagements pris par l'administration précédente au nom des États-Unis dans le cadre de l'accord fiscal mondial n'ont aucune force ni aucun effet sur le territoire américain".

Accessoirement, les recettes dégagées par cette surtaxation permettraient à la Maison-Blanche de financer une partie des baisses d’impôt prévues dans son texte budgétaire. Au total, 116 milliards de dollars pourraient être récoltés sur dix ans, selon les calculs du Joint Committee on Taxation. Un chiffre qui laisse penser que les détenteurs étrangers d'obligations d’Etat seront bien exemptés : "S'ils étaient visés, les recettes anticipées seraient bien supérieures", relève Valentin Bissat, chef économiste à la banque privée Mirabaud.

Erosion de la confiance

Donald Trump joue avec le feu. Ses menaces fiscales ont un coût. "Dans de nombreux cas, la section 899 proposée créera des fuites fiscales substantielles pour les groupes à capitaux étrangers opérant aux États-Unis, ce qui pourrait affecter les investissements directs étrangers et l'activité économique au sens large", avertit le cabinet de conseil Grant Thornton dans une note. Raphaël Gallardo précise : "Désormais, les entreprises sont face à un dilemme : soit elles exportent aux Etats-Unis, mais sont soumises aux tarifs douaniers, soit elles s'y implantent pour produire localement et sont soumises à la section 899. De façon générale, la visibilité sur le rendement du capital aux Etats-Unis est remise en question".

L’accessibilité du marché américain, jusqu'à présent considérée comme un acquis, devient plus incertaine. "En fait, cette section est une nouvelle manifestation de la fragmentation financière mondiale, juge Olivier Raingeard, directeur des investissements chez Neuflize OBC. Si elle est passée en l’état, elle présente un risque à moyen terme d’une réduction de l’appétit pour les actifs américains". Pire, "il y a un risque d’érosion de la confiance dans le dollar sur lequel repose le système financier globalisé, signale Florence Pisani, cheffe économiste chez Candriam. C’est au moins aussi préoccupant que les droits de douane".

Le pire n'est jamais certain. Actuellement en discussion au Sénat, la loi a encore le temps de changer. De nombreux dirigeants d'entreprises se sont précipités à Washington cette semaine pour avertir des risques de cette clause, rapporte le Financial Times. L’Investment Company Institute, qui représente les intérêts des gérants d’actifs, a encouragé les sénateurs à "rendre la mesure plus ciblée, de façon à ne pas décourager l’investissement étranger bénéfique aux Etats-Unis". Si elle est adoptée, elle prendra effet dès 2026. D’ici-là, elle pourrait rester une "grande et belle"... source de tourments pour les investisseurs.

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