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Ecole : le virage "Jules Ferry" d’Emmanuel Macron

Emmanuel Macron porte rarement la barbe. Hormis ce détail, ses annonces sur l’école, lors de sa conférence de presse de ce mardi 16 janvier, ressemblaient à s’y méprendre à un discours ardent d’un des caciques de la IIIe République. Jules Ferry, fondateur de l’école obligatoire, gratuite et laïque, par exemple. Symbole de ce retour marqué à la tradition républicaine, l’expérimentation de l’uniforme obligatoire à l’école publique, annoncée dans une centaine d’établissements. "L’uniforme efface les inégalités entre les familles et crée des conditions de respect", a justifié le président de la République.

Contrairement à une idée reçue, l’uniforme n’a jamais été obligatoire pour tous à l’école. Son développement reste toutefois associé à la IIIe République et à la démocratisation de l’enseignement scolaire. Le port de la blouse se généralise alors, notamment pour que l’encre des plumes ne tache pas les vêtements. La tenue uniformisée n’efface pas totalement les inégalités, puisque les riches portent de belles étoffes pendant que les ouvriers se servent souvent de tissus raccommodés ; elle évoque en revanche une période pendant laquelle les inégalités sont dratisquement réduites.

La loi du 28 mars 1882, portée par Jules Ferry, alors ministre de l’Instruction civique, rend également obligatoires les exercices militaires à l’école. Ces "bataillons scolaires" portent l’uniforme. Dans les lycées, le port d’un uniforme d’allure militaire est répandu et c’est bien cet esprit de "respect", de distinction qui le justifie.

"Maîtres" et "instruction"

Comme le petit poucet et ses cailloux, Emmanuel Macron a parsemé sa conférence de presse d’autres références aux fondamentaux de la IIIe République. Se dessine de plus en plus nettement un projet pour l’école recentré autour de la cohésion nationale, de l’appartenance à la Nation. Les "hussards noirs", comme on a appelé les instituteurs de la fin du XIXe siècle - Emmanuel Macron choisit le mot de "maîtres" pour désigner les enseignants -, plutôt que le pédagogisme, cette philosophie éducative issue du mouvement de "l’éducation nouvelle", apparu après 1968, plaçant l’émancipation individuelle des élèves au-dessus de toute autre valeur, pourrait-on résumer à grands traits. "Chaque génération de Français doit apprendre ce que la République veut dire : son histoire, ses droits, ses devoirs, sa langue, son imaginaire, et cela dès l’enfance", a plaidé le chef de l’Etat.

Le doublement des heures d’instruction civique à partir de la cinquième, "avec en appui les textes fondateurs de la Nation", dit Emmanuel Macron, s’inscrit évidemment dans cette logique. Encore une fois, le choix des mots est important : le président évoque "l’instruction", comme on disait sous la IIIe République, plutôt que "l’éducation" civique. Lorsque le chef de l’Etat se dit "totalement favorable" à l’apprentissage systématique de La Marseillaise à l’école primaire – théoriquement déjà obligatoire depuis la loi Fillon du 23 avril 2005 -, on croit entendre Jules Ferry lui-même. Le pionnier de l’école obligatoire voulait inculquer un patriotisme fervent aux jeunes Français, dans le contexte de l’humiliation causée par la guerre franco-prussienne de 1870-1871. "L’instituteur prussien a fait la victoire de sa patrie, l’instituteur de la République préparera la revanche", déclare le ministre à Reims, en 1882.

Clins d’œil au "certif"

Quant à la cérémonie de remises de diplômes du brevet et du baccalauréat qu’Emmanuel Macron souhaite généraliser dès cette année (elle existe déjà dans de nombreuses communes), elle fait encore une fois écho à une tradition de la IIIe République. Dès 1882, l’obtention du certificat d’études primaires – le fameux "certif" donne lieu à des cérémonies dans chaque canton, où les diplômes sont remis et où les premiers se voient délivrer des prix. Autre clin d’œil au "certif" de Jules Ferry, présenté à l’âge de 11 ans, une évaluation nationale standardisée sera désormais obligatoire pour les élèves de CM1, a annoncé Gabriel Attal, en août 2023.

Même l’annonce de l’enseignement obligatoire de l’histoire de l’art et de la pratique du théâtre à l’école peut s’inscrire dans cette filiation "hussard noir". "Comme pour la musique et les arts plastiques, je souhaite que le théâtre devienne un passage obligé au collège dès la rentrée prochaine", a expliqué Emmanuel Macron. Or c’est encore une fois Jules Ferry qui a rendu obligatoire le dessin et la musique à l’école, en 1882. L’idée était de développer le sens esthétique des élèves. "Les visées de Jules Ferry ? Donner une culture modeste mais large aux enfants du peuple, cultiver le patriotisme grâce à des paroles bien choisies", explicite l’historienne Michèle Alten, auteure de La musique dans l’école : de Jules Ferry à nos jours. Jules Ferry était d’ailleurs ministre de l’Instruction civique mais également des Beaux-Arts. Ce lien entre sens artistique et patriotisme, Emmanuel Macron l’affirme à son tour, en expliquant promouvoir les cours d’histoire de l’art "parce que la France est aussi une histoire, un patrimoine qui se transmet et qui unit".

Cette fois, la réforme est à même de réconcilier, semble-t-il, les adeptes de la tradition et les défenseurs de "l’éducation nouvelle" : l’apprentissage du théâtre doit permettre aux élèves de s’affirmer et prendre confiance en eux. "Cela donne confiance. Cela apprend l’oralité, le contact aux grands textes", a défendu Emmanuel Macron.

Toutes ces annonces éducatives présentent par ailleurs un point commun : elles coûtent très peu cher. Comme si dans un contexte budgétaire tendu, alors que les enseignants ont obtenu des hausses salariales en 2023, le président de la République avait cette fois pris le parti de "faire mieux avec moins". Les syndicats enseignants ironisent d’ailleurs ce mercredi 17 janvier sur ces réformes, qui ne permettront en elles-mêmes de répondre au manque d’attractivité de la profession. "Sauf erreur de ma part, l’uniforme ne fait pas revenir un professeur remplaçant", relève par exemple Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU, auprès du Monde.

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