World News in French

Dans la Creuse, ces agriculteurs ne demandent pas la lune et pourtant...

Le Gaec porte le joli nom de la passion. Et heureusement qu’ils l’ont, la passion. « À l’heure actuelle, c’est vrai qu’on voit surtout tout ce qu’il y a de négatif mais il faut bien y croire. On fait un beau métier, un métier de passion, oui, et on a envie de croire à l’avenir. Il faut bien. Sinon, on n’aurait pas installé la gamine. »Aux portes de Saint-Vaury, veaux, vaches et cochons s’élèvent en famille. Autour de la table, le père, Samuel, 50 ans, Séverine, la mère, 47 ans et Camille donc, la fille aînée, 21 ans. Tous trois travaillent aujourd’hui sur l’exploitation familiale, créée en 2003 par Samuel : « Des vaches, en naisseur engraisseur et quelques cochons » à l’époque. Séverine, elle, a rejoint l’aventure en 2018. Pas du tout du métier : elle était assistante dentaire. « Elle voulait même être sage-femme, finalement, elle accouche des cochons », plaisante Camille.« Au départ, je m’étais installée en individuel et en bio, reprend Séverine. Je faisais que de la naissance de porcs. Samuel, lui, avait ses vaches, en conventionnel sur son exploitation. Et puis, au bout de trois ans, la société avec qui j’avais un engagement de sept ans l’a rompu : ils ne trouvaient plus d’engraisseurs ! Et le porc bio, ça ne se vend pas, il n’y a pas de débouchés. Alors, il a fallu rebondir. »

Une vie, entre charges et contraintes

Le Gaec de la passion est né comme ça. Un peu fortuitement pour rebondir sur des absurdités imposées. « On a un peu réduit le cheptel », précise Samuel. Chacun gardant son pré carré : cent limousines pour lui, 25 mères porcs pour elle. Tous deux en naisseur engraisseur, elle en vente directe. « Et puis, comme on avait pas assez de travail, on a rajouté quelques bêtes, sourit Samuel. Quand Camille a rejoint le Gaec. »

La passion, pour elle aussi, même si, gamine, à un moment, ce métier de paysan, elle ne voulait plus en entendre parler : « On ne voyait pas beaucoup papa. Et petit à petit, la passion est revenue ». Jusqu’à l’installation en janvier. Oh, sa mère était pas franchement pour :

"Je voulais pas trop, c’est vrai. Je lui ai dit : tu vois bien les charges qui augmentent, les contraintes de travailler avec du vivant, le peu de salaire qu’on se sort…” 

Mais, bon, la passion. Et puis, ça faisait plaisir au père de famille, oui, « énormément » même, de voir la relève assurée : « C’est vrai que j’espérais. Ça n’aurait pas le même charme s’il n’y avait personne derrière ». Pas sûr en plus que les deux petites dernières, des jumelles de 12 ans, auraient eu la même envie : « Elles nous ont dit souvent : “Oh, arrêtez de parler boulot à la maison”, parce que c’est vrai, nous, il n’y a pas de coupure entre l’exploitation et la maison, lâche Séverine. Et puis, elles ont regardé Au nom de la terre (*). Ça les a traumatisées. Elles ont une autre vision du métier… ».Ce métier qui use, qui stresse, qui « ronge »…

"Ça fait vingt ans que je suis installé et je n’ai jamais connu une bonne année. Mais c’est de pire en pire. On a de plus en plus de contraintes, de plus en plus de charges."

Le GNR (gazole non-routier) ? « On l’a payé 0,60 €, aujourd’hui on est à 1,20, 1,30 €. Et avec la TIPP (désormais appelée TICPE, taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) qui va aller en diminuant… » L’électricité ? « Une catastrophe ! Pour les porcelets, il faut des lampes chauffantes, alors, vous imaginez la facture ! » Les aliments ? « Ils avaient augmenté quand les céréales avaient doublé. Là, elles sont revenues à un prix de misère mais les aliments n’ont pas baissé. » L’eau ? « Avant, quand c’était la commune, sur l’exploitation, sans les cochons, je payais 1.200 € par an. Aujourd’hui, depuis que c’est l’Agglo, on est passé à 5.000 €. De 1 à 3 € le m3 ! Nous, d’ailleurs, on a une réflexion sur l’eau. On voudrait bien faire un forage, un puits. » Et puis, il y a eu aussi « l’installation de Camille : acheter des vaches, du matériel, les études, ça coûte et on n’a des aides de nulle part. Toutes les économies qu’on avait pu faire, elles s’amenuisent », reconnaît le couple qui peine, tant bien que mal, à se sortir un salaire. Pas mirobolant, le salaire :

"On a tout juste 700 € par mois. Pour toute une famille, c’est compliqué. Mais on vit. Mais c’est sûr que s’il fallait acheter de la viande, on pourrait pas."

Et puis, il y a toutes ces contraintes, ces normes, cet administratif qui bouffe de plus en plus de temps et d’énergie.  

« Les normes ? Y en a marre. En France, on veut toujours être plus blanc que blanc. Là, on vient encore de nous raboter un mois sur le taillage de haies. À force, on ne sait plus ce qu’on a le droit de faire ou pas. On en perd notre latin. On n’est pas du tout contre l’écologie : si on a des contraintes à ce niveau-là, c’est aussi parce qu’on l’a cherché… Nos anciens, ils reviendraient, ils seraient fous. Aujourd’hui, tout est décrété par des bureaucrates, tout en haut, qui ne se rendent vraiment pas compte de ce qu’il se passe sur le terrain. Les cahiers des charges qu’on nous impose… On marche vraiment sur la tête. Pour l’administratif, on pourrait employer une secrétaire à plein temps. » Et par-dessus tout ça, cette image qu’on donne des paysans : « On nous traite de pollueurs, d’assassins ».

La passion malgré tout et puis ces mots qui n'ont pas de prix

Alors heureusement, il y a la passion, oui. De celle qui vous donne encore le courage de vous lever le matin quand tout le reste vous a plombé la nuit. Il y a aussi ce bon sens paysan, cette fierté du métier et puis cette reconnaissance, parfois, de l’extérieur.

"On produit des animaux sur notre exploitation, on les voit grandir, on sait comment ils vont finir, oui mais on nourrit les gens. Et c’est une fierté, oui, quand nos clients nous soutiennent et nous disent : “C’est super ce que vous faites, continuez ! On sait d’où ça vient, c’est local, c’est français.” Ça n’a pas de prix ces mots-là. Ça nous booste. Beaucoup d’agriculteurs aimeraient avoir de la reconnaissance. Si on n’a plus ça, on n’a plus rien."

Ce mercredi, toute la famille est sur le pont revendicatif. Séverine est une habituée des manifs : elle est secrétaire générale à la FDSEA, présidente de la commission des agricultrices. « C’est important de manifester, oui. Il faut être tous ensemble pour aller revendiquer. Là, il y a eu trop de choses accumulées. La colère est restée enfouie, depuis notre dernière action, quand on a retourné les panneaux des communes. D’ailleurs, les gens ont apprécié cette action. Et ça fait plaisir de voir que les communes ont gardé les panneaux comme ça. Mais là, la colère est ressortie brutalement. Et on ressort les vieilles méthodes. »

« On sait bien que ça peut pas changer du tout au tout, regrette déjà Samuel. Mais qu’au moins, on assouplisse un peu les choses, qu’on arrête cette suradministration et que surtout, en Europe, tout le monde suive les mêmes règles. On veut juste vivre de notre métier et avoir une vraie reconnaissance. C’est bien beau qu’on nous écoute : à un moment, il nous faut de vraies mesures, des choses concrètes. Pour les jeunes, c’est pas motivant. » « Dans ma classe, on était 20, on doit être deux à s’être installés », témoigne Camille. Et la motivation ne manque pas que chez les plus jeunes. Séverine rapporte ainsi sa dernière réunion avec ses collègues agricultrices : 

"L’autre soir, pour la première fois, les filles m’ont dit : “On n’en peut plus. On est vidées. Usées.” Des fois, on parlait de fatigue, bien sûr. De fatigue physique. Là, on est fatiguées physiquement et moralement. Et c’est la première fois que je vois ça." 

(*) Film d’Édouard Bergeon, sorti en 2019, qui dénonce la détresse des agriculteurs face au système.

Séverine Perrier

Читайте на 123ru.net