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Pourquoi la dangerosité des écrans pour les enfants est toujours remise en question

Pourquoi la dangerosité des écrans pour les enfants est toujours remise en question

Alors que les pouvoirs publics, en France comme ailleurs, s’apprêtent, quand ils ne l’ont pas déjà fait, à limiter l’usage des écrans, leur dangerosité pour les enfants semble ne pas faire encore consensus au sein de la communauté scientifique.

Comment la dangerosité des écrans pour les enfants, dont elle prend en otage l’attention et l’intelligence, peut-elle faire encore débat ? Parce que les scientifiques peinent eux-mêmes à s’accorder sur le sujet, pourrait-on penser sur la foi de deux « méta-analyses » dont l’AFP vient de ressortir les conclusions.Ainsi une étude publiée en mars 2022, dans le Journal of the American Medical Association (JAMA) Psychiatry, relève-t-elle que « chez les enfants de moins de 12 ans, il existe bien un lien entre le temps passé devant les écrans et d’éventuels problèmes comportementaux mais celui-ci est “faible”. »« Cette étude, insiste l’agence de presse, est importante car ce n’est pas un travail isolé. Il s’agit d’une “méta-analyse” qui reprend un grand nombre d’études préexistantes et évalue notamment leur niveau de sérieux. Ses conclusions sont donc, a priori, plus solides que ces travaux pris séparément. Or, ce sont justement les études les moins sérieuses qui tendent à être les plus alarmistes. Selon les auteurs, ces travaux ont tendance à “exagérer les effets (des écrans) à cause d’un manque de rigueur méthodologique”. »

Effets bénéfiques avec les parents

Et d’ajouter au cas où on n’aurait pas compris :  « Les auteurs constatent aussi que les études les plus récentes font de moins en moins état d’un lien marqué entre exposition aux écrans et troubles du comportement. »L’autre “méta-analyse”, citée par l’AFP et parue en novembre dernier dans la revue Nature Human Behaviour, apporte également des conclusions mesurées, pointant par exemple, des résultats « mitigés » en matière d’éducation : « L’utilisation d’écrans est généralement associée à des capacités de lecture plus faibles, mais ces capacités sont au contraire plus élevées que la moyenne lorsque les écrans sont utilisés avec les parents. Dans le domaine de la santé, l’étude relève “plusieurs faibles impacts négatifs”. »« Ces méta-analyses, s’insurge Michel Desmurget, chercheur en neurosciences, élimine certes le bruit en écartant les études aux résultats trop discordants par rapport à la moyenne, mais ne s’interdisent pas d’en additionner d’autres qui n’ont pas grand-chose à voir : les tutoriels éducatifs et les jeux vidéo, par exemple, n’ont guère en commun que l’écran… Ces moyennes écrasent les effets négatifs des écrans sur le plan cognitif comme affectif, mais aussi la sédentarité, l’obésité… »

Lobbying

« Trop d’études, note encore le chercheur, oublie la nature cumulative des effets, petits au départ mais grands à l’arrivée. Et les écrans font une concurrence déloyale à la lecture alors qu’aucune activité n’a un impact aussi positif sur le développement cognitif et affectif. Par ailleurs, ce qui n’est qu’un petit effet à l’échelle d’un individu prend une tout autre importance à l’échelle de populations entières. Enfin, l’industrie du numérique, qui pèse des milliards et des milliards d’euros, ne pouvait pas ne pas réagir…  »

« L’industrie du numérique, abonde Yves Marry, cofondateur et délégué général de l’association Lève les yeux, met en œuvre la stratégie du doute déjà éprouvée par les industries du tabac ou du pétrole : financer des recherches, coopter des chercheurs, cofinancer des associations de prévention… »Les méta-analyses en disent sans doute finalement moins sur la dangerosité des écrans que sur l’efficacité du lobbying de l’industrie du numérique…

Menace pour la démocratie

« Si la dangerosité des écrans n’était pas avérée, reprend Michel Desmurget, pourquoi nombre des patrons de la Silicon Valley, comme révélé par Le New York Times, en interdiraient ou en réduiraient l’accès à leurs enfants ? Pourquoi les pouvoirs publics en Chine et à Taïwan, pays en pointe dans ces technologies, auraient-ils pris des mesures tout aussi drastiques pour protéger leur jeunesse ? Si un virus affectait les populations avec les mêmes pourcentages de dangerosité que ceux observés pour les écrans, un vaccin ou une molécule serait vite trouvé ! »

La révolution numérique, un monde sans aménité ni humanité

« Au-delà de la dangerosité pour les enfants, conclut Yves Marry, le numérique a aussi un impact délétère sur la démocratie. La dépendance généralisée aux écrans aidant, le débat public, capté par des plateformes privées, s’en trouve totalement déstabilisé. »(*) L’association lutte contre la surexposition aux écrans et promeut la déconnexion

Jérôme Pilleyre

Lire. Michel Desmurget, Faîtes-les lire ! Pour en finir avec le crétin digital, Éditions du Seuil, septembre 2023, 22,50 euros, et Yves Marry, Numérique : on arrête tout et on réfléchit !, Editions Rue De L’échiquier, parution le 2 février, 13,90 euros

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