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Entre injonctions à mieux consommer et inflation : pourquoi "acheter français" ne coule pas de source

Entre injonctions à mieux consommer et inflation : pourquoi

La cote des produits français, montée en flèche après le Covid, a baissé sous l’effet de l’inflation. Mais la volonté d’être « patriote » dans ses achats reste forte, disent les sondages. Les récentes manifestations des agriculteurs pourraient servir de nouvel élément déclencheur, même s’il faut doser

Au beau milieu d’un supermarché, une dame interrogée par un journaliste, caméra à l’épaule, clame son soutien aux agriculteurs. Derrière elle, un client qui semble être son mari se rue sur du "poulet aux hormones du Chili", dont le prix imbattable -  3,50 euros - s’affiche en grand au milieu du rayon.

Voilà comment Plantu a caricaturé le comportement des consommateurs français, dans un dessin réalisé le 26 janvier, en plein mouvement de colère des agriculteurs. A-t-il vraiment forcé le trait?? La réponse se situe en fait à mi-chemin.

Le prix reste le critère principal

D’un côté, 89 % des Français souhaitent acheter davantage de produits fabriqués dans l’Hexagone, révélait en octobre 2023 une enquête d’Opinion Way pour CCI France. De l’autre, 80 % déclarent que c’est bien le prix qui reste le critère le plus important lors de l’achat d’un produit, loin devant sa provenance (23 %).

Un paradoxe déjà soulevé en 2021 par le groupe Nielsen, dans le cadre d’une précédente étude.

Un net retour en arrière en 2023

Emmanuel Montecer est le co-fondateur de Marques de France, un site Internet compilant un millier d’entreprises qui produisent sur le territoire. Lui aussi a constaté le « décalage » entre la volonté de consommer français et la réalité des actes. «

"Il y a eu un rebond pendant et après le Covid. On vit un net retour en arrière depuis l’année dernière, avec l’inflation", constate-t-il. L’étude commandée par CCI France fin 2023 montre bien que l’intérêt pour les produits français dépend du niveau de revenus : 67 % des répondants gagnant moins de 1.000 euros par mois se disent "intéressés" par le fait de se tourner davantage vers le "made in France", un chiffre qui grimpe à 82 % pour les foyers les plus aisés (au moins 3.500 euros mensuels). D’où cette réflexion, exprimée par des consommateurs auxquels on a tendu le micro lors de la crise agricole : ce n’est pas la volonté qui manque, c’est l’argent. 

Un changement dans la composition du panier

En moyenne, en deux ans, le prix d’un même produit a augmenté de 20 à 25 %, rappelle Grégory Caret, directeur de l’observatoire de la consommation de l’UFC-Que Choisir. "Dans ce contexte, les gens ont changé la composition de leur panier. En laissant de côté les marques les plus chères pour se tourner vers d’autres, plus abordables. Certains se sont aussi passés de certaines denrées" jugées moins essentielles.

Ainsi, au rayon alimentaire, "l’appétence pour les produits bio ou locaux" s’est peu à peu effacée derrière des logiques économiques.

Consommer français : vraiment plus cher ?

La "bataille du prix" est pourtant loin d’être toujours perdue par les produits français, précise Grégory Caret :

Sur des fruits de saison, il est possible que la production étrangère soit parfois meilleur marché. Les clémentines européennes, par exemple, seront moins chères que les corses. Mais il ne faut pas penser que c’est valable pour tout l’assortiment agricole. L’immense majorité de ce qui est produit est consommée localement.

Émilie Orliange, présidente de l’association de l’alimentation durable estime elle aussi que cela "ne coûte pas nécessairement plus cher de consommer local et sain, même si une partie de la population est persuadée du contraire, notamment les classes les plus défavorisées."

Freins psychologiques et injonctions contre-productives

Selon cette experte, les freins ne sont "pas toujours économiques. Parfois, d’autres facteurs tels que la disponibilité des produits, les habitudes alimentaires établies, des facteurs psychologiques comme la conviction que c’est plus cher ou encore le manque de temps et de compétences, notamment en cuisine, peuvent jouer un rôle important."

En parallèle, les injonctions à "mieux consommer", encore lancées en marge des manifestations agricoles, sont susceptibles de déclencher des effets inverses à ceux qui sont attendus, poursuit Émilie Orliange : "Elles peuvent être contre-productives, car perçues comme culpabilisantes. Il est essentiel d’adopter une approche positive et éducative, sans jugement, sans injonction ni pression."

"Soutien aux producteurs locaux"

Pour convaincre les consommateurs, il faudrait leur fournir des informations "claires et pratiques sur les avantages d’une alimentation saine et locale, en mettant l’accent sur la santé, l’environnement et le soutien aux producteurs locaux", poursuit la présidente de l’association de l’alimentation durable.

"Il est évident qu’il faut de l’apprentissage. Expliquer par exemple qu’en achetant français, quitte à mettre parfois un peu plus cher, on fait un calcul à plus long terme car on fait tourner l’économie nationale", complète Emmanuel Montecer.

J’espère que la crise agricole aura pu servir aussi à ça. Le gros défi, c’est que cela dure, qu’il y ait un effet pérenne et qu’on ne se pose pas les mêmes questions dans un an, comme cela s’est produit après le Covid.

Problème : les habitudes alimentaires sont "souvent difficiles à changer", constate Émilie Orliange. Au-delà de la "prise de conscience", la stratégie de ciblage des plus jeunes est mise en avant par plusieurs spécialistes.

Enseigner les bons gestes à l'école

"C’est efficace, car ils sont plus réceptifs au changement et peuvent influencer les habitudes alimentaires de leur famille. Il est important d’intégrer l’éducation à l’alimentation dès le plus jeune âge, à l’école, à la maison et dans les environnements communautaires", insiste Émilie Orliange.

Cela pourrait même se jouer dès la crèche ! "Il n’est jamais trop tard pour induire un changement mais on sait que plus on commence tôt, plus c’est simple et ancré dans le temps."

Dans le cadre d’une consultation conjointe des ministères de l’Éducation, de l’Alimentation et de la Santé, l’agence Proj’Éduc Lab pour laquelle travaille Émilie Orliange, a effectué plusieurs recommandations. Il est notamment préconisé que l’éducation à l’alimentation soit intégrée aux enseignements obligatoires.

Tanguy Ollivier et Nicolas Certes

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