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Produits de beauté : les petits arrangements des cosmétiques avec la science

Exit, les technologies "génifiques" (Lancôme) ou inspirées "des cellules mères" (L’Oréal). Quelles sciences ringardes ! En 2024, place aux très prometteuses neurocosmétiques, le nec plus ultra pour attirer le consommateur, d’après Mintel. Chaque année, cette société d’étude basée à Londres passe en revue les nouveautés du secteur de la beauté. Ses conclusions sont attendues et régulièrement reprises dans les magazines spécialisés.

En tête du dernier de ces almanachs pour apollons et aphrodites professionnels figure une ribambelle de produits, crèmes, lotions, et autres sérums, qui ne promettent rien de moins que de "relaxer l’esprit" tout en raffermissant la peau. Comment s’opère le miracle ? Mystère. Certains ingrédients iraient jusqu’à améliorer "la libération de dopamine", est-il simplement écrit. Mintel, tout comme les marques, restent d’une discrétion de violette à propos des recettes de leurs fabuleux élixirs.

S’il ne fournit aucune preuve d’efficacité - là n’est pas son rôle -, le rapport confirme toutefois l’affection des enseignes pour l’imaginaire scientifique. Pour vendre, bon nombre d’entre elles mettent en avant des propriétés extraordinaires, "nées de la science" et tirées, selon les modes, du "pouvoir" de la biologie spatiale, de la bioluminescence ou de l’étude des cellules souches - rebaptisées "mères" par L’Oréal. Une éternelle "révolution".

Le "pouvoir de la science"

Une légende un brin entachée : au début de l’année, Guerlain, un des leaders français du luxe, s’est laissé aller à affirmer qu’un de ses soins reposait sur une technologie "quantique". Pas de chance : le terme ne s’applique qu’à l’infiniment petit. Au-delà d’écorner la réputation de la marque, qui a dû gommer le qualificatif malheureux face à la polémique, l’affaire a jeté le doute sur les autres affirmations de l’industrie. "C’est scientifique, peut-être, mais mieux, pas vraiment", plaisante, pas dupe, une vendeuse de l’enseigne Sephora, quand on lui demande à quel pot se fier.

Que valent vraiment tous ces soins qui prétendent "régénérer", "révéler des nouvelles cellules", "réactiver les gènes" ou "réjuvéner" l’épiderme - le rajeunir, en bon français ? Quel est le sérieux derrière cette "science", brandie çà et là ? Les produits "cosmétiques" auraient-ils une action curative, et iraient-ils jusqu’à modifier le métabolisme, comme il est suggéré ? "Quasiment toutes les marques ont recours à des discours pseudoscientifiques et depuis longtemps. Rien que l’appellation anti-âge, cela n’a pas vraiment de réalité scientifique", prévient Laurence Coiffard, cosmétologue membre du conseil scientifique de l’Agence nationale de sécurité du médicament.

Depuis la polémique quantique, cette spécialiste de l’université de Nantes croule sous les questions des journalistes. D’ordinaire, les actualités cosmétiques sont reléguées aux magazines de salles d’attente. Alors, que les médias viennent subitement lui faire la cour, Laurence Coiffard s’en amuse. S’ils avaient lu son blog ! Y atterrissent, en plus des dernières innovations, toutes sortes de pots aux roses : des produits "waterproof" mais qui s’enlèvent à l’eau, des "biodégradables" bourrés de polymères et une ribambelle de concepts soi-disant savants qu’aucun scientifique digne de ce nom ne connaît.

"On périphrase, en jouant sur les subtilités du vocabulaire"

Le problème est tellement récurrent qu’en novembre 2023, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes s’est fendue d’un communiqué. Titré "Tout n’est pas permis", il pointe le grand n’importe quoi des allusions cosmétiques, et plus particulièrement celles sur leur efficacité, très souvent mal ou pas démontrée du tout. En 2020, dernier bilan en date, plus d’un tiers des produits testés n’étaient pas conformes à leurs allégations commerciales.

Trop souvent, des effets sont énoncés sans preuves. Un comble pour qui se veut scientifique. "Les marques, en plus de s’assurer de la totale innocuité de leurs produits, une priorité absolue, doivent aussi justifier leurs allégations, en vertu du règlement européen 655/2013", rappelle pourtant Me Caroline Arrighi-Savoie (Bird & Bird). Libre à elles en revanche de choisir par quels moyens. Elles n’ont par exemple aucune obligation de paraître dans des revues scientifiques où officient de pointilleuses équipes de relecteurs. "Il suffit alors d’un peu d’ingéniosité pour trouver, ni vu ni connu, une façon d’affirmer ce qu’on veut", poursuit Laurence Coiffard.

Pas d’effet "repulpant" ? Parlons d’un "rebond". Le produit n’est pas actif longtemps ? Va pour la formule "efficace dès les premières heures". "On périphrase, en jouant sur les subtilités du vocabulaire", synthétise un ancien salarié au département Recherche et Innovation d’un grand groupe. Jouer sur les mots coûte moins cher que de reprendre la formulation. Ainsi fonctionne la science la plus importante en cosmétique : le marketing. "C’est ce service qui dit le dernier mot, et bien souvent, il n’a pas idée du cadre scientifique, et des différents niveaux de preuves", poursuit l’intéressé.

Autoévaluation et questionnaires

Les marques sollicitées par L’Express n’ont pas donné suite à nos demandes. Certaines réalisent parfois pourtant des études s’approchant des exigences des appareils médicaux, nuance l’ancien directeur marketing de l’un des leaders du marché. Il arrive même qu’elles publient dans des revues scientifiques leurs avancées, surtout pour décrire les propriétés chimiques de nouveaux ingrédients. "Mais le standard, c’est l’autoévaluation, beaucoup moins chère et plus rapide", poursuit cet expert. De simples questionnaires distribués à une cinquantaine de consommateurs : voilà sur quelle base il est par exemple affirmé que "le teint est plus uniforme", la "taille des tâches est réduite" ou "la peau est comme liftée". D’où l’importance de lire les astérisques. C’est là, en plus petit, qu’apparaissent les modalités des tests.

Tout n’est pas qu’affabulation. Les entreprises du secteur effectuent des recherches très approfondies, parfois avec des universités réputées. L’entreprise Caudalie, par exemple, est partenaire de Harvard. Elle utilise, sous licences, les travaux de David Sinclair, l’un des héros de la biologie cellulaire. L’Oréal, avec ses nombreux laboratoires et sa salle de simulation de plage, a déposé quelque 475 brevets en 2022. Plus que tout le CNRS. De quoi pavaner sur les emballages et empêcher la concurrence de copier. Mais en rien une preuve de quoi que ce soit, au sens scientifique.

Car pour démontrer un effet sur le fonctionnement de la peau, il faudrait en réalité que les marques réalisent des essais cliniques, recrutent quelques milliers de volontaires, leur distribuent un placebo, et fassent en sorte que ni les testeurs, ni le personnel ne sachent qui a reçu quoi. Ensuite, toutes ces données ainsi que les preuves de concepts devraient être mises à la disposition de tous et validées par d’autres scientifiques du secteur. Un gouffre financier. "Un cosmétique, par définition, n’agit pas sur le fonctionnement des organes, y compris la peau, sinon, ce serait un médicament", rappelle Barbara A. Gilchrest, professeur de dermatologie à l’université Harvard.

Une règle qui s’applique aussi au collagène, tellement tendance que certains l’avalent. Aucun résultat démontré. La spécialiste a beau se creuser la tête : "Seul le rétinol, étroitement lié à l’acide rétinoïque trans (Atra), repose à ma connaissance sur des bases scientifiques. Des études relues et publiées ont démontré que l’Atra a des effets antivieillissement visibles cliniquement et au microscope". A jeter, le reste ? Si l’effet d’un cosmétique reste… cosmétique, il peut tout de même, sur le moment, améliorer l’apparence - comme le fait très bien le maquillage par exemple. "Il existe de nombreux produits qui hydratent temporairement et sont agréables, résume la scientifique.

Derrière les noms en "ift", "ctin" ou "ist" et autres "acides" et "complexes" se cachent en réalité des produits développés en moins d’un an en moyenne* et aux effets moins fantastiques qu’annoncés : un antirides vendu à quelques dizaines de milliers d’euros le litre tient plus de l’enduit que de la cure de jouvence. Il recouvre les creux de la peau. C’est visible, certes, mais seulement au microscope. Un soin, aussi bon soit-il ne fait que graisser et maintenir l’eau sur le visage, sans trop boucher les pores. Et pour la brillance, ou le teint, l’essentiel du mécanisme tient dans l’effet miroir des composants, comme l’or ou le mica. Toutes ces actions demandent d’intenses développements, pour que rien ne dégouline, n’irrite ou ne tâche. Mais elles ne sont que superficielles.

* Arnela Kasum. Environnement réglementaire et qualité des essais cliniques cosmétiques en France. Thèse Sciences pharmaceutiques, 2015, Dumas.

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