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Le futur de la musique se trouve toujours à Eurosonic !

Rendez-vous inratable des professionnels du secteur de la musique, le festival de Groningen qui se tenait du 17 au 20 janvier, Du triomphe de Zaho de Sagazan, à la révélation Clarissa Connelly en passant par la claque Lambrini Girls, récit de notre aventure dans le froid de l’hiver néerlandais.

C’est une tradition qui dure depuis trente-huit éditions déjà. À qui voudrait avoir un avant-goût de quoi sera fait le futur de la musique européenne, rendez-vous à Groningen dans le nord des Pays-Bas pour le festival Eurosonic. À l’instar du SXSW d’Austin, Texas, du Great Escape de Brighton ou des Trans Musicales de Rennes, le festival néerlandais s’est donné une mission : défricher.

Si la barre des 300 groupes venus de toute l’Europe n’aura pas été franchie (seulement 299, petit bras) les journalistes mais surtout les bookers et les programmateur·rices de festival de par le monde venaient bien évidemment se mêler à la fête pour dénicher les talents qui feront les festivals et les playlists de demain. Côté artistes, l’enjeu est grand. Pour marcher dans les traces de Squid, Fontaines D.C., Kids Return, Oklou, Pongo ou Charlotte Adigéry, ils et elles ont 40 minutes pour convaincre ce parterre de festivalier·es d’un autre genre.

Départ canon

Alors, après avoir pillé le distributeur automatique de junk food (les fameuses croquettes dont il ne faut pas s’enquérir du contenu), on se dirige tranquillement vers notre premier rendez-vous de cette édition 2024 d’Eurosonic avec la Suédoise Raghd. Vaguement familier du single d’obédience UK, Easy Go!, sûrement glané au détour d’une flânerie sur un blog américain, on se laisse porter par la performance de la jeune artiste qui n’est pas sans rappeler les premiers efforts d’une Jorja Smith.

Malgré un public encore timoré et pas vraiment réchauffé (une observation qui se confirmera au fil du festival dans la salle du Mutua Fides), Raghd tire le meilleur parti de sa formation live qui donne le plein potentiel à ses productions qui n’hésite pas à verser dans des saillies rock FM en contrepoint de son R&B mâtiné de nu-soul.

Un trait d’union entre Kate Bush, Caroline Polachek et Björk

Planning oblige, on s’éclipse aux premières notes du dernier morceau pour rejoindre la salle enchanteresse du Stadsschouwburg pour le très attendu concert de Clarissa Connelly, nouvelle signature du très classieux label Warp. Bien nous en a pris puisque l’artiste a livré sans aucun doute l’un des meilleurs concerts de cette édition 2024 (sinon le meilleur) avec une relecture futuriste de traditions musicales celtiques.

De quoi démarrer Eurosonic sur les chapeaux de roue avec l’artiste dano-écossaise en forme de trait d’union entre Kate Bush, Caroline Polachek et Björk qui publiera son troisième album dans un futur proche.

Un groupe danois aux influences kurdes

Tout juste le temps de se remettre de nos émotions, on file vers le concert du quatuor anglais Honesty. Un concert qu’on quittera presque instantanément, la faute à un son assourdissant qui ne saurait rendre honneur aux beautés indie et UK bass de leurs enregistrements studio.

Haut les cœurs, face à l’insistance de nos confrères, on se traîne vers le concert d’AySay (qu’on préférera à celui trop lointain de l’Italienne Daniela Pes). Une idée pas désagréable puisque le groupe danois aux influences kurdes à tout de l’outsider parfait pour un festival d’été. De ceux qui ramèneraient 10 000 festivaliers curieux sur la simple base d’un riff d’oud ou de baglama. Instantané.

De la dream pop perpétuellement chahutée par le vrombissement des basses

Face au 45 minutes de queue qui nous sépare de Chalk, la sensation du soir sur la scène VERA (on apprend à nos dépens que la salle est presque toujours victime de son succès), on décide d’entraîner quelques collègues au concert de la Norvégienne Jouska – notre idée fixe du soir – sur la scène définitivement maudite du Mutua Fides.

Dans une salle à moitié (puis aux deux-tiers) vide, dans l’adversité (ou plutôt l’absence d’adversité), l’autrice du sublime Suddenly My Mind Is Blank (un sommet musical de 2023) a livré une curieuse performance. Frôlant un absentéisme qui en laissera pas mal sur le carreau et le reste (nous) sous le charme de ce détachement magnétique et de cette dream pop perpétuellement chahutée par le vrombissement des basses et des saillies electronica. Un beau moment de notre festival mais pas un grand moment de communion.

Folie déconstructiviste et hyperpop

Mais trêve d’atermoiements puisqu’après ce moment d’émotion volé, on change drastiquement d’ambiance avec Leatherette. Formation qu’on pense toute droite sortie de la Brit School – l’école de musique qui a accueilli sur ses bancs Amy Winehouse, Kae Tempest, FKA Twigs, Black Midi – mais qui s’avère être tout à fait italienne.

On ne boude pas notre plaisir face à ce simulacre rock qui charrie l’héritage récent du jazz de King Krule et de la relève postpunk de Squid (avec, pourquoi pas, un soupçon de Wu Lyf, mais c’est le cœur qui parle). D’humeur à poursuivre les hostilités et sans trop savoir qu’on finira, trois jours plus tard, sur les rotules, on fait cavalier seul jusqu’au lointain club Simplon pour le show de Franek Warzywa et Mlody Budda.

Imaginez le côté laborantin de Jacques, la folie déconstructiviste et hyperpop (et l’amour pour le metal) de 100 Gecs. Maintenant, considérez l’idée que cet alliage déjà fantasque ne parlerait que de légumes (en acheter, en manger, en lancer dans le public) et vous tenez à environ le credo du duo polonais qui cristallise à lui seul l’éthos d’Eurosonic : défricher – au sens figuré comme au propre.

Bravo Zaho

Après une journée bien fournie qui nous aura appris les limites de notre endurance, pour ne se concentrer que sur l’attraction du soir, les MME Awards à la Stadsschouwburg qui auront doublement consacré la Française Zaho de Sagazan (prix du jury et du public) devant l’Irlandaise Yunè Pinku ou l’Espagnol Ralphie Choo. Très émue, elle débutera (sur la même scène) son concert avec quelques minutes de retard et quelques mouchoirs en poche.

Mais juste le temps de célébrer cet élan patriotique qu’on se retrouve déjà au concert de Pablopablo à quinze minutes de là avant de camper devant celui d’Eddigton Again dans la même salle. L’avantage de profiter du retour de la UK bass et de la néo-soul anglaise sur le devant de la scène, d’être un équivalent danois de Nourished by Time et de partager une partie de son blaze avec le producteur anglais star Fred Again.., c’est qu’on coche pas mal de cases pour ravir les cœurs.

Les saillies punk de Bracco, attendu aux Inrocks Festival

Ça ne sera pas encore pour cette fois face à un public trop discipliné (décidément !) mais entre ses pas de danses chaloupés, ses loops addictives et la versatilité de sa voix, Eddington Again a déjà tout gagné.

Puis retour à la case départ, dans l’écrin toujours aussi exceptionnel de la Stadsschouwburg pour la performance – ou plutôt les quatre derniers morceaux – de Waterbaby et sa folk autotuné au potentiel ravageur avant d’entamer un tunnel rock jusqu’au bout de la soirée et verser une nouvelle fois dans le chauvinisme avec Bracco (qui sera à l’affiche des Inrocks Festival).

Le duo breton déjà aperçu sur les routes de France et de Navarre, n’a toujours pas son pareil pour asséner ses saillies punk et industrielles sur un public, au choix, groggy ou transi, mais qui n’en demandait pas tant.

Des héritières des Riot Grrrl

Deuxième étape rock du soir : La Elite qu’on avait manqué lors de plusieurs festivals. Quand finalement on pénètre dans l’enceinte surchargée du Maas, on prie pour que notre choix qui s’est porté sur la formation punk espagnole ne nous déçoive pas.

Lorsqu’on comprend qu’on a plus au moins affaire aux Sleaford Mods catalans et Y2K, que l’homme-machine préfère s’enfiler goulument un cheese-burger entre deux gorgées de bières et que le chanteur prend un plaisir enfantin à empiler les jurons, on baisse évidemment la garde devant leur synthpunk exaltant.

Coup double pour notre preview Inrocks Festival (toujours dans les bons coups) puisque pour clôturer ce deuxième jour plein, notre choix s’est porté sur les Lambrini Girls. D’une part, ces héritières des Riot Grrrl qui ne s’expriment qu’en hurlant – même entre les morceaux – auront réussi à créer les seuls mosh pits de cette édition, d’autre part elles auront réussi à s’arracher dix minutes de rab de concert par la simple force de leur musique rageuse et incandescente.

Rap à haut débit et inflexions de lover

À trop s’entêter sur notre planning (si performant les premiers jours), on a bien failli gâcher notre dernière soirée en terres groningoises. Tout avait pourtant bien débuté avec Astral Bakers, nouvelle formation d’Ambroise Willaume (Sage), Theodora, Nicolas Lockhart et Zoé Hochberg, qui compte à son actif une poignée de chansons dont certaines sonnent déjà comme des classiques du genre.

Mais on ne récupèrera le fil de la soirée que quelques heures plus tard en compagnie de la Française Angie, autrice d’un récent EP commun avec Lazuli, après avoir essuyé échecs (English Teacher, Bound By Endogamy) et déceptions (RolRolRol).

Le groupe psyché préféré de ton groupe psyché préféré

Qu’il s’agisse de rapper à haut débit ou faire ressortir son “côté lover” (vibes R&B à l’appui), l’artiste originaire de Carhaix s’est immédiatement faite une place dans le cœur des festivalier·es avec une facilité déconcertante.

Plutôt que de retenter notre chance dans les salles bondées du centre-ville groningois, on s’éclipse à Machinefabriek pour le concert des Néérlandais de Yīn Yīn venant défendre leur nouvel album et s’avançant avec leur réputation de “groupe psyché préféré de ton groupe psyché préféré”.

Un titre pas vraiment usurpé, tant le groupe inspiré par la musique du sud-est asiatique ne se résout à aucun effet de manche pour rendre leur musique plus pop. Quasi-entièrement instrumental, reposant uniquement sur l’implacabilité de ses riffs, Yīn Yīn a laissé pantois tout·e festivalier·e ayant pris le parti de s’abandonner à leur musique.

La dernière fois qu’on avait été témoin d’une prestation de Master Peace (sur la scène du Pitchfork Paris Festival en 2019), l’Anglais avait saccagé verrerie et bouteilles en passant la moitié de son concert juché sur le bar de la salle (au grand dam de l’organisation).

On s’attendait donc à une prestation fiévreuse mais aussi de savoir comment il saurait concilier sa nouvelle stature. Réponse : en embrassant complètement la pop pour une partition plus fédératrice que dévastatrice.

Sans réaliser le meilleur concert de cette édition 2024, Master Peace convoque un lot de références si attachantes (l’ère bloghouse, le rock de stade de Kaiser Chiers et Kasabian, le dance-punk de LCD Soundsystem…) avec la même énergie communicative que le Bonkers de Dizzee Rascal et Armand Van Helden qu’on serait prêt à tout lui passer. Un live aussi régressif que la junk-food des distributeurs néerlandais et une manière parfaite de clôturer notre aventure hollandaise.

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