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Sénégal : tout comprendre à la crise qui agite le pays

Sénégal : tout comprendre à la crise qui agite le pays

"L’élection présidentielle se tient toujours à date échue." Cette maxime bien connue des Sénégalais qui, en 64 ans, n’a jamais été contredite, du moins jusqu’à ce samedi 3 février. Le président Macky Sall a décidé de repousser sine die le scrutin présidentiel, initialement prévu le 25 février. "J’engagerai un dialogue national ouvert, afin de réunir les conditions d’une élection libre, transparente et inclusive", a-t-il indiqué dans une allocution télévisée de quelques minutes.

L’annonce a mis le feu aux poudres. Dès le lendemain, des centaines de manifestants sont descendus dans la rue pour protester, et des heurts ont éclaté dans la capitale sénégalaise. Drapeaux en mains, quelque 200 personnes ont convergé vers un rond-point, avant de bloquer la circulation en érigeant une barricade à l’aide de pneus en feu. Ce lundi matin, nos confrères de l’AFP ont constaté que les données mobiles Internet avaient été coupées à Dakar. La manœuvre fait écho aux événements de juin 2023, lorsque le gouvernement avait temporairement suspendu l’accès à Internet.

Ce qui n’a toutefois pas empêché les députés de se réunir en fin de matinée. Sous les cris des manifestants, qui scandaient "Macky Sall dictateur" devant le Parlement, les élus ont examiné une proposition de loi prévoyant l’ajournement de la présidentielle. Adopté en commission dimanche, le texte qui mise sur un report de six mois doit être approuvé par trois cinquième des 165 élus, soit 99 députés. Loin d’être gagné : les détracteurs du chef de l’Etat n’hésitent pas à parler de "coup d’Etat constitutionnel".

Report sous fond de crise institutionnelle

Il faut dire que la décision est intervenue à quelques heures seulement de l’ouverture officielle de la campagne électorale. "En une fraction de seconde, tout le processus s’est arrêté", raconte à L’Express Babacar Ndiaye, politologue et directeur de recherche et de publication du think tank Wathi, basé à Dakar. Un revirement que Macky Sall justifie par la crise institutionnelle née du bras de fer qui oppose le Conseil constitutionnel au Parlement sénégalais.

Le feuilleton commence fin janvier lorsque la juridiction suprême, tout en validant vingt candidatures, écarte celles de l’opposant antisystème Ousmane Sonko, en prison depuis juillet 2023, et de Karim Wade. Ce dernier, fils de l’ex-président Abdoulaye Wade, a été recalé pour sa double nationalité franco sénégalaise qui contrevient au principe constitutionnel selon lequel "tout candidat à la présidence de la République doit être exclusivement de nationalité sénégalaise".

Une commission d’enquête votée par la majorité

Tout en martelant avoir "depuis longtemps renoncé à sa nationalité française", Karim Wade dénonce une "atteinte flagrante à la démocratie". Sous son impulsion, et celle de son parti PDS, les députés approuvent l’ouverture d’une commission d’enquête sur les conditions de validation des candidatures. S’y mêlent plusieurs élus de la majorité, ce qui n’a pas manqué d’alimenter les soupçons d’un plan du pouvoir pour ajourner la présidentielle et éviter une défaite. Quel calendrier à venir ? Une seule chose est certaine : le mandat de Macky Sall, qui a déjà annoncé ne pas briguer de troisième candidature, s’achève officiellement le 2 avril 2024.

Dans ce pays de 18 millions d’habitants, longtemps désigné comme l’îlot de stabilité de l’Afrique de l’Ouest secouée par les nombreux coups d’Etat au Mali et au Burkina Faso, cette crise politique produit l’effet d’un véritable séisme. L’annulation du scrutin "est un dangereux précédent, alerte Babacar Ndiaye. Le Sénégal a toujours été vu comme un modèle démocratique dans une région où demeurent de nombreuses instabilités […] Aujourd’hui, Macky Sall y a mis un terme."

Dérives autoritaires

Même son de cloche du côté de Felwine Sarr qui dénonce les dérives autoritaires de l’exécutif en place. "Après avoir dissous le principal parti de l’opposition, mis en prison ses dirigeants, embastillé plus d’un millier de citoyens ayant exprimé leurs opinions, désacralisé nos institutions, voilà que le président de la République […] prend un décret pour annuler/reporter l’élection présidentielle", s’insurge l’écrivain et universitaire sénégalais dans une tribune reprise par Courrier international.

Dimanche soir, l’ancienne Première ministre Aminata Touré, farouchement opposée au report, a notamment été arrêtée lors d’un des rassemblements, a indiqué à l’AFP le député d’opposition Guy Marius Sagna. Quelques heures plutôt, l’un des candidats à la présidentielle, Daouda Ndiaye, qui rapporte avoir été "brutalisé" par les forces de l’ordre, assure lui aussi que certains de ses collaborateurs ont été "arrêtés".

À l’extérieur des frontières sénégalaises, la situation inquiète. La Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), l’Union africaine, les Etats-Unis, l’Union européenne, et la France, ont tous appelé au dialogue entre les différents acteurs de la crise.

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