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Le succès fulgurant des restaurants festifs : "En quelques secondes, on finit sur les tables"

Le succès fulgurant des restaurants festifs :

Depuis la pandémie, ces établissements qui proposent à leurs clients de faire la fête tout en restant à table se sont multipliés dans la capitale.

Entre deux bouchées de couscous, Alizée alpague le pianiste qui joue au fond de la salle de restaurant où elle est attablée avec une poignée d’amis. "Vous connaissez Dalida ? Ou alors Nina Simone ?", réclame la trentenaire en riant. Le musicien acquiesce puis s’exécute, et entame une reprise de Mourir sur scène, avant de faire retentir les premières notes de Feeling Good. En ce mercredi calme de janvier, la vingtaine de clients présents continue de dîner en bougeant sobrement les épaules. Certains osent quelques selfies, accompagnent le chanteur en fredonnant, quand d'autres s’approchent du piano verre à la main, et proposent d’autres standards de la chanson française. "Vous pouvez jouer Dans les yeux d’Émilie ?", tente Alizée sur les coups de 23 heures, alors que les lumières de la salle se tamisent. Manqué : son interlocuteur choisit plutôt une reprise d’Aïcha, chantée joyeusement par une serveuse - ici, même le personnel participe à l’ambiance festive des lieux. "Ce soir, c’est assez calme. Mais souvent, vous avez des groupes qui chantent à tue-tête, debout devant leur assiette, font des concours entre les différents coins de la salle", confie-t-elle après sa prestation.

Chaque mercredi soir, La Casbah, établissement emblématique du 11e arrondissement de Paris, propose ainsi à ses clients un "dîner festif" autour d’un couscous - facturé 39 euros par personne - et d’un "piano-jukebox", où l’artiste interprète les chansons préférées du public. Au fil des jours de la semaine, les consommateurs pourront également découvrir des spectacles de danse ou autres performances artistiques, avant de prolonger, s’ils le souhaitent, leur soirée dans le club du restaurant situé au sous-sol. "Le Covid nous a obligé à des efforts de création de contenus", justifie Arnaud Delaeter, co-fondateur du groupe Bonjour/Bonsoir, propriétaire de La Casbah. Depuis, ce type de soirée cartonne. "Ça a vraiment permis de renforcer la fréquentation des débuts de semaine, avec environ 15 % de clientèle supplémentaire le mercredi et le jeudi", ajoute le gérant.

Venues fêter un anniversaire, Manon et Emilie confirment : depuis plusieurs mois, ces trentenaires ne jurent plus que par les restaurants festifs parisiens. Ambiance piano intimiste, DJ électro ou pas de danse debout sur les banquettes… Elles assurent avoir déjà testé "six ou sept établissements" de ce type, un peu partout dans Paris. "Il y a des endroits où ça part en quelques secondes et vous finissez par chanter sur les tables ou sur le bar. Et puis parfois, comme ce soir, ça reste plus intimiste et calme", commente l’une des fêtardes, légèrement frustrée par le calme de ce milieu de semaine. "Dans tous les cas, je suis bien plus motivée pour sortir que si nous étions allées dans un restaurant classique", nuance une autre en se levant pour rejoindre le club situé un étage plus bas.

"Il faut absolument se démarquer"

À Paris, La Casbah est loin d’être le seul établissement à proposer à ses clients ce type de dîners festifs, qui se terminent rarement avant 2 heures du matin. Président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) Paris, David Zenouda a même vu la tendance "prendre une ampleur impressionnante depuis cinq ans" dans la capitale, notamment à la faveur de la pandémie de Covid. "Il existait déjà des restaurants festifs, notamment à la montagne ou dans des villes comme Saint-Tropez ou Cannes. Mais quand les boîtes de nuit ont fermé, beaucoup de consommateurs ont redécouvert le principe, et ont adoré. Les établissements se sont alors multipliés", raconte-t-il. Alors que les restaurants traditionnels enregistrent une baisse de fréquentation de 20 à 30 % en fonction des régions pour l’année 2023 selon l’UMIH, David Zenouda estime même que ce phénomène aurait permis à certains établissements de survivre au choc du Covid, et de se réinventer dans un contexte économique particulièrement tendu. "La concurrence est devenue tellement féroce qu’il faut absolument se démarquer. Les restaurants festifs fonctionnent mieux que jamais, et les grands groupes l'ont d’ailleurs bien compris", explique-t-il.

Le groupe Paris Society, qui possède une vingtaine d’établissements partout en France - dont plusieurs restaurants festifs -, se réjouit par exemple du succès du Piaf, établissement parisien qui propose en fin de semaine des concerts piano-live, avec une animation musicale "qui monte crescendo et peut durer jusqu’à 2 heures du matin", décrit la directrice de la communication Alexandra de la Brosse. "Dès la première année, en 2017, nous avons affiché complet quasi tous les soirs. Alors nous avons décidé de travailler ce type de propositions dans la majorité de nos restaurants, pour manger et faire la fête dans un seul et même lieu", développe-t-elle. Le Piaf s’exporte désormais à Megève et à Val d’Isère, et fait partie des établissements cités par Emilie et Manon, qui admettent y avoir passé "plus d'une soirée" entre copines, malgré des prix plus élevés que dans un restaurant classique - comptez au moins 30 euros pour un plat principal, avec l'accompagnement en supplément.

Même succès du côté d’Eleni Group et son restaurant grec festif Yaya, ouvert en 2017 en région parisienne. "On a commencé par quelques soirées par mois, puis tous les week-ends… Et le concept a tellement bien fonctionné que nous ouvrons ce mois-ci notre cinquième établissement", se félicite Grégory Chantzios, co-fondateur du groupe. Pourtant, le pari était loin d’être gagné pour ce restaurateur : "Très clairement, je ne suis pas sûr que nous aurions tenu après le Covid si nous n’avions pas commencé à proposer ce côté festif. Il a fallu s’adapter aux nouvelles demandes de nos clients, qui viennent chercher, en plus de la nourriture, une vraie expérience", confie-t-il.

"Il y a un côté un peu bling-bling"

"Aujourd’hui, c’est ce qui prime. Les clients ne veulent pas seulement bien manger, ils veulent surtout montrer à leurs amis qu’ils ont chanté sur Dalida, dansé entre les plats et se sont fait servir à même le set de table", analyse David Zenouda. Charlotte, cliente d’un restaurant festif à Bordeaux, confirme. "Passée une certaine heure, les serveurs mettent le feu au bar, font monter les filles sur les tables, et la majorité des clients sont rivés sur Instagram pour faire des stories. Il y a un côté un peu bling-bling", s’amuse-t-elle. Sur les réseaux sociaux, les centaines de vidéos mettant en scène de jeunes trentenaires dansant devant leurs assiettes dans des établissements de Paris, Bordeaux, Lyon ou Lille lui donnent raison. Ravis, les clients posent devant des plats de viande découpés devant leurs yeux par des cuisiniers charismatiques, filment des bouteilles de champagnes servies à grand renfort de bougies étincelantes, s’affichent debout sur un bar rempli de shots enflammés… Sans toujours se rendre compte de l'addition qui les attend.

Dans les quartiers les plus chics de la capitale, certains restaurants festifs - qui imposent même à leurs clients un "dress code élégant" ou un minimum de dépenses par tête - proposent ainsi des gnocchis à 34 euros, des burratas à 44 euros, ou encore des cocktails à plus de 23 euros… "Tu es happé par le lieu, tu recommandes des verres, mais tu peux finir par payer 130 euros ta soirée. Ce qui est un peu cher pour les portions proposées", témoigne Tanguy, un trentenaire parisien qui a testé plusieurs fois ce type de restaurants.

De quoi déclencher la colère de certains consommateurs, dont les avis en ligne sont parfois tranchants. "Super déco qui n’est qu’au service d’Instagram. Le but de l’établissement est de brasser le maximum de clients en peu de temps", se désespère ainsi un fêtard après avoir passé la soirée dans un restaurant festif près des Champs-Elysées. "On mange correctement, mais c’est bien en-dessous des espérances que l’on peut avoir en payant ce prix", écrit un autre au sujet d’un établissement concurrent. "Certains ont fait le choix d’une sélection par le haut, en exigeant par exemple un minimum de 200 euros consommés par personne, pour une qualité de nourriture pas toujours justifiée", admet Thierry Fontaine, président de l’UMIH nuit. Lui-même gérant d’un restaurant festif, il rappelle que tous les établissements de ce type "ne sont pas des réussites". "C’est un métier différent de celui de restaurateur : les normes de sécurité ne sont pas les mêmes, les assurances sont trois fois plus chères, et l’investissement en termes d’artistes et de communication peut être colossal", indique-t-il : "Beaucoup ont sous-estimé le travail, et ont finalement dû se placer en cessation d’activité".

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