Pour les enseignants, "faire lire les élèves, c'est un effort au quotidien"
"Ce que lisent les élèves ? Leur téléphone !" Pour Estelle, enseignante en lettres modernes dans un lycée du centre-ville de Clermont-Ferrand, la réponse n’a rien d’une provocation. "Dans mes classes, appuie-t-elle, l’écran, c’est la première source de lecture."
La première, mais pas la seule, heureusement. Mangas, BD, science-fiction et dystopies ont la cote chez la plupart des élèves, au lycée comme au collège.
"Ils aiment bien les sagas, les séries, en particulier celles qui font peur, et aussi les histoires d’ados", détaille Sandrine, professeur de français dans un collège de l'agglomération de Clermont-Ferrand, au vu des ouvrages sortis des cartables pour le quart d'heure lecture quotidien.
"J'ai sondé mes élèves de 5e. Près d'un tiers de la classe déclare lire au minimum une heure par jour. Un autre tiers dit lire de temps à temps. D'autres lisent régulièrement. Ils sont seulement deux à répondre qu'ils ne lisent jamais."
Des élèves lecteurs, les enseignants en voient toujours. Plus ou moins, ça dépend de l'âge des adolescents - au fil des années, la lecture perd du terrain au profit des écrans - et surtout du profil social de l’établissement. Si Sandrine voit "assez souvent des gros lecteurs, qui avalent des livres", sa collègue Isabelle identifie des "non-lecteurs" dans son collège Rep + (réseau d’éducation prioritaire renforcé) de Clermont-Ferrand, où les niveaux sont très hétérogènes.
« La non-lecture, c’est lié aux difficultés scolaires. Quand les élèves sont davantage dans le déchiffrage que dans la compréhension, ils se perdent très vite dans un livre."
Trop souvent, la lecture est vécue comme une contrainte, imposée par les parents, par l’école ou par les deux. Pourquoi un tel désintérêt, qui peut aller jusqu’au "dégoût de la lecture" ? "Par manque d’habitude", juge Estelle, au lycée. "On accorde de moins en moins de temps à la lecture dans les familles", déplore sa collègue de Rep +. Autre frein majeur, "le manque de vocabulaire".
« Les élèves ont un problème avec la nuance. Or la littérature, c’est plein de nuances. Ils ont aussi un problème de repères, du mal à situer dans le temps. S'ils ne comprennent pas un livre, ils se découragent très vite."
Quand on est professeur de français, il faut se monter inventif. Expérimenter des stratégies pour amener ses élèves à lire une dizaine de livres dans l'année. Organiser un défi-lecture, faire venir un auteur devant les élèves… Laisser, comme Sandrine, l’élève choisir un livre à étudier dans une liste, pour lui donner "un sentiment de liberté". Ou créer "un climat propice à la lecture", comme Isabelle, qui installe des livres à disposition un peu partout dans sa salle, jusque sur son bureau. "Il faut ruser", insiste Estelle, qui met des livres audio sur l’ENT et donne des lectures par extraits, car "c’est mieux que rien".
Une obligation partagée par ces enseignantes : il faut varier les formes du travail demandé. Carnet de lecture dans lequel les élèves décrivent leurs impressions, illustration d'un passage préféré, choix argumenté d’une phrase ou d’un paragraphe, enregistrement de lecture à voix haute… "Il faut chercher des tactiques tout le temps. Faire lire les élèves, aujourd’hui, c’est un effort quotidien."Isabelle Vachias