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Loi immigration : promulgation précipitée, démocratie bafouée, par Philippe Bas

Loi immigration : promulgation précipitée, démocratie bafouée, par Philippe Bas

Après la décision du Conseil constitutionnel, la France est confrontée à un enjeu démocratique majeur : la volonté commune du Parlement, du Gouvernement et du Président de la République, c’est-à-dire de tous les représentants de la Nation exprimant la volonté du Peuple français, dont tous les sondages attestent le caractère massif du soutien, sera-t-elle ou non respectée ? La Constitution nous en ouvre la possibilité et le Conseil constitutionnel n’en a pas fermé la voie. Le Président de la République en prendra-t-il l’initiative ? Et nous, opposition de la droite républicaine et du centre, saurons-nous l’y conduire ? Saurons-nous nous concentrer sur le vrai combat démocratique, celui de l’union des Français pour une maîtrise des flux migratoires, dans la fidélité aux valeurs de la République ?

La promulgation précipitée d’une loi tronquée et déséquilibrée marque-t-elle un renoncement à tenir ce cap pris il y a un mois par le vote de la loi grâce à l’accord sans précédent des forces majoritaires à l’Assemblée Nationale et au Sénat, avec 65 % des suffrages dans chacune des assemblées, sans même avoir eu à recourir à l’article 49-3 ? Cette promulgation traduit-elle la décision de tourner la page au plus vite ? Révèle-t-elle la duplicité d’un pouvoir qui se refuserait à appliquer de bonne foi l’accord politique conclu sur l’immigration et serait en réalité soulagé par la décision des sages ? On n’ose le croire. Mais on s’étonne que le Chef de l’Etat, toujours à l’affût d’initiatives politiques sans lendemain comme le grand débat, le conseil national de la refondation ou les rencontres de Saint-Denis, n’ait pas encore pris l’initiative d’inviter, utilement cette fois, l’ensemble des forces politiques pour envisager avec elles les suites à donner à la décision du Conseil constitutionnel. Ce qui bafoue la démocratie parlementaire, c’est maintenant l’inertie d’un pouvoir exécutif amorphe qui semble avoir déjà oublié les objurgations présidentielles enjoignant à l’action et aux résultats.

Rupture d’un pacte de confiance

"Sais-tu qu’on n’a que vingt-quatre heures au Palais pour maudire ses juges ", fait demander Beaumarchais à Figaro dans le Barbier de Séville. Ce délai étant maintenant écoulé, tirons les conséquences de la situation politique créée par la décision du Conseil constitutionnel. Quoi qu’on pense de cette décision, elle n’est en effet "susceptible d’aucun recours" et "s’impose aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles", comme l’exige l’article 62 de la Constitution. Sans doute les sages auraient-ils pu se faire les défenseurs des droits du Parlement en considérant que l’accès à la nationalité et aux prestations de solidarité comme le regroupement familial ou les règles applicables aux étudiants étrangers avaient un lien suffisant avec la maîtrise des flux migratoires, objet du projet de loi. Ils ont préféré défendre une approche restrictive qui combat la prolifération législative au prix d’un cantonnement du Parlement. Même si ce n’est pas une jurisprudence nouvelle, le séisme politique créé par la décision de la haute juridiction n’en appelle pas moins une réflexion sur l’évolution du droit d’amendement pour équilibrer le rapport de force entre Gouvernement et Parlement.

Mais concentrons-nous sur la question essentielle : comment poser des règles en rupture avec le passé pour permettre à la France de maîtriser la pression migratoire ? Les forces de gouvernement de notre pays ont toujours eu à cœur de respecter et de faire respecter la Constitution. Libre à nous de proposer l’adaptation de celle-ci aux exigences de notre temps, mais commençons par la défendre ! Et aujourd’hui, ne nous trompons pas de cible : dans la réforme de la politique de l’immigration, ce sont les actes du Président de la République et non la décision du Conseil Constitutionnel qui interrogent le plus fortement le fonctionnement de notre démocratie.

En promulguant toutes affaires cessantes une loi diminuée, le Président de la République paraît vouloir enterrer les engagements pris par le Gouvernement Borne. Il rompt le pacte de confiance scellé avec l’Assemblée nationale, qui avait expressément rejeté un texte proche du texte finalement promulgué, et le Sénat qui n’en voulait à aucun prix. Or, la décision du Conseil constitutionnel n’empêchait nullement de respecter ce pacte puisque la plupart des mesures censurées n’ont pas été jugées contraires à nos principes constitutionnels.

Promulgation à la sauvette

Les choses ne peuvent rester en l’état. Un accord politique fondamental pour la cohésion nationale avait été conclu entre le Gouvernement, l’Assemblée nationale et le Sénat. Le premier et le seul de ce quinquennat. Le chef de l’Etat en est le garant. Il lui appartient de le faire respecter en utilisant les pouvoirs que la Constitution lui donne. Le chef de l’Etat, à qui revient de "veiller au respect de la Constitution", aurait pu surseoir à la promulgation d’une loi tronquée et demander une seconde délibération conformément à l’article 10 de la Constitution. C’eût été montrer sa détermination à faire respecter l’accord politique qu’il avait lui-même souhaité en se donnant les moyens de compléter la loi censurée selon une procédure qui serait cette fois jugée conforme à la Constitution : en présentant au Parlement le texte issu de la décision du Conseil Constitutionnel augmenté de l’ensemble des articles invalidés pour des raisons de procédure. Il suffisait pour cela d’utiliser la technique de la lettre rectificative après consultation du Conseil d’Etat et délibération du Conseil des ministres. Elle aurait permis de ne pas promulguer à la sauvette une demi-réforme.

À défaut d’avoir retenu la solution politique qui s’imposait à l’évidence comme la plus pertinente, le chef de l’Etat peut encore engager les consultations nécessaires en vue de saisir le Parlement de deux projets de loi, l’un révisant la Constitution pour l’adapter aux exigences de notre temps en renforçant les droits du Parlement, l’autre afin de prendre les dispositions législatives nécessaires pour rétablir la maîtrise des flux migratoires et mettre en œuvre une politique d’intégration ambitieuse faisant à chacun sa place. Le pays l’attend. Nous y sommes prêts. Il faut faire vite ! La réconciliation nationale est à ce prix. La confiance des Français dans la parole politique en dépend.

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