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Angoulême 2024 : Maria Pourchet nous confie ses 3 BD préférées

L’autrice de “Western” accompagne de ses textes le dessinateur Lorenzo Mattotti le temps d’une exposition au musée d’Angoulême.

Achille Talon (Greg) aux éditions Dargaud

Je le découvre au début des années 1990 et, pour mes parents, il est déjà ringard – Talon est dessiné en 1963 (pétillante année qui verra aussi naître l’autorisation pour les femmes de posséder un compte bancaire, décidément). Je ne le renierai jamais. Achille Talon est un gros héros très chic, anatomiquement identifiable tel Cyrano à un nez formidable qu’il ne trouve pas si voyant et tel Obélix, à un embonpoint qu’il juge cordial. Son combat, grammatical et comico-esthétique vise à établir la correction langagière et plus généralement comportementale dans son quartier. Parfois sur Terre. Ses aventures d’abord circonscrites à sa rue, impliquant un voisin désagréable qu’il s’agit d’anéantir 30 fois par jour à grands coups de contrepèteries, sophismes, références mythologiques et leçons de conjugaison petit doigt en l’air, l’entraînent parfois à évangéliser quelques béotiens au bout du monde.

Enfant, Achille Talon me ravit au-delà de l’explicable : se montrer aussi vif, aussi drôle tout en atteignant une évidente virtuosité syntaxique, me paraît tout à fait exemplaire. En voilà un pouvoir raisonnable.  Lors, provisoirement cancre (passion pratiquée jusqu’à 17 ans), j’éprouve sa perfection dans l’emploi des adverbes et la sélection des épithètes comme un cours magistral.  Il m’aura appris autant que les Bescherelle réunis en m’en épargnant la lecture. Aujourd’hui, Achille avec sa quête hédoniste et lunaire fait figure d’extrême arrière ou avant-garde, de pure provoc. Il me manque souvent. Il aurait fait des règles de l’écriture inclusive une hilarante charpie. J’ai transmis bien sûr cette saine passion à mon fils et j’attends sous peu les félicitations de l’instit. L’intégrale est publiée chez Dargaud, on recommande de commencer par le volume 1. 

L’Arabe du futur  (Riad Sattouf, 2014-2022) par Allary Éditions

Beaucoup plus tard dans la bibliothèque des grands, une lecture au galop qui me laisse à chaque tome, reconnaissante et renseignée. Cette série m’aimante si singulièrement que je ne suis pas sûre de savoir en fournir l’explication. Je crois que l’Arabe du futur parvient à nous placer enfin au bon endroit, à la bonne distance, d’un tableau géo-politique – celui d’un Moyen-Orient épuisé de tensions entre l’Europe et lui-même – souvent peu déchiffrable. Dedans le tableau. Un gosse toujours plus grand par la main. Et de celui-ci les étonnements, les chocs, les arrachements et ce qui les console ou non, les illusions et les crises de conscience comme une analyse imparable de notre continent déchiré, effrayé de sa propre dérive. Il me reste de chaque volume des images tenaces, des petites bulles et des bouts de planche comme des affiches et des manifestes. Une œuvre de bien public, qui défait des fantasmes et rapproche les mondes.  Six volumes à lire et à offrir. Préférence affichée pour les trois premiers. Mais pour les trois suivants aussi, en fait.

Peau d’homme (Hubert et Zanzim, 2020) aux éditions Glénat

C’est une étrange histoire, d’un étrange auteur qui a dû lire Peau d’Âne comme personne. Dans une Italie pré-Renaissance, La jeune Bianca est classiquement mariée à un homme qu’elle ne connaît pas. Un homme doux et fuyant, qui ne la touche jamais. Solitude et vie domestique pour Bianca dans une maison étouffante et calme, farcie de femmes résignées, et résignées à transmettre la résignation. Ville et chaire hors d’atteinte. Bianca sera bientôt sauvée de sa détresse, découvrant, pliée dans un coffre et secret transmis de vieilles femmes libres en jeunes filles en larmes… une peau d’homme. Elle l’enfile. Devient Lorenzo. Sort dans la ville. Cours, danse, bois, fume, baise. Y compris son propre mari débusqué dans une taverne, homosexuel la nuit, pris le jour dans les rets de conventions sociales qui déforment les identités jusqu’à la mort. Un conte extrêmement troublant sur l’affirmation, sur la honte qui engendre la révolte, sur la force et les ruses qu’il faut aux êtres pour mener leur désir quelque part. Un de ces albums difficiles à refermer, qu’on craint de ravager de commentaires et dont on dit ému que “c’est très beau”.

Dernier roman paru : Western (Stock).

Exposition L’art de courir – Attraper la course par Lorenzo Mattotti avec des textes de Maria Pourchet au musée d’Angoulême jusqu’au 10 mars 

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