World News in French

Loi immigration : cette très méconnue notion de "cavalier législatif" au cœur de la censure

Le droit, rien que le droit. La Constitution, rien que la Constitution. Avec sa décision concernant la "loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration", le Conseil constitutionnel n’a fait que remplir la mission qui lui a été confiée. Et nul ne saurait lui en faire le reproche sauf à remettre en question les règles de la démocratie. Mais en censurant plus d’un tiers du texte sur des purs motifs de forme, il s’expose à la critique des dirigeants politiques de droite, mais aussi, et plus encore peut-être, à l’incompréhension d’une opinion publique peu familière de la notion de "cavalier législatif". En effet, seuls quelques articles (instauration de quotas par l’Assemblée nationale, prise d’empreinte…) ont fait l’objet d’une censure après un examen des principes constitutionnels de fond (séparation des pouvoirs dans un cas, droit de la défense dans l’autre). Pour le reste, soit 32 articles sur les 86 que comptait le texte adopté par le Parlement, le Conseil a appliqué la règle du "cavalier législatif".

Or, cette notion, prévue dans l’article 45 de la Constitution, est extrêmement précise et méconnue de la plupart des Français. Il ne s’agit pas simplement, comme il est communément dit, d’interdire les "dispositions qui n’ont pas de lien avec le projet de loi". Ni de regarder si les différents dispositifs répondent à l’intitulé général de la loi. Mais bien d’évaluer, article par article, si les dispositions ajoutées lors du débat au Parlement ont "un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis". Et cela fait toute la différence, le diable se cache ici véritablement dans les détails. Par exemple, conditionner les aides sociales à une durée de présence sur le territoire est, aux yeux de certains, de nature à mieux "contrôler l’immigration" et est donc conforme à l’intitulé de la loi. Le Conseil constitutionnel, lui, l’a censuré comme cavalier car ce thème ne figurait pas, sous une forme ou sous une autre, dans le texte gouvernemental initial. Le même raisonnement a prévalu pour les questions d’octroi ou de déchéance de nationalité, pour l’instauration d’un délit de séjour irrégulier, pour la conditionnalité des titres de séjour étudiants ou les restrictions au regroupement familial… Toutes ces mesures ne figuraient pas dans le texte présenté au Parlement par le gouvernement et ne seront donc pas mises en œuvre.

"Il faut changer la jurisprudence sur les cavaliers"

Si au Conseil constitutionnel, on s’abrite derrière une jurisprudence constante en la matière pour écarter toute lecture politique de sa décision, sitôt celle-ci connue, le débat a pris une tournure polémique. En particulier, parce que la plupart de ces mesures émanaient des députés LR et qu’elles étaient les plus symboliques à défaut d’être les plus efficaces. Après avoir beaucoup promis pendant des mois à une opinion publique très demandeuse de gestes forts, tous savent que la décision du Conseil constitutionnel les oblige à expliquer pourquoi ces déclarations ne déboucheront sur rien de concret. A trop vouloir jouer la surenchère, ils finissent nus.

Rien n’empêche, bien sûr, les parlementaires de droite de représenter demain tout ou partie de ces dispositions dans un texte ad hoc puisqu’elles n’ont pas été jugées inconstitutionnelles sur le fond. Dès jeudi 25 janvier au soir, des dirigeants LR évoquaient d’ailleurs le dépôt d’une proposition de loi à leur initiative. Mais parvenir à la faire voter sous cette mandature relève de la gageure, l’exécutif n’ayant aucune envie de voir sa majorité relative se déchirer à nouveau sur le sujet pendant des mois. D’autres, notamment à l’extrême droite, plaidaient pour une très improbable réforme de la Constitution visant à limiter les prérogatives des Sages de la rue de Montpensier. Certains, enfin, défendaient une position médiane, passant par un infléchissement de la position du Conseil : "Il faut changer la jurisprudence sur les cavaliers. Puisque le Conseil ne doit pas s’ingérer dans les choix législatifs, il doit comprendre que celle-ci n’était valable que quand une loi émanait du gouvernement, mais n’est pas adaptée au contexte d’une majorité relative qui suppose des compromis au Parlement", avançait, jeudi, une figure de la droite. Pas sûr que cela suffise à convaincre l'opinion publique alors qu’elle peine déjà à suivre la sinueuse route de la législation sur l’immigration entre coup politique et subtilité juridique.

Читайте на 123ru.net