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Pourquoi l’Etat islamique a-t-il frappé l’Iran ?

Les ennemis de l’Iran lui rappellent ses fragilités. Au moins 91 personnes ont été tuées dans l’attentat perpétré mercredi 3 janvier dans le sud du pays. L’attaque est survenue lors d’une cérémonie commémorative à Kerman près de la tombe du général Qassem Soleimani, ciblé en janvier 2020 par une frappe américaine en Irak. Cet attentat est le plus meurtrier depuis 1978, peu avant l’avènement de la République Islamique, quand un incendie criminel dans un cinéma d’Abadan avait fait plus de 470 morts.

L’Etat islamique (EI) a revendiqué l’attaque, affirmant que deux militants de Daech, Omar al-Mowahid et Sayefulla al-Mujahid, avaient "activé leur ceinture explosive" au milieu "d’un grand rassemblement d’apostats, près de la tombe de leur leader". Quelques minutes avant la revendication, le porte-parole de l’EI avait affirmé qu’elle était menée "en soutien aux musulmans où qu’ils se trouvent, notamment en Palestine".

La branche de l’EI la plus susceptible de frapper l’Iran est celle de la province de Khorasan, une filiale active du califat en Asie centrale. Elle naît en Afghanistan en 2015 et se concentre sur les attentats contre la communauté chiite. À noter que la minorité afghane hazara a maintes fois été dans leur viseur. Les Nations unies estiment que ses effectifs se situent entre 4 000 et 6 000 personnes.

Pourquoi l’Etat islamique a-t-il ciblé l’Iran ? Les divergences entre l’Etat islamique et Téhéran ne datent pas d’hier. Elles s’expliquent par le clivage entre deux courants de l’islam : le sunnisme, majoritaire dans le monde, et le chiisme, plus important en Iran. Les chiites représentent 10 à 15 % du monde musulman. Alors que l’Etat islamique est une organisation sunnite, elle ne considère pas les Iraniens comme de vrais musulmans, car chiites. Ce clivage tire son origine de la mort du Prophète : les chiites suivent le cousin et gendre de Muhammad, Ali ibn Abi Talib, tandis que les sunnites choisissent Abou Bakr, compagnons du Prophète, comme le premier calife.

Qassem Soleimani, ennemi juré de l’EI

Au-delà de la question religieuse, les divergences se retrouvent également sur la scène diplomatique. Téhéran avait lutté contre l’État Islamique en soutenant le régime de Bachar-el-Assad et en armant des milices chiites en Syrie et en Iran. Et c’était le général Qassem Soleimani qui gérait ces brigades. Figure de la République islamique et ex-chef de la force Qods, la branche des opérations extérieures de l’Iran, il est célébré dans son pays pour son rôle dans la défaite de l’EI en Irak voisin ainsi qu’en Syrie.

Qassem Soleimani était aussi un symbole du nationalisme : il était un des acteurs clefs de l’influence grandissante de l’Iran au Moyen-Orient, avant d’être tué à Bagdad dans une frappe de drone ciblée, menée par les États-Unis lors de la crise américano-iranienne de 2019-2020. "Soleimani était considéré par la population comme un bouclier contre Daech", explique Jonathan Piron, historien et politologue spécialiste de l’Iran, dans le quotidien Le Soir.

Par ailleurs, cet attentat survient dans un contexte régional très tendu depuis le 7 octobre et le début du conflit entre Israël, ennemi juré de la République islamique, et le mouvement islamiste Hamas. L’Iran soutient et aide à armer le Hamas, mais aussi le Hezbollah au Liban et les Houthis au Yémen, qui ont intensifié leurs attaques contre Israël pendant sa guerre contre le Hamas. L’Iran semblait tenir une partie des cartes en mains, mais l’Etat islamique est venu lui rappeler sa vulnérabilité.

Avec cette attaque, l’EI lui signifie qu’Israël n’est pas le seul adversaire de la République islamique capable de l’atteindre. L’Iran est en effet confronté à des mouvements séparatistes dans la province du Sistan-Baloutchistan, voisine du Pakistan, ainsi qu’à des séparatistes arabes à Ahvaz, à la frontalière avec l’Irak, auteurs présumés d’attentats dans le pays ces dernières années. De plus, la dette de sang entre l’Iran et l’Etat islamique est ancienne. L’EI avait revendiqué en 2017 sa première attaque en Iran, visant le siège du Parlement et le mausolée de l’ayatollah Rouhollah Khomeiny, fondateur de la République islamique, faisant 17 morts. Le 26 octobre 2022, l’Etat islamique se disait responsable de l’attentat de Chiraz, lourd d’une quinzaine de morts.

La stratégie d’accuser Israel

Malgré la revendication de l’EI, des responsables iraniens ont continué d’accuser les principaux ennemis de l’Iran, à savoir Israël et les Etats-Unis, de complicité dans l’attaque. L’EI "a disparu" et "ne peut agir désormais que comme mercenaire de la politique sioniste et américaine", a affirmé le général Salami. Washington a jugé "absurde" toute suggestion d’une implication des Etats-Unis ou d’Israël, un haut responsable américain s’exprimant sous couvert d’anonymat assurant lui que l’attaque ressemblait "au genre de chose" faite par l’EI ""par le passé". Israël n’a de son côté pas commenté.

Pourtant, même après la déclaration du groupe terroriste, l’agence de presse Tasnim, la branche médiatique des Gardiens de la Révolutions, est allée jusqu’à affirmer qu’"Israël a ordonné à l’Etat islamique d’assumer la responsabilité de l’attaque". Le journal conservateur Jam-é Jam, repris par Courrier International, accuse Israël d’avoir ainsi "franchi les lignes rouges [en] ordonnant l’attentat". "La vengeance est certaine", titre-t-il en hébreu et en persan, en couverture de son édition de vendredi. "[Téhéran] a reçu le signal du début de la guerre et le feu s’est étendu désormais à notre pays. [L’Iran] ne restera pas passif", continue le journal.

Quoi qu’en pensent réellement les responsables, blâmer Israël et les États-Unis est bien plus commode, avancent certains analystes et opposants au gouvernement dans le New York Times, que d’admettre que l’État iranien ne peut pas protéger son peuple du terrorisme. En effet, l’attaque ternit l’image de l’Iran comme étant capable de déployer sa puissance dans la région sans subir de représailles.

Preuve de la fragilité du pouvoir iranien - et suite à son empressement d’accuser les Américains et Israël - beaucoup d’Iraniens sur les réseaux sociaux pensaient que c’était le régime en place qui avait orchestré l’attentat afin de les rassembler contre un seul ennemi : le pays hébreu. C’est ce qu’explique, Mahnaz Shirali, sociologue et politologue spécialiste de l’Iran, à nos confrères de La Croix. Sur les réseaux sociaux, des Iraniens ont exprimé leur colère contre le gouvernement. De leurs côtés, les médias réformateurs, comme le journal Hammihan, critiquent l’attitude des forces de sécurité, qui ont "ignoré d’éventuelles menaces lors de la cérémonie".

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