Yonatan Freeman : "Donald Trump est le président le plus populaire de l’histoire d’Israël depuis Truman"
Une journée pour les livres d’histoire et de diplomatie. Ce 13 octobre, après un vol de nuit, Donald Trump passe la matinée en Israël, où il doit s’adresser à la Knesset et embrasser les derniers otages libérés par le Hamas, après deux ans de captivité à Gaza. Puis le président américain s’envole pour l’Egypte, où se tient un sommet international de dernière minute pour préparer l’avenir de l’enclave palestinienne, avec les principaux pays arabo-musulmans et les Européens, dont la France.
"Un moment décisif", selon Yonatan Freeman, spécialiste des relations internationales à l’Université hébraïque de Jérusalem. Dans un entretien à L’Express, cet expert israélien raconte comment son pays traverse ce cessez-le-feu et appréhende une possible fin de la guerre à Gaza. Il décrit aussi l’adoration totale d’Israël pour Donald Trump, malgré les défis encore à relever.
L’Express : Si tout se déroule comme prévu, tous les otages détenus depuis deux ans dans la bande de Gaza devraient être libérés cette semaine. Quelle est l’importance de ce moment pour les Israéliens ?
Yonatan Freeman : C’est un moment décisif : la libération des otages était l’objectif numéro un d’Israël, la principale raison pour mener cette guerre dans la bande de Gaza. Il ne faut pas oublier que le 7 Octobre n’était pas seulement une attaque du Hamas, c’était à la fois une attaque mais aussi le kidnapping de centaines de personnes. Plus de 250 otages, dont de nombreux binationaux.
Cette libération nous amène à refermer une page, pas seulement d’un point de vue militaire mais pour toute la société israélienne. La question des otages faisait consensus en Israël, pour la coalition au pouvoir comme pour l’opposition, même s’il y avait des débats sur la façon de les libérer, par la force ou par un accord avec le Hamas. Mais à la fin, tout le monde la voulait et je pense qu’il s’agit d’une caractéristique morale de notre société : nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour ramener nos otages, vivants comme morts. Nous ne laissons personne derrière.
Une fois tous les otages libérés, la guerre à Gaza prend-elle fin ? Qu’est-ce qui pourrait faire reprendre les combats ?
L’accord négocié par les Etats-Unis et par d’autres, dont le Qatar, contient de nombreuses phases. En résumé, la première phase consiste à libérer les otages, la deuxième à retirer le Hamas du pouvoir et la troisième à lui enlever toutes ses armes et ses tunnels.
Il existe deux scénarios dans lesquels les combats peuvent reprendre. Le premier se produit si le Hamas brise le cessez-le-feu, par exemple en faisant des provocations lors des libérations d’otages ou en attaquant des soldats israéliens. Il y a aussi la crainte qu’ils placent des explosifs dans les corps des otages décédés, ce qui entraîne de lourdes vérifications.
Le deuxième scénario de reprise des combats se produit si la phase deux du plan n’aboutit pas et que le Hamas garde ses armes. Cela signifierait que le Hamas continue de régner sur Gaza et se trouve en capacité de se réarmer. Alors Israël agirait pour l’en empêcher, soit par des attaques localisées comme au Liban ou en Syrie, soit par une nouvelle opération militaire massive.
Même si Donald Trump exige la fin de la guerre une bonne fois pour toutes ?
La position de Donald Trump et des Etats-Unis reste susceptible d’évoluer… Si la guerre reprend, il pourra toujours dire que le Hamas n’a pas tenu parole. Cet accord n’est pas gravé dans le marbre, et Trump ne sera jamais forcé de dire publiquement qu’il désavoue Israël en cas de reprise des combats.
Toutefois, si tous les otages sont libérés, il sera bien plus difficile, d’un point de vue politique, pour le gouvernement israélien de reprendre la guerre à Gaza. Même si après le 7-Octobre une majorité d’Israéliens estime que le Hamas ne devrait plus régner sur Gaza, les otages étaient la principale raison de cette guerre.
Donald Trump a montré qu’il était presque impossible pour Benyamin Netanyahou de lui dire non. Le président américain était-il le seul capable d’arrêter cette guerre ?
Je pense que Netanyahou aussi voulait le retour des otages et la fin de cette guerre, qui a des conséquences majeures sur notre société et notre économie. Mais la guerre n’est pas finie, le Premier ministre l’a dit lui-même : le gouvernement israélien parle d’un accord pour libérer les otages, pas de la fin de la guerre. Tant que le Hamas reste au pouvoir et a des armes, la bataille continue.
Pendant son premier mandat, Donald Trump a reconnu Jérusalem en tant que capitale d’Israël, la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan et a mené les accords d’Abraham, qui normalisent les relations d’Israël avec quatre pays musulmans. A quel point est-il populaire ?
Donald Trump est le président le plus populaire de notre histoire, sans doute autant qu’Harry S. Truman, qui avait reconnu Israël. Il a beaucoup aidé notre pays, il est très proche de Netanyahou mais aussi d’autres leaders politiques et il a acté le retour de la présence américaine sur la scène internationale, alors que l’administration précédente paraissait plus faible.
Les accords d’Abraham sont très populaires en Israël, et pas seulement pour ceux qui font du tourisme à Dubaï. Il s’agissait d’une phase importante de la normalisation d’Israël aux yeux du monde, ce qui pourrait aussi être le cas à l’issue de ce plan Trump. La normalisation d’Israël avec le monde arabo-musulman est un des moyens les plus efficaces d’affaiblir le Hamas et l’Iran, puisqu’ils n’auront plus de justification pour se battre contre nous en cas de résolution du conflit israélo-arabe. Pendant la guerre à Gaza, aucun des pays signataires des accords d’Abraham [NDLR : Emirats arabes unis, Bahreïn, Maroc et Soudan] n’a coupé les ponts avec Israël, malgré les déclarations et les accusations de génocide. Le Hamas est en très mauvaise posture sur la scène internationale à l’heure actuelle, en particulier dans le monde arabo-musulman.
Donald Trump veut étendre les accords d’Abraham et amener d’autres pays musulmans à normaliser leurs relations avec Israël, mais ceux-ci exigent la solution à deux Etats en échange de toute normalisation, donc la création d’un Etat palestinien…
Je pense que ce n’est pas ce sujet qui empêchera la normalisation. Tout dépend de la manière dont vous le vendez : ces derniers jours, l’Arabie saoudite dit qu’il peut y avoir normalisation si Israël reconnaît le principe d’un Etat palestinien. Nous sommes très loin de l’exigence de créer un Etat palestinien avant de signer tout accord de normalisation, ce que demandaient officiellement les Saoudiens il y a encore quelques mois.
Nous avons tous écouté le discours du président de l’Indonésie, le plus grand pays musulman de la planète, aux Nations unies le mois dernier et le respect qu’il a montré à Israël. Je suis très optimiste sur la vague de normalisations désirée par Donald Trump, à condition qu’Israël accepte, sur le principe, une forme d’auto-gouvernance des Palestiniens sans que celle-ci ne nuise à la sécurité des Israéliens.