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Crise du monde agricole : la colère d'un maire contre la "folie normative"

C’est une scène vécue. Dans une haute vallée pyrénéenne, un homme s’écarte du sentier pour gagner du temps et coupe la pente en ligne droite. Un touriste lui lance aussitôt : "Arrêtez ! Vous abîmez la nature !". Manque de chance : l’homme qui vient d’être interpellé est du cru. "Ce sentier a été créé par mon grand-père et, pour venir jusqu’ici, vous avez utilisé une route construite par mon arrière-grand-père. Et vous prétendez m’apprendre comment marcher dans cette montagne ?!"

L’échange a eu lieu sur le territoire de la commune de Laruns, dans les Pyrénées-Atlantiques. Il est révélateur des oppositions, fréquentes, entre deux visions de la nature, celle des habitants des lieux et celle des citadins qui s’y rendent pour leurs loisirs.

On pourrait présenter cette localité de deux manières. La première consisterait à dire qu’il s’agit d’une petite bourgade, comptant à peine 1 200 habitants. La seconde, plus juste, insisterait sur l’immensité de sa superficie : 250 kilomètres carrés (2,5 fois la taille de Paris), ce qui en fait l’une des plus vastes de métropole. Un territoire couvert de prairies, de forêts et de hautes montagnes, qu’occupent chaque été des dizaines de milliers de brebis, de vaches et de juments, surveillées par les bergers. Et il en est ainsi, selon les historiens, depuis 7 à 8 millénaires. Autant dire que les hommes et les femmes de cette commune du Haut Béarn entretiennent avec cette terre une relation charnelle, physique, souvent tripale. Autant dire aussi qu’ils sont parfois surpris, pour ne pas dire agacés, par les réflexions de certains touristes et de certains fonctionnaires qui, depuis leurs bureaux, refusent ou modifient tel ou tel de leurs projets.

Robert Casadebaig (sans étiquette) est le maire de Laruns depuis 2008. Cet ancien dirigeant d’une entreprise de travaux publics est né dans la commune et y a toujours vécu. Il décrit ici l’incompréhension qui règne parfois entre la population rurale qu’il représente et ceux qu’il appelle les "écolos bobos".

"Nous, élus locaux, vivons avec nos administrés et savons mieux que quiconque ce dont ils ont besoin. Que l’on nous fasse enfin confiance !", demande Robert Casadebaig, le maire de Laruns, dans le Haut-Béarn.

Avez-vous l’impression que votre vision de la nature n’est pas comprise par certains citadins ?

Tout à fait. Dès notre naissance, nous, habitants de Laruns, avons dans les gênes l’amour de notre vallée d’Ossau, à la fois riche et fragile. Ce que les urbains ne comprennent pas toujours, c’est que cette nature est belle parce qu’elle est entretenue et aménagée par l’Homme. Nos magnifiques prairies qu’arpentent aux beaux jours les randonneurs ne sont pas "naturelles" : elles ont été créées par les bergers, qui y amènent chaque été leurs troupeaux depuis des milliers d’années – je dis bien des milliers d’années ! Ce sont les générations précédentes qui, par leur action patiente et intelligente, sont à l’origine de la remarquable biodiversité que l’on trouve ici. Une biodiversité qui se dégraderait sans l’action de l’Homme.

Comment cela ?

Prenons l’exemple de l’écobuage. A la fin de l’hiver, nous brûlons les prairies situées sur des pentes non mécanisables afin d’y détruire les mauvaises herbes. Ces mises à feu, organisées par des commissions spécialisées, sont contrôlées par les services de l’Etat et par les pompiers. Or, parce qu’elle génère des fumées, cette pratique millénaire est aujourd’hui critiquée par le Parisien ou le Bordelais de passage : "Comment ? Vous brûlez la montagne ! Vous faites n’importe quoi !". Nous ne faisons pas n’importe quoi. D’une part, sans l’écobuage, les prairies seraient remplacées par des fougères et des ronces. D’autre part, cette pratique est très vertueuse en termes de biodiversité. Les études scientifiques l’ont montré : les zones non écobuées comptent seulement 7 ou 8 espèces de graines, alors que ce nombre se situe entre 40 et 50 dans les zones écobuées. L’écobuage évite donc aux montagnes de se refermer tout en améliorant la diversité floristique. Que les citadins ne le sachent pas, ce n’est pas grave. Que certains se permettent de s’y opposer, c’est pour nous plus difficile à admettre.

La réintroduction des ours illustre aussi cette opposition…

Évidemment. Il faut rappeler en premier lieu que, contrairement à ce que l’on entend parfois, "l’ours des Pyrénées" n’est pas une espèce en soi. Il s’agit de l’ours brun commun. Il faut rappeler ensuite que cet ours brun n’est aucunement menacé de disparition : on en compte des milliers en Europe ! La convention de Berne sur les espèces menacées ne devrait donc pas s’appliquer. Et pourtant, en 2018, on a emmené dans nos montagnes – en hélicoptère ! - deux ourses de Slovénie, et ce malgré l’opposition résolue des habitants. Nous l’avons très mal vécu, car l’ours constitue une menace pour les bergers. Non seulement il peut attaquer une brebis pour la manger, mais surtout, il peut faire dérocher tout un troupeau si celui-ci vient à paniquer - cela arrive. L’ours vient donc fragiliser le pastoralisme, le cœur et le symbole de la civilisation agropastorale du Béarn et des Pyrénées. Nous ne voulons pas connaître la situation catastrophique de l’Ariège ou de la Cantabrie, en Espagne, des régions qui, à cause de l’ours, se vident de leurs populations.

Cela dit, le loup est un prédateur intelligent et une menace plus grande encore que l’ours. A cause de lui, certains bergers ne sont pas remontés dans certaines cabanes l’été dernier.

Eprouvez-vous le même sentiment d’incompréhension concernant vos forêts ?

Tout à fait. Plutôt que d’importer des énergies fossiles de l’autre bout de la planète, je souhaite faire de Laruns une commune autonome en énergie en m’appuyant notamment sur nos forêts. J’ai par exemple installé des chaudières à bois pour notre piscine, notre médiathèque et notre salle de spectacle. N’est-ce pas ce que l’on appelle un circuit court et vertueux ? Pour aller plus loin, j’ai donc besoin de nos forêts, mais je me heurte à certaines doctrines prônant une vision purement paysagère et non équilibrée pour nos bois de charpente et nos scieries locales. Nous n’exploitons pourtant que 600 hectares sur les 6 000 que compte la commune. On ne peut donc pas dire que nous massacrons notre patrimoine !

Dans le livre que vous venez de publier (1), vous dénoncez les normes environnementales, lesquelles bloqueraient certains de vos projets…

Hélas… Voyez le cas de ce berger qui devait marcher une heure et demie pour rejoindre sa cabane d’estive où il trait ses brebis et fabrique ses fromages. Un parcours qu’il devait de surcroît effectuer chaque matin et chaque soir, sachant qu’entretemps, il lui fallait redescendre dans la vallée pour faire les foins. Nous avons donc décidé de créer une piste pour desservir sa cabane. Eh bien, pour cette simple piste, l’instruction a duré 10 ans. 10 ans ! Et ce n’est pas un cas isolé. Dans une commune voisine, il en a fallu 7, tout cela parce que certains agents de l’Etat ont ralenti considérablement ce projet. Le pire est que l’un d’eux - qui n’est jamais venu sur place – nous a adressé des remarques qui prouvaient qu’il avait regardé la carte à l’envers !

Je vous cite un autre exemple. Voilà quelque temps, nous avons eu besoin de remplacer à l’identique un télésiège de notre station de ski d’Artouste. On nous a demandé avant cela de réaliser des études floristiques et faunistiques 4 saisons. Cela nous a coûté cher, mais nous nous sommes exécutés. Cela n’a pas empêché notre dossier d’être retoqué par quelques écolos bobos travaillant dans les services de l’Etat. Savez-vous pourquoi ? Parce que nos études relevaient la présence d’un papillon et que – tenez-vous bien – nous n’avions pas prévu de mesures compensatoires pour le protéger ! Or, je le répète, il s’agissait non pas de créer un nouvel équipement sur un site vierge, mais de reconstruire un télésiège déjà existant, et ce exactement au même endroit. Nous sommes donc repartis pour un tour, avec de nouvelles études qui vont encore nous coûter quelque 20 000 euros. Cette folie normative est insupportable ! C’est elle qui explique en partie la colère actuelle des agriculteurs.

Que faudrait-il faire ?

Longtemps, les fonctionnaires des directions départementales de l’équipement et de l’agriculture cherchaient à aider les élus. Aujourd’hui, l’administration ne fait qu’appliquer les textes avec leurs normes excessives. En tant que maire rural, je dénonce ces normes dictées par les environnementalistes qui peuplent les administrations, qu’elles soient locales, nationales ou européennes. Elles bloquent les projets de ceux qui, dans les campagnes, produisent et tentent d’agir. Arrêtons ces empilements et limitons-nous aux lois utiles et sérieuses.

Il est temps de sortir du jacobinisme, cette arrogance historique qui croit que Paris est la France et qu’en conséquence, la capitale sait mieux ce qu’il faut faire que ceux qui sont sur le terrain. Cette attitude verticale est une plaie. Nous, élus locaux, vivons avec nos administrés et savons mieux que quiconque ce dont ils ont besoin. Que l’on nous fasse enfin confiance !

(1) Le maire, la montagne et les hommes, par Robert Casadebaig, Editions Sud Ouest.

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