Parcoursup : une gestion économique des flux étudiants
La massification de l’enseignement supérieur avec, depuis les années 1960, la multiplication par huit du nombre d’étudiants, pose le problème de l’accès au regard des places disponibles. Avec 23.000 formations proposées, y compris en apprentissage, Parcoursup, qui a succédé en 2018 à la plateforme APB (Admission Post-Bac) apparue en 2009, est censée y remédier ; tant bien que mal dans la mesure où il s’agit plus d’adapter la demande à l’offre que l’inverse. Les inscriptions sur la plateforme pour la rentrée prochaine débutent ce 17 janvier pour s'achever le 24 mars.
De surcroît, un rapport d’information du Sénat publié en juin 2023 a pointé des modalités de classement des candidatures « trop opaques ». En février 2020 déjà, la Cour des comptes avait entre autres dénoncé des « paramètres parfois contestables » de sélection.
Pire, cette opacité cache un vice plus profond. « Parcoursup, note la sociologue Annabelle Allouch*, repose comme la plateforme “Mon Master” sur la standardisation des dossiers, des informations, des délais. Les élèves n’envoient plus des dossiers différents aux établissements de leur choix, mais un seul et même dossier à différents établissements. Cette égalité formelle transforme aussi tous les élèves en candidats. Avec la loi du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, dite loi ORE, le droit aux études supérieures après l’obtention du baccalauréat est soumis une logique de candidature et de mise en concurrence de tous contre tous. Entrer dans le supérieur n’est plus un droit attribué à tous les bacheliers mais rétribue une candidature. Par ailleurs, le lycéen doit formuler dix choix (et vingt sous-choix) qui l’amènent à demander des affectations lointaines et compliquées pour les familles en raison de difficultés de logement ou de transport. »
Filières courtes« La rhétorique du choix scolaire, reprend-elle, habille une gestion des flux qui laisse peu de place au mérite. L’étudiant est affecté là où il est présumé le plus efficace et où il coûtera le moins cher en argent public. La loi ORE a été votée en plein pic démographique estudiantin. »Les promoteurs de Parcoursup l’assument. « La réussite étudiante, est-il écrit sur la plateforme, passe notamment par une meilleure orientation en permettant aux lycéens d’accéder aux formations où ils réussissent le mieux. Des places sont priorisées pour les lycéens technologiques et professionnels dans les filières courtes dans lesquelles ils réussissent le mieux. »
Aux bacs pros et technos, donc, les filières courtes, comme s’il était interdit de se réinventer à même pas 20 ans. Bref, les bacs pros et technos - respectivement un quart et un cinquième des bacheliers - savent où trouver leur place : en BTS, au sein d’un lycée, ou en BUT (bachelor universitaire de technologie), au sein des IUT (institut universitaire de technologie).
Un"oui si", mais non...« Cette logique de l’étudiant qu’il faut là où il faut, développe la sociologue, entend pallier l’insuffisance d’argent pour tous. Elle se prête surtout à la reproduction sociale. Par ailleurs, en Île-de-France qui concentre plus d’un quart de la population universitaire, s’est, depuis 2000 et la refondation de la carte universitaire, opérée une véritable ségrégation urbaine, les enfants des classes moyennes et supérieures se regroupant dans les établissements de centre-ville. La mixité sociale en pâtit en dépit de quotas de boursiers, désormais plus contraignants et plutôt bien entrés dans les mœurs. La maîtrise des informations fait la différence. Qu’elles soient nombreuses et disponibles est une chose, en extraire les bonnes en est une autre. »Quant à l’affectation conditionnée, le « Oui si », les pouvoirs publics n’y croient pas eux-mêmes. « À moyens constants, relève la chercheuse, de nombreuses facultés n’ont pas, dans les filières en tension, les moyens de cette ambition. Et, faute d’enseignants, de locaux, de matériels, les cours complémentaires ne sont pas dispensés. »
Sélection : la fausse évidence du concours du lien
Cette logique d’affectation, parce que sélective, n’a-t-elle pas, toutefois, pour vertu de motiver les étudiants ? « Parcoursup, conclut Annabelle Allouch, ne procure pas de sentiment d’élection particulier. Au contraire, être en bas d’une liste d’attente peut générer un sentiment de déclassement. C’est violent de dépendre du choix des autres. Avec Parcoursup, le moindre fléchissement scolaire, fût-il lié à un accident, une maladie ou des difficultés familiales, se paie cash… »
(*) Auteure de Les nouvelles portes des grandes écoles, 2022, PUF, 21 € et, en avril prochain (avec Delphine Espagno) : Contester parcoursup, Presses de Sciences Po, 22 €
Jérôme Pilleyre
Le privé sur les rangs. Près de 26 % des étudiants sont scolarisés dans le privé dont les formations, la plupart professionnalisantes, sont pourtant largement absentes du site officiel d’orientation post-bac. Toutes, en effet, ne répondent pas à ses critères. Ainsi une formation préparant à un titre de certification professionnelle (du Répertoire national des certifications professionnelles), qui relève du ministère du Travail et non de l’Éducation nationale, sera écartée de la plate-forme de l’État. La Fédération de l’enseignement privé (Fnep) lance donc son propre site, Parcours Privé, qui regroupe 3.400 formations contre 23.000 sur Parcoursup.