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Ventes aux enchères : la renaissance des peintres vietnamiens

Tout commence en 2014 : par un soir pluvieux, Charlotte Aguttes-Reynier, directrice du département Arts d’Asie de la maison Aguttes, se rend chez un vendeur. Elle y découvre, sur le mur d’une chambre, une peinture sur soie à la beauté délicate, Le Thé du vietnamien Lê Phô (1907-2001). Déclarée comme objet décoratif dans un inventaire successoral ancien, Charlotte l’estime entre 40 000 et 60 000 euros. L’œuvre est finalement adjugée 204 000 euros. C’est le début d’une belle aventure qui marque la renaissance, après trente ans d’oubli, des peintres vietnamiens de l’Ecole des beaux-arts d’Indochine.

Une dizaine d’années plus tard, ces artistes rencontrent un franc succès dans les salles de ventes. Un tableau de Mai-Thu (1906-1980), Portrait de mademoiselle Phuong, s’est ainsi vendu 3,1 millions de dollars chez Sotheby’s Hong Kong et, tout récemment, à Neuilly, la maison Aguttes adjugeait Le Bain de Lê Phô 2 023 000 euros sur la base d’une estimation de 400 000 à 600 000 euros. Dans le même temps, La Famille dans le jardin du même artiste se vendait 2 370 000 euros chez Sotheby’s Hong Kong.

Techniques occidentales et traditions locales

Ces artistes, dont les trois plus connus sont Lê Phô, Mai-Thu et Vu Cao Dam (1908-2000), sont tous issus de l’Ecole des beaux-arts d’Indochine créée à Hanoï en 1924 par le Français Victor Tardieu. L’enseignement prodigué sur place y est un mélange savamment dosé de techniques occidentales (dessin, peinture, sculpture) et de traditions locales (utilisation de la laque, peinture sur soie). Présentés à Paris lors de l’exposition coloniale de 1931, les élèves de cette école sont aussitôt appréciés du public français. Par la suite, nombre d’entre eux s’installeront d’ailleurs dans l’Hexagone et y feront toute leur carrière. Ce qui explique que l’essentiel de leurs œuvres se trouve aujourd’hui chez des particuliers en France.

C’est à la réhabilitation de cette école que s’est attelée Charlotte Aguttes-Reynier. Elle participe à des colloques en France et au Vietnam, collabore au montage d’expositions comme celle du musée Cernuschi à Paris - Lê Phô, Mai-Thu, Vu Cao Dam, pionniers de l’art moderne vietnamien en France - qui a fermé ses portes début mai, archive toutes les données sur les œuvres de ces artistes et a publié récemment un ouvrage sur l’école de Hanoï (L’Art moderne en Indochine, In Fine Editions d’art). Abondamment illustré, ce livre retrace l’histoire de l’Ecole des beaux-arts de Hanoï et de ses nombreux artistes. Il est indispensable pour comprendre ce mouvement mêlant traditions vietnamiennes et influences françaises.

Un marché spéculatif

Dans le même temps, elle a fait de Paris une place majeure de l’art vietnamien en organisant depuis 2014 plus de 40 ventes dans cette spécialité. Devant leur succès et les résultats obtenus, de nombreuses autres maisons de ventes (Bonhams, Millon, Sotheby’s…) se sont engouffrées dans la brèche mais c’est la maison Aguttes qui garde l’avantage.

Pour autant Charlotte Aguttes-Reynier reconnaît que ce marché est "spéculatif, fragile et instable". Cette experte l’explique sans détour : "Les acheteurs sont tous de riches Vietnamiens qui acquièrent deux à cinq œuvres, pas plus. Néophytes en matière artistique, ils découvrent et se réapproprient cette école et ses peintres, longtemps méprisés par les autorités du pays en raison de leur lien avec la France, puissance coloniale. Il faut donc les accompagner dans cette découverte". De plus, avec l’augmentation des prix, elle reconnaît que les spéculateurs qui achètent pour revendre au plus haut sont nombreux. Enfin, il faut aussi se méfier des faux qui circulent et des défauts de paiement.

Les résultats sont donc assez fluctuants. Le prix des petites œuvres, de qualité moyenne, stagne et a tendance à baisser après une période d’euphorie. Au contraire, celui des tableaux de grande qualité et de belles dimensions continue de monter. Selon Charlotte Aguttes-Reynier, il est difficile de prévoir l’évolution de leur cote. Elle recommande aux détenteurs de belles œuvres de les mettre en vente sans tarder afin de profiter du contexte favorable et d’engranger ainsi de confortables plus-values.

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