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Retraites et menace de censure : François Bayrou piégé par sa méthode et ses obsessions

La semaine dernière, Edouard Philippe est resté à Paris un peu plus longtemps qu’à l’accoutumée, écoutant les uns et les autres. Et il est rentré au Havre marqué par la petite musique qu’il avait entendue : "C’est fini, ça va péter." Le monde s’enflamme, la France se traîne, l’exécutif n’exécute plus grand-chose. Un conclave sur les retraites qui échoue, un socle commun qui se délite, une Assemblée nationale qui détricote : cela s’appelle une crise politique. Pas de celles qu’on surmonte en changeant de sujet, de celles qui menacent d’emporter tout l’édifice.

Au commencement était l’ambition : forger la marque Bayrou, ni plus ni moins (la modestie n’a jamais été au programme). Le schéma imaginé par Matignon est construit autour de deux objets grâce auxquels le Premier ministre veut créer son label. Autant une bonne part de son action consiste, comme le dit un proche, à "rattraper ce qui avait été lancé par Michel Barnier", autant les retraites et le budget 2025 montreraient sa méthode. Vous allez voir ce que vous allez voir.

Longtemps, le chef du gouvernement se veut rassurant. "C'est un plan que j'ai élaboré depuis longtemps et pendant longtemps, confie-t-il au début du printemps. Parce que je pense qu'en effet, au bout du chemin, il peut y avoir un changement de gouvernance du système social français." François Bayrou est un homme de certitudes. Cette fois, il en a trois. Sur le patronat d’abord : "J’ai vérifié, même le Medef a envie d’avancer. Il a compris qu’il jouait gros aussi." Sur la CFDT ensuite : "Elle ne veut pas échouer." Sur les socialistes enfin : "Le PS ne se séparera jamais de la CFDT." Des certitudes et une ambition qu’il garde dans un coin de sa tête : un éventuel référendum – tiens tiens, comme sur les finances publiques.

Pile je gagne, face tu perds ? "La fin du conclave ne m’inquiète pas. Si je me trompe, c'est facile. Je dis aux Français, écoutez, j'ai fait confiance. Je pense qu'il faut de la démocratie sociale. Et puis ils n'arrivent pas à se mettre d'accord et on prend nos responsabilités." La réalité n’est guère obéissante. L’échec du conclave, lundi soir, est d’autant plus marquant que tous les partenaires paraissaient sincères aux yeux de François Bayrou et de ses amis.

"Il n’y a plus de ciment dans le socle commun"

Depuis qu’il est à la tête du gouvernement, le Béarnais a une obsession : ne pas se laisser enfermer dans une situation de blocage. Le calendrier du début de l’été était conçu pour répondre au procès en immobilisme. "Une réussite sur les retraites peut donner un petit élan jusqu’à la présentation du plan sur les finances publiques le 15 juillet et créer une dynamique. On serait d’autant plus légitime à demander des choses difficiles sur le budget", confiait à la veille du dénouement. C’est raté : le conclave ne servira pas de marche, il faudra désormais l’enjamber.

Le chef du gouvernement ne pourra pas davantage s’appuyer sur son propre camp. A-t-il délibérément cherché à organiser… le désordre ? Au moins Michel Barnier, avant sa chute, avait-il enclenché un cycle de consultations avec les députés du socle commun. Certains jusque dans son gouvernement le pensent : "Son intérêt pour pouvoir se présenter à la présidentielle est de ne pas organiser le socle commun qui conduirait à une candidature unique, mais de laisser tout le monde dispersé pour être la solution."

"Il n’y a plus de ciment dans le socle commun", regrette souvent en privé Edouard Philippe, tandis qu’EPR et le MoDem pestent de plus en plus contre LR. Mardi soir, François Bayrou avait prévu, comme indiqué par Politico, d’organiser un rendez-vous avec les chapeaux à plume de son camp, Gabriel Attal, Edouard Philippe, Bruno Retailleau et Hervé Marseille. Sans attendre de miracle. "Tous ces gens en quête de postures pré-présidentielles sont frustrés de ne pas vivre un an plus tard, ils vivent dans une faille temporelle", regrette un proche de Matignon. La réunion a été reportée en raison de l’actualité…

Outre les retraites et les finances publiques, un troisième sujet constituait pour François Bayrou un legs à laisser au pays : la rénovation démocratique. Quitte à froisser ses propres soutiens. Le 2 juin, il reçoit Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez pour défendre l’introduction de la proportionnelle aux élections législatives. La droite n’en veut pas. Le nouveau président de LR prévient son hôte : il serait malvenu de faire passer une réforme contre sa propre majorité, déjà si fragile. Le patron des députés LR offre, lui, un cadeau amer au Premier ministre. Dans une vidéo publiée sur Instagram quelques minutes après le rendez-vous, il fait miner de s’étonner de l’objet de l’entretien. "On aurait pu penser qu’on allait parler de dépenses publique et d’impôt, mais non", s’agace-t-il, feignant la surprise. François Bayrou n’apprécie guère la manœuvre et appelle aussitôt Bruno Retailleau pour s’en émouvoir. Peut-il vraiment tomber des nues ? Laurent Wauquiez n'est pas là pour lui rendre la vie facile. Et puis, LR refuse cette réforme, à l’unisson de Horizons et d’une grande partie de Renaissance.

"Marotte sincère"

Le Béarnais ne flanche pas. "J’ai une majorité sur le texte", lance-t-il un jour à Yaël Braun-Pivet. La présidente de l’Assemblée nationale lui déconseille de s’obstiner dans la voie parlementaire. Plutôt qu’entrer en guerre avec le socle commun, autant faire ratifier cette réforme par référendum. Merci pour le conseil, mais le Parlement ira très bien ! Après tout, qui peut croire que la droite quittera le gouvernement pour une sombre affaire de mode de scrutin ? Bruno Retailleau agite le spectre d’une démission, mais mesure bien que ce sujet électoral est un peu court pour prendre le grand large et déclencher une crise politique.

Intransigeant sur la proportionnelle, déterminé sur Paris-Lyon-Marseille (PLM). La réforme du mode de scrutin des trois villes est l’autre obsession du Premier ministre. Là encore, il n’hésite pas à entrer en conflit avec ses propres troupes pour arriver à ses fins. François Bayrou a décidé de soumettre le texte au vote définitif de l’Assemblée après l’échec ce mardi de la Commission mixte paritaire (CMP), instance chargée d’élaborer un compromis entre députés et sénateurs après un vote contradictoire des deux chambres. La droite sénatoriale hurle ? Rappelle le chef du gouvernement à sa promesse – faite les yeux dans les yeux à Gérard Larcher lui-même - de ne pas s’asseoir sur l’avis du Sénat ?

Qu’importe. "Entre son conclave loupé et son impopularité, il ferait bien de s’appuyer sur le peu de forces politiques qui ne l’ont pas encore complètement lâché", lâche un sénateur LR. Un conseiller de l’exécutif s’interroge à voix haute : "Je n’arrive pas à comprendre ce décalage entre la volonté qu’il met sur ces sujets électoraux au regard de son manque de volonté sur les autres thématiques." La porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, appelait ça, au sujet de la proportionnelle, une "marotte sincère." Mais à trop chercher ce type de victoires, François Bayrou en mesure-il les effets collatéraux ?

De l’infiniment grand à l’infiniment petit, il y a de quoi se perdre. "Dans un monde normal il devrait y avoir une forme de ressaisissement collectif et c’est l’inverse qui se produit, on répond à la situation de crise internationale la plus grave depuis le Covid par des divisions picrocholines et des intérêts particuliers, constate le ministre chargé des Relations avec le parlement, Patrick Mignola, fidèle de François Bayrou. Chacun est dans propre algorithme." Serait-ce déjà le temps des regrets ?

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