Le Comité des Martyrs guident des collégiens de Tulle et Limoges sur les traces des pendus du 9 juin 1944
Charles Godillon n’est pas à l’aise dans ses habits de guide conférencier. Comme « dans un état second », glisse-t-il avec honnêteté et retenue. « Vous comprenez, chez nous, on n’en parlait pas du tout. Rien, c’était tabou. Le 9 juin, notre mère nous demandait de couper la radio, la télévision. Silence. Par contre, les marches, on les faisait toutes. J’ai 80 marches à mon actif. »
Face à lui, des collégiens de troisième CHAM (classe à horaires aménagés musique) du collège Clemenceau, à Tulle, et du collège Limosin, à Limoges. Toute la matinée, ce vendredi 9 février, ils ont répété le Requiem d’Oradour, qu’ils créeront ensemble à l’occasion des cérémonies du 80e anniversaire des drames de Tulle et Oradour.
L’après-midi, exercice pratique de mémoire dans les rues de Tulle. Sous la conduite de membres du Comité des Martyrs, ils découvrent ou redécouvrent les lieux emblématiques où se sont déroulés les événements du 9 juin 1944.
Une mémoire vive à partager« Ça donne plus de signification à ce qu’on chante de voir ça. Si on ne sait pas pourquoi on chante, c’est moins bien », reconnaissent d’une même voix Maiana, Mélia, Mélissa et Salma, en 3e1 à Clemenceau. « C’est une des dernières années où les gens qui l’ont vécu pourront raconter, apprécient-elles. Leurs souvenirs ne sont pas faussés par le passage de mémoire en mémoire et on a leurs ressentis. »Point de départ de la marche du 9 juin, la stèle Louisa-Paulin, en plein coeur du Quartier des Martyrs. Dans la famille de Charles Godillon, le 9 juin était tabou, mais les marches, il les a toutes faites.
Place Albert-Faucher, Charles Godillon commence son récit, la tension qui monte le 6 juin, l’incendie de l’École normale le 7 juin, les Allemands qui remontent de Brive le 8 et « investissent cette place, parce qu’ils avaient des militaires à la Manu. C’étaient des renforts accueillis avec des hourras. » De l’autre côté de la place, il désigne une ancienne épicerie. « Les Allemands y ont pris toutes les bouteilles, ils se sont soûlés. »
Lui naîtra 3 mois plus tard, mais du 9 juin, il porte la mémoire vive. « Ils sont arrivés vers 5-6 heures, c’est allé vite. Ils se sont retrouvés 5 000 à 6 000 sur cette place et tout autour, les gens venaient voir ce que devenaient les leurs. »
À quelques pas, la rue du 9-Juin-1944, où les hommes ont passé le portail de la Manu pour être triés en trois colonnes ; « c’est la dernière fois que les femmes ont vu leur mari », témoigne Charles Godillon. « Il y avait un Allemand petit bossu avec une queue-de-cheval qui triait selon son envie. »
"Ils avaient le temps de voir la mort"Sur le pont des Martyrs, les collégiens font bloc autour de leur guide. « Aux candélabres et à tous les balcons, il y avait des pendus. Mon père à celui-là, pointe-t-il avec émotion. Les Allemands chantaient, les hommes défilaient, bien encadrés, et ils allaient se faire pendre. Ils avaient le temps de voir la mort. »Sur le pont des Martyrs, témoignage saisissant : "il y avait des pendus partout", raconte Charles Godillon.
Aux jeunes, il désigne une boutique vide, de l'autre côté du rond-pont de Souillac. « Aux délices de Saint-Germain, là-bas, c’était une boucherie. Ils ont emmené un jeune de même pas 18 ans, sa mère criait “Oh, mon Jean, où tu vas ?”. Il a été l’un des premiers pendus, d’un coup de pied dans l’escabeau. Dans une petite rue en face de la Poste, vous voyez, il y en a deux qui ont essayé de s’échapper, ils ont été fusillés ; après, on ne les reconnaissait pas. »
Maiana, Mélia, Mélissa et Salma gardent un silence plein de respect et d'émotions. « C’est impressionnant et triste. Nous, on se promène, on vit ici et il y a des gens qui ont été pendus ici… Avant, on n’y prêtait peut-être pas très attention, maintenant, c’est sûr, on y pensera. »
Blandine Hutin-Mercier