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Les nanoplastiques pullulent dans l’eau en bouteille, mais aussi « dans notre corps, tout le vivant est contaminé »

La vitalité des huîtres et mollusques est profondément altérée par l’ingestion de microparticules et nanoparticules de plastique. À ces « filtres » à eau vivants que sont les animaux marins, les humains envoient chaque année quelque 8 millions de tonnes de déchets plastique, dégradés en particules de quelques microns (un à quelques millionièmes de mètre) ou à l’échelle « nano » (du milliardième au millionième de mètre).

Il est possible que nous les supportions mieux que les mollusques, mais les humains ne doivent pas se faire trop d’illusions : les microplastiques et les nanoplastiques « sont dans notre corps à tous. Tout le vivant est contaminé », soupire Marc-Yvan Laroye, directeur général adjoint de l’Office international de l’eau (OiEau).

Une équipe américaine vient de publier des résultats inédits. Une nouvelle technique utilisant le laser a permis de scruter le contenu de trois bouteilles d’eau commercialisées sous trois marques différentes. Chaque litre contenait entre 110.000 et 370.000 particules plastiques, dont 90 % de nanoplastiques. C’est cent fois plus que les précédentes estimations.

Le plastique, ça se dégrade

Les nanoplastiques proviennent essentiellement d’un processus de dégradation. Du polymère PET (polytéréphtalate d’éthylène) qui les compose dans le cas des bouteilles d’eau, alors que d’autres nanoparticules détectées dans l’environnement ont été introduites volontairement par des industriels. Il s’agit par exemple des nanoparticules de « dioxyde de titane, qui donne un côté brillant au blanc et que l’on trouve encore dans des cosmétiques mais qui n’est plus autorisé dans les aliments », signale Messika Revel, enseignante-chercheuse en écotoxoxicologie à l’école d’ingénieurs UniLaSalle de Rennes.

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Parmi les gros pourvoyeurs de dissémination de microparticules, il y a la gomme des pneus et les fibres de nos vêtements synthétiques, lors des lavages en machine.La quantité exacte de plastique ingéré par nos organismes pourrait atteindre plusieurs grammes par semaine mais, surtout, le plastique s’ajoute « aux métaux lourds, aux pesticides, aux perturbateurs endocriniens, aux polluants éternels que sont les Pfas comme le téflo  », énumère Yann Olivaux, un biophysicien non académique (auteur de La nature de l’eau, éditions Marco Pietteur).

Les eaux souterraines seraient plus préservées

Ce lanceur d’alerte estime que les analyses de l’eau destinées à notre consommation sont très insuffisantes.

« On prend les polluants un par un en les quantifiant en fonction d’une norme mais cela n’apporte aucune information sur les conséquences sur la santé. La synergie entre les polluants n’est pas prise en compte : dans la réalité, nous sommes exposés à un cocktail de polluants dans l’eau, comme dans l’air des grandes villes. »

Peut-on limiter les risques de dégradation du plastique et donc de dissémination de ces micro et nanoparticules ? « Il ne faut pas mettre ces contenants en plastique alimentaire au micro-ondes et se méfier de ceux qui sont abîmés, rayés, c’est une porte d’entrée à la contamination », rappelle Messika Revel.

Pas de bouteilles en plastique en pleine chaleur 

Marc-Yvan Laroye pointe aussi des mauvaises pratiques : « Il ne faut surtout pas stocker des bouteilles en plastique au soleil. La chaleur et les UV cassent les chaînes moléculaires. On accélère la dégradation. Le pire étant de réutiliser une bouteille en plastique comme gourde et de la laisser sur la plage arrière de sa voiture ! ».

L'eau du robinet puisées dans eaux souterraines serait la moins contaminée. photo Thierry Lindauer

Le directeur adjoint de l’OiEau affirme que l’eau du robinet est moins contaminée par les particules de plastique : « Celle puisée dans les eaux souterraines est la moins impactée car le sol filtre très bien ces éléments. Si l’eau est puisée en surface, dans les rivières, on parvient à filtrer 90 % des micro et nanoplastiques ».

« La prise en compte des flux de microplastique dans l’environnement, c’est assez récent, la méthodologie d’analyse n’est pas encore arrêtée. Et nous n’avons pas encore les outils pour récupérer les nanoplastiques dans les échantillons », nuance Élodie Aubertheau. Cette consultante du cabinet Hesiode environnement, basé à Poitiers, travaille sur un programme dédié à cette question avec le CNRS.Les chercheurs commencent tout juste à mesurer l’ampleur du désastre mais ils ne doutent plus du risque sur la santé humaine.

 « On n’a pas de nocivité démontrée, mais on sait quand même qu’on accumule ces molécules de plastique qui peuvent transporter d’autres polluants »

« Il y a plus de 10.000 substances qui rentrent dans la fabrication des plastiques, insiste le directeur adjoint de l’OiEau, et la réglementation européenne “Reach” ne se focalise que sur 2.000 d’entre elles. En sachant que les bouteilles et flacons sont fabriqués avec énormément d’additifs ».

Les nanoplastiques pénètrent dans nos cellules

L’écotoxicologue Messika Revel insiste sur ces additifs qui sont autant de « contaminants émergents » et sur leur rôle de « fixateurs » pour des bactéries ou des virus. En sachant que les nanoplastiques ont justement une « taille comparable à un virus », situe Marc-Yves Laroye. Ce qui leur confère la capacité « de rentrer dans les cellules et d’interagir avec ses composés, alors que les microplastiques vont se contenter d’interagir avec les tissus, les organes », compare Messika Revel.

« Plus la taille est petite, plus les effets sont négatifs », appuie Lucie Etienne-Mesmin, maître de conférences en microbiologie à l’Université Clermont-Auvergne (UCA). « Les nanoplastiques ont une capacité plus grande à franchir la barrière intestinale et à se diffuser dans l’organisme pour atteindre le foie, le cerveau… », assure-t-elle.

Le laboratoire Medis (Microbiology, digestive environment & health) de l’UCA étudie déjà l’impact des microplastiques sur le système digestif, en partenariat avec le laboratoire Toxalim de l’Inrae-Toulouse. À Clermont comme à Toulouse, on salue la performance américaine de détection des nanoplastiques dans l’eau en bouteille.

En Europe, plusieurs programmes de recherches sont lancés.  « Nous avons constaté que les nanoplastiques pouvaient passer du microbiote de la souris à son foie », indique d’ores et déjà Muriel Mercier-Bonin, directrice de recherches du labo Toxalim..

« On manque pour l’instant d’outils pour les identifier et tracer ces nanoplastiques dans les tissus et les organes », reconnaît Lucie Etienne-Mesmin. Pour traquer les particules de plastique dans le corps humain « les physiciens, chimistes et biologistes » unissent leurs forces. La recherche clinique doit suivre.

À Clermont, la chercheuse Elora Fournier a reconstitué « in vitro » des systèmes digestifs humains en se focalisant sur les microplastiques.  

« Même si elles sont trop grosses pour passer dans le sang, ces microparticules vont s’accumuler et agir avec le microbiote intestinal, provoquer éventuellement une inflammation locale ».

Si la « barrière intestinale » est déjà fragilisée par une pathologie, « les effets sont encore plus délétères », complète Lucie Etienne-Mesmin.

Ces équipes françaises ont déjà mis en évidence que les désordres causés par le plastique dans notre organisme étaient accentués par un « régime occidental », gras et sucré.

Pour vivre plus longtemps, il faut manger sainement, on le savait déjà. Et boire le minimum de plastique ? Le vulgarisateur Yann Olivaux s’en tient à ce conseil fataliste : « Dans le doute, efforçons-nous de varier les polluants ».

Peut-on filtrer efficacement l'eau chez soi ?

La technique la plus aboutie de filtration de l’eau potable est celle de l’osmose inverse. Pour se rassurer, il faut se rappeler qu’elle a été inventée pour permettre aux cosmonautes de boire leur urine.

Ce n’est évidemment pas le système le moins onéreux mais les particuliers peuvent s’en équiper : « Il y a quatre niveaux de filtrage, dont du charbon actif et une membrane », détaille le biophysicien Yann Olivaux. Pour lui, la membrane en question peut bloquer les nanoparticules : « la maille correspond à 0,1 nanomètre, elle est donc dix fois plus serrée que l’échelle des nanoparticules, ça ne laisse passer que les molécules d’eau. Celles-ci font 0,3 nanomètre, c’est-à-dire qu’elles sont trois fois plus grosses que la maille de la membrane mais elles passent à travers du fait de la pression exercée ».

Bernard Legube, professeur émérite de l’Université de Poitiers, spécialiste en physico-chimie des eaux et traitement des eaux, est moins catégorique sur les capacités de filtrage des nanoparticules par des dispositifs domestiques, mais il souligne les garanties offertes par de simples « filtres à café ».  

Les carafes filtrantes peuvent offrir certaines garanties mais il ne faut surtout pas oublier de changer le filtre. Illustration Thierry Lindauer

« Le filtrage mécanique avec du tissu, du papier ou carton, ça marche pour toutes les particules supérieures au micron ».

Bernard Legube insiste sur les précautions à prendre avec les « carafes filtrantes » utilisées dans de nombreux foyers pour supprimer le goût de chlore de l’eau du robinet : « Les filtres à charbon ont un inconvénient, ce sont des nids à bactéries. Si le chlore est retenu, il n’y a plus de désinfectant. Si on ne nettoie pas la cartouche ou qu’on ne la change pas assez souvent, on aura un effet inverse en termes de qualité ».

Après avoir testé différents procédés de filtration de son eau domestique, Yann Olivaux utilise et préconise un purificateur par gravité reposant sur « un filtre à charbon actif compressé beaucoup plus efficace que le charbon actif granité des carafes et qui demande moins de maintenance qu’un osmoseur ».

L’investissement de départ, selon la capacité et la marque, représente entre 200 et 600 euros.

Julien Rapegno

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