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Equateur : la descente aux enfers

Equateur : la descente aux enfers

Assise dans la petite boulangerie communautaire du quartier Las Malvinas de Guayaquil, sœur Susana Veloz dégaine son portable et montre une vidéo. Sur les images d’une caméra de vidéosurveillance, des hommes encagoulés débarquent dans le fracas des tirs de pistolets et de fusils à pompe. Ils assassinent quatre personnes qui discutaient devant un bâtiment, dont un garçon de 11 ans, avant de prendre la fuite. "C’est arrivé en plein jour, juste en face de notre local du secteur Guasmo Sur, raconte-t-elle, dépitée, derrière ses lunettes rectangulaires. On a dû fermer temporairement."

A la tête de la fondation Nueva Vida, cette religieuse aide les jeunes défavorisés de trois quartiers populaires de Guayaquil, troisième port marchand d’Amérique latine. Elle constate : "En quelques années, la violence a explosé. Quand je suis arrivée, voilà douze ans, ces quartiers étaient tranquilles. Aujourd’hui, on entend des coups de feu presque tous les jours." En 2023, les autorités ont dénombré 2 752 assassinats à Guayaquil, soit une hausse de 63 % en un an ! A l’image de sa métropole de 2,6 millions d’habitants, l’Equateur sombre tout entier dans la violence liée au narcotrafic. D’un taux d’homicides historiquement bas de 6,9 pour 100 000 habitants en 2016, il est passé à 45 pour 100 000 en 2023. "C’était le deuxième pays le plus sûr d’Amérique latine en 2016 ; aujourd’hui, il est le plus violent", commente Renato Rivera, de l’Observatoire équatorien du crime organisé.

Le 8 janvier, le petit pays andin s’embrase après l’évasion d’Adolfo Macías, alias "Fito", chef du puissant gang des Choneros. S’inspirant de son homologue salvadorien, Nayib Bukele, le nouveau président, Daniel Noboa, envoie les forces armées reprendre le contrôle des prisons, qui sont des centres de commandement du narcotrafic. Mais les gangs tiennent tête aux forces de l’ordre. Le 9 janvier, à Guayaquil, des hommes armés prennent en otages, en direct, les employés d’une chaîne de télévision, alors que les caméras continuent de tourner. L’incident prend fin avec l’intervention de la police, mais d’autres affrontements éclatent ailleurs en ville.

Un centre logistique pour les "narcos" d'Amérique du Sud

Pour Renato Rivera, l’Equateur a basculé dans la narcoviolence après 2016. Cette année-là, les guérilleros colombiens des Farc, de l’autre côté de la frontière, signent un accord de paix historique. Plus de 13 500 insurgés rendent les armes. "De nouveaux acteurs sont alors entrés dans le jeu, notamment les cartels mexicains et la mafia albanaise", souligne Renato Rivera. Ces multinationales du crime ont compris que l’Equateur présentait de nombreux atouts : bonnes infrastructures portuaires et routières, économie dollarisée, faiblesse de la lutte antidrogue. Le petit pays andin se transforme en centre logistique pour les mafias du monde entier. Car ces holdings du crime ont renforcé leurs liens avec les bandes locales, qu’elles utilisent comme des sous-traitants, afin de mieux maîtriser les nouvelles routes d’exportation via l’Equateur.

Appuyées par leurs richissimes parrains, les "narcos" du cru recrutent en nombre. Pusillanimes, les gouvernements successifs ont laissé faire, préférant le calme relatif du narcotrafic en temps de paix à une guerre ouverte. Aussi, dès 2008, le président antiaméricain Rafael Correa, encouragé par feu Hugo Chávez, leader du Venezuela "révolutionnaire", décide de ne pas renouveler le bail de la base aérienne Manta, concédée à l’Oncle Sam sur la côte Pacifique. Là, 400 soldats américains menaient des opérations antidrogue. L’année suivante, en 2009, ils plient bagage. En parallèle, les politiques publiques sécuritaires sont négligées. "Il y a une claire responsabilité de l’Etat, qui a fragilisé le cadre institutionnel de lutte contre la violence", regrette le professeur des universités en sciences sociales Fernando Carrión.

Le président Noboa souhaiterait remédier à ce gâchis. Il veut "neutraliser" les groupes criminels et déploie des soldats à travers le pays. Le 17 janvier, cependant, le procureur antimafia César Suárez – qui ne bénéficiait pas d’une protection permanente… – a été assassiné au volant de sa Mazda blanche. Exécuté par balles en plein centre de Guayaquil, une semaine après la déclaration de l’état d’urgence. Sale époque.


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