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Reportage à Londres avec des vignerons de Bourgogne, à la conquête du marché anglais

Reportage à Londres avec des vignerons de Bourgogne, à la conquête du marché anglais

Ils étaient une quarantaine de vignerons de Bourgogne, dont quatorze de l’Yonne, à quitter leurs domaines pour se rendre, jeudi 11 janvier, au cœur de Londres. Après une période marquée par le covid et le Brexit, ils retournaient à la rencontre d’importateurs, restaurateurs ou encore cavistes, à l’occasion d’un salon organisé par l’interprofession.

Dehors, un grand soleil. Sous la verrière, le Lindley Hall baigne dans la lumière. À deux pas, l’abbaye de Westminster a déjà à ses pieds, depuis tôt le matin, des dizaines de touristes. Loin de ses vignes, Magali Bernard s’interroge. Les visiteurs seront-ils de "curieux promeneurs" ou de "sérieux acheteurs" ? Sa structure est petite alors le temps du voyage, elle a fermé le caveau du domaine. Elle n’est pas venue avec "50.000 bouteilles à vendre". Et même si "essayer de vendre du vin reste l’objectif premier, l’idée, c’est aussi de participer à l’évolution de la perception des vins de Bourgogne par les Anglais."

Aux côtés des chablis, aloxe-corton et nuits-saint-georges, elle espère que son coulanges-la-vineuse attirera la curiosité. "Je considère être à ma place", assume la vigneronne. "Les gens ont un peu dans la tête que la Bourgogne, c’est les grands vins de Bourgogne. Mais nous sommes là pour dire qu’il y a d’autres opportunités." Petite appellation, grande histoire. Elle le revendique comme un étendard. Et fera goûter à qui voudra les vins qu’elle bichonne dans son si cher vignoble coulangeois.

La dégustation professionnelle se tenait à Londres, au Lindley Hall.

À l’entrée de la salle, une ribambelle de badges attendent d’être récupérés. Importateurs, restaurateurs, sommeliers anglais... Près de 400 inscrits - 200 viendront - auprès du Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB) pour assister à l’événement. "En Angleterre, depuis des années, les premières semaines de janvier sont réservées aux vins de Bourgogne", note Nelly Blau, responsable marketing et communication à l’export. C’est la "Bourgogne Week". Une "vraie entrée sur scène à l’internationale" un peu comme un "festival de Cannes des vignerons" pour favoriser et valoriser leur présence sur le marché. Sous la thématique "Bourgogne Winemaker’s cut", inspiré justement des coulisses du cinéma, l’interprofession prévoit cinq dégustations professionnelles à l’étranger cette année, après un ralentissement un peu forcé.

À 10 heures, les portes s’ouvrent à peine et entre la quarantaine de stands, les premiers intéressés se faufilent. Charulata Kohli, freelance, s’est arrêtée à celui de Paul Espitalié, directeur du domaine Simmonet Febvre. Pour lui, l’Angleterre est l’un des plus gros marchés à l’export. Un marché "historique, de proximité aussi, qui peut se renverser assez facilement" mais sur lequel il faut rester "plus que jamais visible". Pour elle, la France, c’est une histoire, des "terroirs", et le métier de vignerons un métier "de passion". "Je sais que c’est dur, que c’est un travail qui demande parfois beaucoup d’échecs avant d’arriver à cette qualité", commente la professionnelle.  

Elle ignorait, jusqu’à se former et travailler à Bordeaux, la "grande diversité" du vignoble français. "Pour les Anglais, le vin en France c’est souvent “Bourgogne et Bordeaux”. Je ne savais pas faire la distinction entre les appellations, ou entre le chardonnay et le sauvignon blanc par exemple. J’ai dû apprendre ça. Je suis d’origine indienne, heureusement mon père aimait bien sortir, aller dans des restaurants car ce n’est pas dans nos gènes. Les Français, vous avez de la chance, ça fait partie de votre culture d’avoir du vin à table." Maintenant qu’elle a appris, elle profite de ces événements pour les contacts et les rencontres. "Quand j’entends ce monsieur m’expliquer depuis combien de temps ils font du vin, comment ils travaillent au domaine… La passion se transmet à travers le vin et j’aime comprendre d’où il vient."

 

 

"Équilibrer tous les marchés"

Président de la commission Chablis au BIVB, Paul Espitalié sait l’importance du rendez-vous. "Nous sommes là pour communiquer, échanger, déguster. C’est important de bien signaler notre présence et d’être là, physiquement. Nous sommes challengés par la Nouvelle-Zélande, l’Australie, l’Amérique du sud, les États-Unis… Les pays dits “du nouveau monde” qui sont très présents sur des créneaux de prix bas et milieu de gamme, sur lesquels on est en concurrence directe. Pour nous, c’est particulièrement important d’être en Angleterre pour maintenir la renommée des vins de Chablis." D’autant qu’en blancs de Bourgogne, ce sont ceux qui s’exportent le plus.

"En volume, c’est notre premier marché à l’export", illustre Anne Moreau. Sur plusieurs dizaines d’hectares répartis entre les domaines Louis Moreau et de Biéville sont produits petits chablis, chablis, premiers crus et grands crus Vaudésir, Blanchot, Valmur… Des références que l’on retrouve chez différents cavistes au cœur de Londres. "C’est la reprise des voyages, des dégustations en face to face, note la présidente de la commission communication de l’interprofession. Il y a eu 2021 et les petites quantités, mais j’étais plutôt inquiète avec le Brexit."

J’avais peur que l’ambiance soit un petit peu morose. On vend du “rêve”, des produits de plaisir. Quand ça va mal, c’est souvent sur ça que l’on rogne et en fait, pas du tout. On voit qu’il y a une certaine reprise et un potentiel sur le reste de l’Angleterre.

Une reprise et de la curiosité, aussi, pour les "plus petits". Il y a une vingtaine d’années, l’Angleterre faisait partie des marchés étrangers conquis par le père de Pierre-Louis Bersan mais la "grosse pression de la part des négociants" y avait mis fin. À son arrivée sur le domaine, "ce n’est pas quelque chose que j’ai voulu reconquérir tout de suite. Je visais plutôt des marchés de niches."

Dans ses bagages, il a ramené des cartes de visites, notamment d’importateurs qu’il faut maintenant rappeler. "Pas perdre de temps". Et surtout, pas un potentiel marché. Ce que vise le vigneron de Saint-Bris-le-Vineux, ce sont "les cavistes, les restaurants et bars à vins". "Je constate qu’il y a un réel enjeu, une carte à prendre sur le marché anglais. Les gens qui sont venus à ma rencontre étaient intéressés et avaient la volonté de déguster des vins moins renommés que certaines appellations."

Une tendance confirmée par Zoé Smyth, brand manager auprès d’un importateur anglais. Elle gère la notoriété d’un portefeuille de domaines et constate que "la demande est là". "Depuis le covid il y a un vrai changement, une recherche de vins plus accessibles. Notre travail, c’est de les trouver, les mettre en avant, et inciter les clients à redécouvrir la diversité des vins. Travailler aussi sur l’expérientiel, notamment pour les clients plus jeunes. J’adore regarder les autres appellations moins connues en Bourgogne. En Angleterre, la clientèle va aussi souvent vers les appellations les plus faciles à prononcer comme pommard, chablis. À nous de proposer d’autres alternatives. Nous avons une énorme clientèle de restaurants et c’est intéressant car on voit qu’en dehors de Londres, il y a aussi de la demande, à Manchester, Liverpool, Glasgow… On voit que ça commence à bouger. Et c’est positif considérant tout ce qui se passe en Angleterre."

Parmi les vignerons du voyage se trouvait aussi Clotilde Davenne. Elle n’avait pas beaucoup voyagé depuis le covid et l’Angleterre n’a "jamais été un très gros marché" pour elle. Si elle vient aujourd’hui, c’est pour son saint-bris. "Pour voir mes importateurs, faire goûter les cuvées en cours et aussi pourquoi pas développer d’autres pistes. Mais même si je ne reviens pas avec de nouveaux marchés, je vais revenir avec beaucoup d’informations sur les tendances, les attentes, beaucoup d’expérience. C’est aussi une formation pour nous et c’est important de ne pas s’enfermer dans la routine du domaine, de prendre ce temps-là." Elle a beau mettre en avant son travail sur son site internet, "on a besoin du côté humain. On parle de la vigne, de la météo. Du travail d’une année." Et quand bien même les Anglais ont selon elle tendance à rester "discrets" sur leurs impressions à la dégustation, "c’est précieux de voir les réactions en direct."

Attentes. Le généreux millésime de 2022 laisse espérer un "coup de boost" sur le marché anglais après une année 2021 faible en quantité. "Ce qui est attendu, c’est le retour de la disponibilité", confirme le directeur général du BIVB Sylvain Naulin. Après le covid, le Brexit, "nous avons vécu des périodes très particulières. On semble retourner dans un marché plus simple et on part, on l’espère, sur un cycle de commercialisation normalisé. Les cinq années qui viennent de s’écouler montrent qu’une boule de cristal serait un bon investissement...", sourit le directeur général. En mettant en avant les appellations plus discrètes, le BIVB espère "casser le mythe de la Bourgogne innaccessible". "Il y a des prix parfois très élevés, des vins avec une notoriété telle que cela masque la réalité. Nous avons un vignoble avec des prix beaucoup plus attractifs, une diversité d’appellations. Il faut dépasser l’arbre qui cache la forêt."

Chiffres clés

47Le salon Winemaker’s cut, organisé à Londres par le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne, a réuni 47 exposants : 41 exploitants et six importateurs. Quatorze vignerons venaient de l’Yonne. 2Le Royaume-Uni est le deuxième marché en volume et en valeur des vins de Bourgogne. Sur les neuf premiers mois de 2023, 9,6 millions de bouteilles ont été exportés pour 173,4 millions d’euros. En volume, les exportations de vins de Bourgogne sont en baisse de -3,2 % par rapport aux neuf premiers mois de 2022. En valeur, elles sont en hausse de 10,4 % par rapport à la même période. 76 %Les vins blancs représentent 76 % des bouteilles de vins de Bourgogne expédiées sur le marché anglais. Ce sont les AOC de Chablis qui occupent la premier place en volume et en chiffre d’affaires "avec 29 % des vins blancs de Bourgogne exportés pour 25 % du chiffre d’affaires", indique le BIVB.18 %Sur les neuf premiers mois de l’année 2023, la part des vins rouges de Bourgogne à destination du marché anglais est de 18 %. Les AOC villages et villages premiers crus côte de beaune représentent 20 % du volume de rouges exportés, les AOC villages et villages premiers crus de la côte de nuits 19 %.6 %L’AOC crémant de bourgogne affiche également une progression sur le marché anglais. De 4 % des partis de marché sur les neuf premiers mois de 2022, elle passe à 6 % en 2023 sur les neuf premiers mois de 2023. 

 

À Londres, Caroline Girard

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