Le constitutionnaliste Benjamin Morel veut politiser davantage la vie locale
Il fut un temps où les constitutionnalistes les plus médiatiques étaient majoritairement des professeurs des universités de sensibilité conservatrice. Aujourd’hui, ce sont plutôt des maîtres de conférences de gauche qui font le bonheur des journalistes, même si leurs accointances sont soigneusement obombrées. La preuve avec Benjamin Morel, dont la dernière étude pour l’Institut Terram et le Laboratoire de la République, fondé par Jean-Michel Blanquer, intitulée Conseils municipaux : renouer avec l’engagement citoyen (août 2025, 48 pages), contient des assertions particulièrement contestables.
Faire revivre la démocratie locale ?
L’étude constate un essoufflement de la démocratie locale qui se traduit dans la constitution des listes aux élections, les démissions au cours du mandat, la surcharge des élus et une abstention croissante (p. 11). Son objet est de comprendre les racines du désenchantement et ses expressions, et d’« esquisser des pistes d’action qui redonnent sens et désir à l’engagement local » (p. 12). C’est ce dernier aspect qui retiendra notre attention.
Cinq axes sont mis en avant pour « refaire vivre la démocratie locale » : valoriser le mandat municipal, réduire les barrières d’entrée, encourager les forces émergentes de participation, « reconstruire l’écosystème civique local », enfin rééquilibrer les pouvoirs locaux.
Interventionnisme accru au niveau local
Ce qui ressort, au-delà d’un vocabulaire très à la mode et parfois agaçant, c’est le mélange d’interventionnisme et plus largement d’étatisme, ainsi que l’indifférence totale aux dépenses supplémentaires induites par les propositions qu’avance l’auteur (une « politique de repérage civique », une « école municipale de l’engagement », p. 32, un « investissement dans des espaces participatifs de débats », un « parcours d’éducation à la citoyenneté », p. 36, etc.), le tout aboutissant à une politisation accrue de l’échelon local.
En réalité, Benjamin Morel plaide en faveur d’une nouvelle mouture de « démocratie participative » : budgets participatifs, jurys citoyens, etc. (p. 33). Bien entendu, il souhaite « valoriser » les conseils municipaux de jeunes, dont nous avons déjà dit tout le mal que nous pensions (voir notre pendule du 13 mars 2025), avec un « budget propre ».
Des dépenses supplémentaires tous azimuts
En parlant de budget, les dépenses s’accumulent, sans que l’auteur s’intéresse le moins du monde à leur financement. Un point de détail sans doute, qui ne s’encombre pas du délabrement de nos finances publiques. Ainsi faut-il « relancer la vie associative locale » et ce, avec un « plan de soutien ciblé aux associations citoyennes » (p. 36). Tout ce qui est en bon français « civique » devient d’ailleurs « citoyen » sous la plume de notre constitutionnaliste, ce qui apparaît en définitive normal puisque la politisation est de tous les instants. Il nous semblait pourtant que les associations étaient des organismes de droit privé, appartenant à la sphère de la société civile, et qu’il n’y avait pas de liberté possible si cette sphère se trouvait phagocytée par celle de l’État, mais nous avons dû rêver.
Dépenses toujours quand l’auteur souhaite une revalorisation de la dotation de fonctionnement (avec quel argent de l’État central ?) ou encore un « contrat de proximité démocratique avec l’État garantissant un socle minimal de services publics » (p. 38). Sous couvert du « modèle républicain » (p. 39) qui lui est cher, Benjamin Morel poursuit plutôt la politique de fausse décentralisation ouverte en 1982 par… les socialistes (ce que beaucoup ont tendance à oublier), celle qui a, entre autres, étendu l’interventionnisme économique et social au niveau local.
Une formation et une subsidiarité défectueuses
Deux derniers points nous ont encore chagrinés. D’abord, prenons l’auteur au mot, puisqu’il prône la « formation » des élus et la « valorisation » des conseils de jeunes. Une vieille idée de gauche pour mieux formater les esprits, surtout les plus malléables. Mais puisqu’il faut, paraît-il, former les élus et impliquer les jeunes, pourquoi ne pas le faire en vue d’une bonne gouvernance et de l’équilibre budgétaire ? Pourquoi ne pas leur apprendre que l’État ne doit pas être une corne d’abondance destinée à déverser un « pognon de dingue » sur les électeurs et les affidés ?
Ensuite, Benjamin Morel développe une fausse conception de la subsidiarité, qu’il dénomme « subsidiarité opérationnelle », « chaque niveau de collectivité ne pouvant exercer que les compétences qu’il est seul à même de remplir efficacement » (p. 39). Une conception utilitariste qui dénote une incompréhension du concept.
En effet, nous avons souligné à plusieurs reprises que la subsidiarité ne pouvait se concevoir dans l’ordre politique que de manière remontante, en partant donc du niveau le plus proche de l’individu. Si l’on escompte qu’elle s’exercera en fonction du critère de l’efficacité, ce qui est en définitive la conception consacrée dans les textes communautaires des vœux de Jacques Delors, la vie locale que l’auteur souhaite développer s’évanouira pour la simple et bonne raison que les niveaux les plus éloignés de l’individu revendiqueront toujours une efficacité supérieure.
Plus largement, nous considérons, au contraire de notre collègue, que l’une des réformes essentielles à mener dans notre pays est de le dépolitiser pour rendre à la sphère de la société civile (individu, famille, associations, entreprises…) l’étendue qui était la sienne et qui, au fil des décennies, s’est réduite comme peau de chagrin au profit d’un État tentaculaire et d’une Europe communautaire envahissante.
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