"Journal d’un prisonnier" : Nicolas Sarkozy est-il l’égal d’Oscar Wilde ?
Après avoir pris la relève de François Mitterrand et Jacques Chirac à l’Elysée, Nicolas Sarkozy a donc succédé à Guillaume Apollinaire et Jean Genet, passés avant lui à la prison de la Santé. Cela suffit-il à faire de lui un poète avant-gardiste ou un écrivain saisissant ? Les amateurs de Zone et Notre-Dame-des-Fleurs risquent d’être déçus par Le Journal d’un prisonnier (Fayard), qui ne s’illustre pas par des innovations formelles majeures.
Dès la première page, Sarkozy nous prévient : "Il ne s’agit pas d’un roman." Bien que ne voulant pas "nourrir une paranoïa caricaturale", Nicolas S. se présente comme une sorte de nouveau Joseph K., l’homme qui se fait arrêter au début du Procès de Kafka. "Quels crimes avais-je bien pu commettre ?", se demande-t-il, avant de réfuter toute implication dans "cette sinistre affaire de prétendu financement libyen". Nous sommes le 21 octobre au matin : le patriarche Sarkozy a réuni autour de lui toute sa famille recomposée pour un dernier petit-déjeuner. Ensemble, ils font face à la "tragédie". On se croirait dans le Journal de ce qui s’est passé à la tour du Temple de Cléry quand ce dernier, valet de pied de Louis XVI, raconte les adieux du roi à sa femme et à ses enfants. En Marie-Antoinette de la Ve République, Carla Bruni est "merveilleuse comme à l’accoutumée". Un éditeur aurait pu conseiller à Sarkozy d’ajuster le ton, trop grandiloquent au vu des faits – passer moins de trois semaines en prison, c’est un traitement légèrement moins rude que d’être envoyé à l’échafaud.
Puis viennent le grand départ ("l’heure déchirante de quitter la maison") et la plus belle image du livre : accompagné par des motards de la préfecture de police, Sarkozy se remémore la soirée de sa victoire à l’élection présidentielle en mai 2007, quand il avait traversé Paris avec son cortège de nouveau chef de l’Etat. Il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne, etc. Le numéro d’écrou 320535 est affecté à la cellule n°11 : douze mètres carrés avec un petit bureau en bois clair et tout le confort moderne (douche, réfrigérateur, plaque chauffante et télévision). De quoi se plaint-il, suivi comme son ombre par deux policiers du service de protection des hautes personnalités ? Sarkozy avait raconté avoir emporté avec lui la biographie de Jésus-Christ par Jean-Christian Petitfils ainsi que Le Comte de Monte-Cristo de Dumas, mais ces lectures attendront : le premier soir, l’ex-président se détend en regardant PSG-Leverkusen (victoire écrasante de Paris).
Sarkozy n'est pas un esprit fin
La suite est répétitive. Le Journal d’un prisonnier nous rappelle que Sarkozy n’est pas un esprit fin mais un "bagarreur" (l’expression est de lui), un homme simple et brut de décoffrage qui a su plaire au grand public par sa volonté (sa volonté de puissance ?) plus que par son intelligence. Il l’écrit d’ailleurs à un moment : "J’ai réussi à être élu président de la République moins par mon talent que par mon audace."
Fou de foot et de footing plus que de philosophie, il va quotidiennement à la salle de sport se défouler sur le tapis de course. Quand il ne se compare pas à Dreyfus (passé lui aussi par la Santé), Sarkozy remercie ses soutiens les plus fidèles (Christine Lagarde ou la direction du Figaro), conspue Le Monde et Mediapart, attribue bonnes et mauvaises notes, pointe la pusillanimité de Laurent Wauquiez, fait l’éloge de Gérald Darmanin et adresse quelques piques bien senties, dont celle-ci à Ségolène Royal : "Je dois dire que je ne suis pas certain qu’elle comprenne toujours le sens de ce qu’elle dit. Cela la sauve de la honte."
L’un des passages les plus savoureux est une conversation téléphonique des plus cordiales avec Marine Le Pen, mais l’ensemble manque de grain à moudre. Le Comte de Monte-Cristo était-il trop gros ? Sarkozy délaisse Dumas pour Lettre à un otage de Saint-Exupéry ("un chef-d’œuvre d’écriture"). On retrouve là le côté enfantin de Sarkozy, qui le rend au choix attachant ou risible. Page 139, il regrette que sa cellule soit grise : "Rien ne venait rehausser le regard, la perspective, le cadre. Je suis un amoureux de la peinture. J’apprécie le beau. Je parcours les expositions avec enthousiasme. C’est peu dire que je me trouvais frustré. La prison n’est, entre autres choses, pas faite pour les esthètes…" Si on voulait verser dans la flagornerie on évoquerait ici Oscar Wilde, condamné à deux ans de travaux forcés, enfer qui lui inspira De profundis et La Ballade de la geôle de Reading.
Sauf que Sarkozy ne nous fera pas croire que la Santé l’a brisé comme Reading a détruit Wilde. Il n’y aura passé que vingt jours ! Son livre fait surtout penser à Soixante jours de prison de Sacha Guitry. Lors de l’épuration, en août 1944, Guitry fut envoyé deux mois dans divers cachots, de Drancy à Fresnes. Il en tira ce récit d’un détachement souverain, où il se moque de tout le monde avec une irrésistible nonchalance.
En comparaison, le livre de Sarkozy manque cruellement d’humour et de sang-froid. Quant à l’écriture de cet homme de droite (littérairement parti du style plus que des idées), on se demande ce qu’en aurait pensé le général de Gaulle. Lorsque l’auteur salue le prêtre, le médecin ou autres qu’il a croisés en prison, "beaucoup de gens à l’humanité rayonnante", on croirait entendre une Miss France. Puisque l'on a quand même affaire à un surhomme, ses 200 pages un peu poussives se terminent par un envoi nietzschéen : "La vie qui passe et qui propose tant d’épreuves permet de renaître plus fort, plus mature, plus grave. A la Santé, j’ai recommencé ma vie." Ainsi parlait Nicolas Sarkozy.
Le Journal d’un prisonnier, par Nicolas Sarkozy. Fayard, 212 p., 20,90 €.