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Pourquoi le redoux menace-t-il les vignes d'Auvergne ?

La vigne dépend d’un écosystème fragile où le sol, le sous-sol, le climat et le cépage entrent en jeu. Le redoux actuel que connaît le Cantal, doublé d’une forte hygrométrie (humidité dans l’air), est favorable au développement de maladies, comme le mildiou ou l’oïdium, mais aussi aux parasites. Ces risques pèsent sur les viticulteurs.

Dans le sud du Cantal, en 2022, Sébastien Levaurs, viticulteur à Montmurat, installé en biodynamie depuis 2016, a connu le mildiou. « Le brouillard et les précipitations se sont étendus jusqu’à mi-juillet, le mildiou s’est répandu et a entraîné une perte de récolte. » Pour l’instant, il espère encore un rapide retour aux normales de saison.

Actuellement en dormance (période de sommeil de la croissance cellulaire des bourgeons), les vignes se calent sur la température extérieure. Il suffit de dix jours à plus de 10 °C pour qu’elles amorcent leur débourrement, c’est-à-dire la reprise de leur croissance cellulaire, l’éclosion des bourgeons. Quelques mois plus tard, arrive la maturation. « Pour l’instant, les nuits fraîches et la variation de température assez importante entre le jour et la nuit permettent de ne pas perturber le repos végétatif des vignes », assure-t-il.

Au loin, se profile une autre menace, collatérale, celle du gel printanier. Il peut être fatal pour les ceps. 

"Les gelées printanières sont de plus en plus fréquentes. En 2021, on a eu 75 % de perte."

 « Le problème, c’est qu’on a eu moins de dix jours de gel cet hiver. Donc la sève circule dans le cep, et la plante se prépare à débourrer. »

Les cépages les plus précoces sont les plus menacés

Selon les cépages, le débourrement se déclenche plus ou moins tôt. Le cabernet franc débourre une semaine plus tôt que le cabernet sauvignon. « Le plus hâtif, c’est le chenin », poursuit Serge Broha, qui produit aussi du fer servadou et du cabernet franc.

« Les cépages les plus précoces sont les plus vulnérables », indique Sébastien Levaurs, qui travaille en cabernet franc, en cabernet sauvignon, en merlot et en tannat. Plus la plante débourre tard, moins elle est exposée au gel, puisqu’elle est protégée par son état de dormance plus longtemps.

En 2021, « la vigne avait débourré plus tôt en mars et un épisode de gel allant jusqu’à - 8 °C nous a frappés, sur tout le territoire. Cette phase hors norme a duré une semaine et de mon côté, sur ma parcelle de cabernet franc, qui est exposée aux vents et à l’humidité, les bourgeons et les contre-bourgeons ont gelé. J’ai eu zéro de production cette année-là sur cette parcelle ».

Pour s’en prémunir, les viticulteurs ont recours à plusieurs méthodes. « Nous essayons de retarder la taille pour que la végétation parte un peu plus tard », indique Serge Broha. « Une protection écologique et économique consiste à réaliser des feux de paille pour que l’écran de fumée protège les vignes », complète Sébastien Levaurs. Une méthode qui ne peut s’appliquer à toutes les parcelles.

"Nous sommes en fond de vallée, c’est très pentu. L’enjeu, c’est de garder la fumée sur la parcelle, donc en plaine ou en vallon, la pression va la rabattre, mais chez nous, c’est plus compliqué."

Dans l’Yonne, à Préhy, le domaine Brocard avait, pour la première fois en 2017, expérimenté le recours à l’hélicoptère en plus des feux de pailles. Le but ? « Brasser l’air au-dessus des vignes et rabattre vers le sol l’air plus chaud, situé à faible altitude », expliquait alors Julien Brocard à L’Yonne républicaine. L’engin, qui ne pouvait pas intervenir de nuit, décollait une demi-heure avant le lever du jour.

Autre solution, la bougie. Il en existe des 100 % naturelles et renouvelables, ou à base de pétrole, 4.000 euros par hectare, pour neuf heures d’allumage. « Quand on s’appelle châteauneuf-du-pape, oui, mais quand on s’appelle Les terrasses de la Vidalie, non ! », sourit Serge Broha. « En biodynamie, une décoction à base de valériane permet de jouer sur une variation de température de 1 à 2 °C, guère plus », ajoute Sébastien Levaurs.

Des solutions onéreuses

Certains professionnels privilégient d’autres pistes, comme l’aspersion, qui consiste à asperger les bourgeons d’eau pour qu’une coque de gel les protège (la température à l’intérieur de la coque ne baisse plus). « Le problème de cette méthode, certes efficace, c’est qu’il faut beaucoup d’eau, puisqu’elle doit couler en continu jusqu’au lever du soleil », explique Serge Broha.

Quant à la sécheresse, elle est l’une des menaces, mais également l’une des causes de leurs craintes. « Comme les vignes manquent d’eau à la fin de l’été, au moment où elles en ont besoin pour le raisin, les plantes arrivent en hiver stressées. » D’autres viticulteurs se tournent vers une diminution de densité sur leurs parcelles, pour réduire la concurrence entre les ceps pour atteindre l’eau. « Même si la culture n’est pas spécialement gourmande en eau, elle en a besoin », note Serge Broha. Dans certaines régions de France, comme le Roussillon, son manque vient remettre en question la pertinence même de la culture de la vigne.

"Je relève, mais pas autant qu'en Italie"

Il existe aussi l’agroforesterie pour favoriser les microclimats. Sébastien Levaurs en bénéficie naturellement. Installées sur des terres ancestralement dédiées au vin, ses vignes évoluent au cœur de bosquets, parfois sous les arbres. « Là où j’avais moins d’arbres, j’en ai plantés pour créer un écran de verdure. » L’autre option, généralisée au sein des vignobles du nord de l’Italie, notamment en prosecco, consiste à travailler les vignes à une hauteur de plus de deux mètres, pour que le feuillage protège le fruit. « Je relève mon fil porteur, mais pas autant qu’en Italie. Cela me permet de laisser pousser ce qui dépasse pour que ça protège un peu les raisins. J’essaie d’intervenir le moins possible pour moins stresser le végétal. » Implantées sur un sol argileux calcaire, humide par nature, ses vignes peuvent aller, en profondeur, chercher de l’eau et de la fraîcheur.

Anna Modolo

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