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Suspension d’indemnités en cas de refus de CDI : le plein-emploi à n’importe quel prix ?

Suspension d’indemnités en cas de refus de CDI : le plein-emploi à n’importe quel prix ?

Emmanuel Macron n’a pas renoncé à son principal objectif de fin de mandat, loin de là. Lors de sa conférence de presse du 16 janvier, le chef de l’Etat a posé, devant les journalistes et les Français, les bases de "l’acte II" de sa réforme du marché du travail : nouveau durcissement des règles de l’assurance chômage, meilleur accompagnement des chômeurs… Ses contours sont encore flous, mais l’intention finale est claire : approcher un taux de chômage de 5 % en 2027, ce qui correspondrait, selon les économistes, au plein-emploi en France. Mais les chiffres sont têtus. Au troisième trimestre 2023, le taux de chômage est reparti à la hausse, remontant de 0,2 point par rapport au trimestre précédent, pour atteindre 7,4 %.

Des employeurs délateurs ?

Du côté du gouvernement, on s’ingénie à trouver de nouveaux leviers. Le 28 décembre dernier, un décret paru au Journal officiel a entériné l’une des mesures de la réforme de l’assurance-chômage du 21 décembre 2022, qui consiste à suspendre les indemnités chômage d’un collaborateur qui refuserait à deux reprises une proposition de CDI à la suite d’un CDD ou d’un intérim, sous certaines conditions : un salaire et un poste équivalents, la même durée de temps de travail, ainsi qu’un lieu d’exercice inchangé. Lorsqu’une telle situation se présente, l’employeur doit - en théorie - le signaler, sur une plateforme dédiée, à France Travail, le nouveau nom donné à Pôle emploi depuis le 1er janvier 2024.

Cette nouvelle obligation ne s’accompagne pas, pour l’instant, de sanctions pour ceux qui ne feraient pas remonter les informations. Mais les DRH grimacent. "Je ne suis pas certain que cela doit être le rôle des employeurs. On leur demande tout simplement d’être des délateurs. Nous sommes dans une phase où nous essayons de recréer du lien avec les salariés, cela ne nous plaît pas beaucoup", confie Benoît Serre, vice-président délégué de l’Association nationale des DRH (ANDRH). D’autant que chaque situation a son contexte. "Quelqu’un qui va vous refuser un CDI peut avoir plein de raisons pour le faire. On peut imaginer qu’une personne en CDD ou en intérim n’est pas bien dans son travail en raison de problèmes de management", ajoute-t-il

Risque de flop

Dans ces conditions, difficile de croire que ce décret sera respecté à la lettre. Pour Michèle Bauer, avocate spécialiste en droit du travail, il ne fait guère de doute que cette mesure va faire flop. "Les employeurs ne vont pas l’appliquer parce qu’on leur demande de prendre l’initiative d’être le flic de France Travail. Ce sont des tracasseries administratives de plus. En revanche, cela servira peut-être des employeurs malveillants", prédit-elle. Certains chefs d’entreprise pourraient, en effet, être tentés de faire planer la menace d’un signalement pour éviter toute renégociation de salaire. Côté Medef, on attend un premier bilan avant de se prononcer. Le syndicat patronal dit "rester vigilant à ce que ce dispositif ne vienne pas alourdir la charge de travail des entreprises". Mais le signal est plutôt bien perçu : "On peut dire que cela va dans le sens de l’accélération du retour à l’emploi."

Cette nouvelle épée de Damoclès qui menace les salariés illustre en tout cas la volonté d’Emmanuel Macron d’arriver coûte que coûte au plein-emploi. Le choix de la quantité au détriment de la qualité ? "Tout ne doit pas peser sur les salariés. Il doit y avoir des changements de pratiques de la part des employeurs. Il faut penser une société qui s’adapte plus à la transition qui vient. Cela demande des investissements sociaux : diminuer l’usure professionnelle, améliorer la rémunération", égrène Olivier Guivarch, secrétaire national sur les politiques d’emploi à la CFDT. "Il y a un besoin de mettre les enjeux de qualité de l’emploi au cœur des préoccupations gouvernementales", appuie l’économiste Christine Erhel. A trop vouloir garnir les rangs des entreprises, le chef de l’Etat en perd la valeur "travail" qui lui est si chère. "Cela peut évidemment dégrader la qualité de l’emploi. La logique qui prévaut consiste à dire que c’est en administrant et en rigidifiant le marché du travail qu’on va lui permettre de se développer", constate Benoît Serre de l’ANDRH. L’idée paraît en effet contre-intuitive. Mais rien ne garantit qu’Emmanuel Macron ne sortira pas de nouvelles mesures contraignantes de son chapeau.

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