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Paris 2024 : pourquoi les pays organisateurs des JO surperforment

Paris 2024 : pourquoi les pays organisateurs des JO surperforment

Londres, 12 août 2012. Dans le stade olympique, éclairé aux couleurs du drapeau britannique, 80 000 spectateurs sont venus assister à la cérémonie de clôture des Jeux olympiques. Chauffés à blanc par les concerts successifs d’artistes prestigieux, tous acclament les sportifs qui apparaissent, radieux, sur le terrain. En cette année d’organisation de la compétition, la Grande-Bretagne a battu son record depuis 1908 en décrochant 65 médailles, dont 29 en or, 18 en argent et 18 en bronze, se hissant ainsi au 3e rang du classement mondial. Depuis les Jeux de Pékin, en 2008, et les 51 médailles obtenues, la progression des Anglais est impressionnante : 30 médailles à Athènes, 28 à Sydney, et seulement 15 breloques à Atlanta, en 1996.

Le monde sportif a une expression pour décrire et expliquer cet exploit : le "home advantage", ou l’avantage supposé de jouer à domicile. "Cette théorie se vérifie à presque chaque olympiade : les programmes économiques impressionnants qui se mettent en place dans les pays hôtes, mêlés à une motivation accrue des sportifs locaux, à l’encouragement des supporters, au fait d’évoluer sur des terrains déjà connus des sportifs ou à proposer plus d’athlètes en compétition entraînent une augmentation du nombre de victoires pendant les Jeux", mesure Pierre Lagrue, historien du sport et spécialiste des Jeux olympiques. "Mais cela peut aussi impacter la compétition précédente et la suivante, qui profitent largement de ces investissements massifs", ajoute-t-il. Ainsi, lors des Jeux de Rio, en 2016, le Royaume-Uni a… fait mieux qu’à Londres, en décrochant 67 médailles ! Même phénomène pour le Brésil : record absolu pulvérisé à Rio, avec 19 médailles… puis battu une nouvelle fois à Tokyo, en 2021, avec 21 podiums.

Le Japon, de son côté, a excellé lors des Jeux de Tokyo en 2021, avec 58 médailles gagnées - contre 41 à Rio, 38 à Londres ou 25 à Pékin. "De manière mathématique, on peut s’attendre à une haute performance de la part des Japonais à Paris", insiste Wladimir Andreff, président du conseil scientifique de l’Observatoire d’économie du sport, qui a notamment pris en compte la variable "pays hôte" dans la création de son modèle de prévision des médailles olympiques. "Les tests mathématiques et la littérature scientifique montrent le réel impact du soutien des supporters ou de l’accoutumance à un terrain spécifique sur la performance des joueurs. Mais le plus important reste évidemment l’investissement financier du pays hôte avant, pendant et après les Jeux", explique-t-il, évoquant le contre-exemple de la Grèce. Malgré une surperformance à Athènes en 2004, avec un total de 16 médailles obtenues contre 13 en 2000 et 8 en 1996, le pays n’a pu pérenniser ces bons résultats. A Pékin, en 2008, ils obtiennent trois podiums, et seulement deux en 2012. "Cela s’explique notamment par les malheurs économiques de la Grèce entre 2004 et 2008 et une organisation mal gérée, avec un immense déficit à la fin des Jeux", analyse Wladimir Andreff.

"Cercle vertueux"

"Lors de l’organisation des JO, le sport devient une priorité nationale et donc politique. C’est un cercle vertueux", abonde Jean-Baptiste Guégan, expert en géopolitique du sport. "Les pays hôtes auront tendance à débloquer des fonds pour les fédérations et les athlètes, à créer des infrastructures, recruter davantage de staffs dans tous les domaines". Pour le chercheur, le meilleur exemple reste celui de Londres, en 2012. Dès 1997, au lendemain du fiasco d’Atlanta, le Royaume-Uni met en place l’organisme UK Sport, avec un budget de plusieurs centaines de millions de livres entre 1997 et 2013. Leur stratégie est simple : cibler quelques disciplines, comme la voile, le cyclisme, l’aviron ou la natation, et y investir énormément afin de maximiser les médailles durant les prochaines compétitions. "Ils ont débloqué des moyens scientifiques énormes, tout en favorisant les sports dans lesquels leurs athlètes avaient le plus de chance de gagner. Et ça a fonctionné", illustre Jean-Baptiste Guégan. Dès 2008, à Pékin, les Anglais surperforment en aviron ou en cyclisme - raflant dans cette discipline 14 médailles, dont 8 en or, pour une troisième place dans le classement. Quatre ans plus tard, sur son territoire, le Royaume-Uni balaye la concurrence en cyclisme sur piste, avec sept médailles d’or en dix épreuves.

"Cet investissement n’est pas non plus magique", nuance Pierre Lagrue. "Les Anglais avaient par exemple misé sur la natation, mais n’ont pas tant performé en 2012. Ils ont en revanche largement progressé aux championnats du monde l’année suivante, puis aux JO de 2016", rappelle-t-il. Selon l’historien, ce ciblage spécifique de certains sports afin de briller lors de l’organisation de la compétition à domicile est d’ailleurs loin d’être une stratégie inédite : "Ça se vérifie pour la Chine ou la Russie, par exemple. Et cela ne date pas d’hier ! Pendant la Guerre froide, l’URSS a par exemple beaucoup misé sur des sports moins populaires comme la lutte ou l’haltérophilie, disciplines où elle arrive première au classement lors des Jeux de Moscou en 1980", retrace-t-il.

Pour Jean-François Robin, responsable du réseau national d’accompagnement scientifique de la performance à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), la question de la recherche est primordiale : "Plus une nation investit dans la recherche scientifique sur les thématiques du sport, meilleurs seront les résultats aux Jeux. Et les champions en la matière restent les États-Unis et la Chine, ainsi que la Grande-Bretagne". La France a également investi le secteur : en prévision de l’organisation des JO 2024, un programme prioritaire de recherche (PPR) "Sport de très haute performance", doté de 20 millions d’euros, a été lancé par l’Agence nationale de la recherche en 2020, permettant de financer 12 projets de recherche sur différentes disciplines. "Contrairement aux Britanniques, nous ne travaillons pas uniquement sur quelques sports spécifiques, mais sur une trentaine des 38 disciplines olympiques et paralympiques", explique Jean-François Robin, qui assure que tous les champs de la recherche sont mobilisés. "On travaille à la fois l’aérodynamisme ou l’hydrodynamisme, mais également sur la psychologie, la biologie, l’alimentation, le textile…", liste-t-il, ravi que "l’effet JO" ait permis de monter et de développer un tel programme.

Mais le chercheur prévient : pour que les effets de ce "home advantage" perdurent dans le temps, l’Etat devra continuer d’investir dans la recherche. "Nous avons une longueur d’avance sur quatre ans. Mais si on veut rester dans le top 5 pour les années à venir, il ne faut pas revoir à la baisse le budget de la recherche… Pour le moment, nous n’avons aucune garantie". Selon Pierre Rondeau, économiste du sport et professeur à la Sports Management School, certains investissements auraient surtout dû être mis en place plus tôt. "Le soutien de l’Etat en prévision d’une compétition à la maison permet en effet de maximiser ses chances de gagner une médaille… S’il est fait à temps", estime-t-il, regrettant un investissement budgétaire trop tardif. "Les Anglais ont débloqué des moyens dès 1996, pour des résultats quinze ans plus tard. Nous avons commencé à réfléchir sur le sujet en 2017. Ce n’est pas en quatre ans que nous pourrons espérer une bonification".

"Gagner en France"

En attendant, la France mise sur le confort des athlètes. Dans le budget 2024, 6,7 millions d’euros sont investis dans le programme "Gagner en France", afin de mettre les Français dans les meilleures conditions logistiques. Une "maison de la performance" dotée d’un staff médical, de coachs et de sites d’entraînement sera par exemple accolée au Village olympique durant toute la durée des Jeux et réservée aux athlètes français. Par ailleurs, chaque athlète de l’équipe de France a pu bénéficier de quatre billets gratuits pour ses proches.

"Nous préparons également les sportifs à la surmédiatisation dont ils feront l’objet, à renforcer leur habileté mentale en gérant par exemple les distractions, à communiquer de manière optimale entre membres de l’équipe", raconte Anaëlle Malherbe, chargée de mission en psychologie du sport à l’Insep. La psychologue clinicienne est catégorique : même s’ils semblent anecdotiques, ces petits détails comptent. "Les équipes qui ont l’habitude de jouer à un endroit spécifique, qui sont physiologiquement adaptées au territoire, poussées par le public local ou par leurs proches, préparées mentalement, auront plus de chance de performer". Reste à voir si ce "home advantage" supposé permettra à la France de remplir l’objectif fixé par la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra, et d’intégrer le "top 5 des nations les plus médaillées". Dans son baromètre souvent très perspicace, l’entreprise Gracenote du groupe Nielsen, leader mondial de la mesure d’audiences, prévoit 54 médailles pour les Bleus à Paris. Le record d’après-guerre - 43 breloques à Pékin - serait explosé.


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