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Discours de Gabriel Attal : mélodie à droite et notes à gauche

Discours de Gabriel Attal : mélodie à droite et notes à gauche

Qui aurait pu croire que Gabriel Attal, loué à tous les étages de la Macronie pour son verbe et son aisance oratoire, serait moins espiègle qu’Élisabeth Borne ? Moins provocateur. Plus scolaire. Là ou sa prédécesseure s’était autorisée quelques - légers - traits d’esprit, c’est un Gabriel Attal à la verve martiale qui monte ce mardi à la tribune de l’Assemblée nationale pour prononcer sa déclaration de politique générale. Armé d’un débit de mitraillette, le jeune Premier ministre prononce son discours mêlé d’autorité et de froideur. Le ton prolonge la rhétorique guerrière d’Emmanuel Macron lors de sa récente conférence de presse. Le chef de l’Etat avait défendu le "réarmement" français ; Gabriel Attal joue une musique militaire.

Fidèle aux institutions de la Cinquième, le Premier ministre est un chef d’orchestre, chargé de mettre en musique la partition écrite par le président de la République lors de ses vœux et devant les journalistes le 16 janvier dernier. S’il y avait encore un doute, le voici dissipé : cette mélodie est de droite. Par les thèmes enfourchés, les mots employés et les mesures annoncées. C’est sans aucun doute pourquoi Gabriel Attal faisait face aux députés ce mardi : l’homme parle la langue de la droite et s’est emparé, dans ses pérégrinations ministérielles, de ses aspirations. Attal, le pragmatique. Le chef du gouvernement compose avec une majorité hétéroclite et un pays travaillé par des attentes contradictoires. Par petites touches, il prend soin d’intercaler, çà et là, quelques accords de gauche pour faire vivre le fantasme du "en même temps". Piano piano, ce n’est pas de ce côté de l’échiquier que Gabriel Attal compte trompetter.

Eloge du travail et de l’autorité

Gabriel Attal refuse toute affiliation partisane. Qui n’a pas envie de vivre des fruits de son travail ? Quel Français vante l’oisiveté, souhaite l’anarchie ? Mais il se saisit de ces attentes avec un phrasé idéologique. Quand il parle du travail, c’est avec une tonalité civique. Il fait l’éloge des Français "aux rendez-vous de leur responsabilité", rend hommage aux classes moyennes et fixe une feuille de route chère aux Républicains : "Faire en sorte que ceux qui vont travailler […] gagnent toujours plus que ceux qui ne travaillent pas." Cette ode à l’effort se traduit en annonces : généralisation du conditionnement du RSA à 15 heures d’activité, suppression de l’allocation de solidarité spécifique et rémunération des fonctionnaires au mérite. Que la gauche se rassure : le Premier ministre lui promet l’avènement de la "solidarité à la source" comme gage de "justice sociale". Cela ne coûte rien, du moins de le dire : cette mesure figurait dans le programme présidentiel d’Emmanuel Macron.

Quand il entend cette tirade sur le travail, un député Renaissance s’esclaffe par SMS : "Ensemble, tout devient possible !" Cela ne vous rappelle rien ? Mais si, le slogan de Nicolas Sarkozy en 2007, campagne menée à destination de la "France qui se lève tôt". Gabriel Attal apprécie l’ancien président, les deux hommes ont partagé un déjeuner à la rentrée. Le fondateur de LR n’est pas sa seule source d’inspiration à tribord.

"Encore des mots, toujours des mots"

C’est dans les vieux pots que l’on fait la meilleure confiture ; dans les vieux répertoires que l’on pioche les meilleures paroles. Esprit de Georges Pompidou, es-tu là ? "Mais arrêtez donc d’emmerder les Français !", a semblé tonner le Premier ministre pendant plusieurs minutes en s’en prenant aux normes qui "oppressent, brident, empêchent de faire et d’avancer". Du miel dans les oreilles du maire de Cannes David Lisnard, qui a fait de cette inflation de règles et protocoles la croisade d’une vie.

Tel ces cadres LR qui énumèrent le nombre de pages du Code du Travail pour mieux en fustiger la complexité, Gabriel Attal en appelle aux 44 millions d’occurrences du mot "norme" sur Légifrance pour illustrer son combat. Le chef du gouvernement le dit sans ambages : il entend "débureaucratiser la France". Au programme, une nouvelle étape de la réforme du droit du travail, la négociation de "certaines règles entreprise par entreprise", éviter une "gabegie" financière en supprimant les organes qui ne se sont pas réunis ces 12 derniers mois.

Dans l’hémicycle, la gauche gronde. La droite, elle, se mure dans un silence poli. "Encore des mots, toujours des mots", pianote un député LR pour relativiser le coup du Premier ministre. Avant d’admettre, un peu contrit, que ce discours pourrait être lu par l’un des siens. Comme ses 61 collègues, il subit la défense appuyée de la "souveraineté", la promotion d’une "identité qui ne doit pas se diluer ou se dissoudre" et le désir de "reprendre notre destin en main". Take back control ! Du Boris Johnson dans le texte, allusion implicite à un sentiment de dépossession.

Attaques insidieuses contre la gauche

Gabriel Attal a placé le respect de l’autorité au coeur de son action rue de Grenelle. On ne change pas une recette qui marche. A Matignon, il entend la faire régner "dans les classes, dans les familles, dans les rues". Il livre une lecture sécuritaire des émeutes de juin 2023 pour mieux creuser ce sillon. Le Premier ministre annonce la création de "travaux d’intérêt éducatif" pour les moins de 16 ans et de "travaux d’intérêt général" pour les parents défaillants. Mais qu’on se le dise : pas question "d’accabler" certaines familles. D’où le développement du placement en internat des jeunes "sur la mauvaise pente".

La crise agricole a mis sous l’éteignoir la lutte contre le réchauffement climatique, grande cause du second quinquennat d’Emmanuel Macron. Gabriel Attal s’en empare à sa façon. Il se pose en miroir inversé de l’écologie de gauche, synonyme de "décroissance" et de "pauvreté de masse". Suivez son regard… Le Premier ministre revendique enfin être à la "tête d’un gouvernement pro nucléaire", rompant avec les hésitations macronistes sur le sujet. Le nucléaire est-il de droite ou de gauche ? Ni l’un ni l’autre. Mais à l’exception des communistes, ses défenseurs sont à tribord de l’échiquier politique. Dis-moi qui sont tes alliés, je te dirai qui tu es.

Avare en expressions de gauche

Emmanuel Macron aime aller puiser dans les mots des grandes figures de la gauche, de Jean Jaurès à François Mitterrand, en passant par Jean-Luc Mélenchon ("planification écologique") et même le Nouveau parti anticapitaliste ("nos vies valent plus que leurs profits"). Son Premier ministre, lui, est bien plus avare en références et expressions issues de ce camp.

Moins enclin à faire appel à cet imaginaire. Il y a tout de même, dans cette déclaration de politique générale, plusieurs mesures qui ont trait aux notions d’égalité et de justice sociale : une prime de 800 euros pour les infirmières scolaires et une revalorisation de 200 euros de leur salaire ; le remboursement intégral des fauteuils roulants pour les personnes en situation de handicap ; l’accompagnement des enfants handicapés pendant leur pause déjeuner ; un progressisme assumé sur les questions sociétales, comme l’IVG ou la fin de vie…

En revanche, Gabriel Attal ne lésine pas sur les éléments de langage et, lorsque est venu le moment de mordre, ceux-là semblent tout droit tirés du petit dictionnaire illustré de la droite. Ici, il dénigre le "droit à la paresse". Là, "l’écologie punitive, douloureuse" qui "passe par la désignation de boucs émissaires et par la décroissance". Ou encore là, ceux qui "n’ont que le mot ‘taxer’ à la bouche". Si le Premier ministre se revendique pleinement de l’arc central, ses mots racontent une autre histoire. Jouent une tout autre musique.

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