Leclerc : pourquoi l’enseigne a saisi le Conseil constitutionnel
L’enseigne contre-attaque. Le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) concernant les pénalités logistiques qu’a infligée Leclerc à des fournisseurs agro-industriels, et qui lui ont valu une injonction des autorités en 2022, selon des communiqués vendredi 9 février. Pour rappel, Leclerc s’approche des 24 % de parts de marché en France, devant Carrefour (20,1 %) et Intermarché (15,1 %). Son chiffre d’affaires en 2022 affichait plus de 44 milliards d’euros. Et pour cause : le grand distributeur nourrit un foyer sur trois.
Fin 2022, Leclerc a été ciblé par une injonction sous astreinte émanant de la direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS) d’Ile-de-France, lui imposant de "modifier les clauses des contrats passés avec ses fournisseurs relatives aux pénalités logistiques", indique le Conseil d’Etat dans une décision rendue le 9 février.
La plus haute juridiction administrative précise que le leader de la grande distribution alimentaire en France a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité, estimant que la décision de l’administration méconnaissait notamment "le principe de légalité des délits et des peines". Le Conseil d’Etat a considéré que les textes de loi ne "définissent pas la marge d’erreur suffisante que le distributeur est tenu d’accorder à son fournisseur dans les contrats conclus avec lui" avant de lui infliger une pénalité logistique.
Des pénalités détournées par les distributeurs ?
Ce point "soulève une question présentant un caractère sérieux" et il y a donc "lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée", a décidé le Conseil d’Etat. Les Sages de la rue Montpensier ont confirmé vendredi soir avoir été saisi de cette question. Les pénalités logistiques sont prévues dans les contrats que les supermarchés signent avec leurs fournisseurs. Dans le cadre de négociations commerciales, les deux parties s’entendent sur le prix d’achat d’un produit, mais aussi sur ses modalités de livraison. Si le contrat n’est pas respecté, des pénalités peuvent s’appliquer.
Mais le gouvernement, s’appuyant notamment sur des travaux de la Répression des Fraudes (DGCCRF), a estimé que certains distributeurs détournent ces pénalités "pour se refaire une santé financière" sur le dos des fournisseurs. Des pratiques abusives épinglées chez certaines enseignes, comme l’émission de "pénalités automatiques ", sans que les fournisseurs puissent s’adresser à un interlocuteur physique pour les contester".
Fin septembre 2022, l’exécutif avait appelé à un "moratoire sur les pénalités logistiques", un coup de pression qui n’avait rien de contraignant. À cette période, les autorités avaient indiqué que quatre enseignes de la distribution alimentaire, dont l’identité n’avait pas été rendue publique, devaient se mettre en conformité avec la réglementation, "sous peine d’astreintes financières de plusieurs millions d’euros".
Leroy Merlin s’était fait rappeler à l’ordre par la répression des fraudes.
Si ces "pénalités logistiques", infligées aux fournisseurs lorsqu’ils ne livrent pas leurs produits à temps, "peuvent être justifiées pour diminuer les retards" ou les problèmes à la livraison, elles ne doivent pas être "détournées de leur objectif", estimait en novembre 2022 le gouvernement dans un communiqué signé notamment par le ministre de l’Economie Bruno Le Maire et celui de l’Agriculture Marc Fesneau.
En novembre 2023, le géant du bricolage, Leroy Merlin s’était fait rappeler à l’ordre par la répression des fraudes. "Leroy Merlin doit cesser ses pratiques illicites en matière de pénalités logistiques à l’égard de ses fournisseurs", souligne l’institution sur son site, repris par nos confrères de Capital. L’enseigne risque de payer une amende pouvant aller jusqu’à 13,5 millions d’euros. De quoi lui apprendre à rééquilibrer le rapport de force entre les fournisseurs et la grande distribution.