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“Bob Marley : One Love” : que vaut le biopic de la star du reggae ?

Un film aussi curieusement impersonnel et formaté que dangereusement prosélyte.

Les biopics les moins inspirés se terminent soit par des cartons textuels à la gloire chiffrée de leur héros ou héroïne, soit par une sélection d’images d’archives. Bob Marley : One Love cumule les deux, ce qui dans le second cas lui est dommageable, tant l’apparition fugace du véritable Bob Marley, avec son visage sculpté, éternellement vieux et jeune à la fois, totalement habité, magnétique, achève de couvrir de ridicule les deux heures de panégyrique désincarnées jusqu’à la moelle auxquelles on vient d’assister.

C’est paradoxalement lorsque les films biographiques émanent directement du “biopiqué” ou de son entourage familial qu’ils finissent souvent par être les plus impersonnels, aveuglés qu’ils sont par une entreprise d’hommage sans aspérité, confiés à des faiseurs sans regard bien qu’irréprochables sur le plan du professionnalisme. Ici donc Reinaldo Marcus Green, réalisateur en vogue dans le Hollywood oscarisable (La Méthode Williams), et Kingsley Ben Adir, aperçu dans The OA et Peaky Blinders. Acteur britannique déjà passé par la case du biopic plastifié (Malcolm X dans One night in Miami), et représentant bien le caractère désespérément lisse du projet, son visage appartient plus au mannequinat prêt-à-porter qu’au cinéma. À aucun moment, il ne crée à l’écran la rencontre avec son modèle.

Millénarisme rasta

Le résultat est un film au trente-sixième dessous de l’académisme, entièrement préformaté par des standards que ne maîtriserait pas moins que lui une IA milieu de gamme en matière de séquençage, de scènes archétypales, de flash-backs, de découpage des scènes, de tapissage musical. Mais aussi, étrangement, un film quasi possédé, totalement envoûté par le millénarisme rasta – non pas qu’il semble procéder d’une volonté sincère de se plonger dans un état altéré de la conscience, mais simplement parce que n’ayant aucun regard sur son sujet, aucune prise de perspective ou de distance vis-à-vis de lui, il se retrouve par défaut à faire corps avec le prêche du chanteur et de la clique qui l’entoure, prônant dans un épais nuage de weed le retour du Messie en la personne de l’empereur d’Éthiopie.

Si ce fondement sectaire est une réalité historique du reggae qu’il serait absurde de nier, il est tout de même frappant de voir à quel point le film n’a aucune espèce de contrepoint à proposer pour la traiter. Il est en ce sens très représentatif d’un retour du religieux de plus en plus alarmant (autre exemple récent : La Couleur pourpre) dans une production hollywoodienne où le scepticisme athée le plus honnête peut désormais être tranquillement brocardé comme un symptôme des dérives morales du capitalisme – voir ce jeune producteur qui suggère d’y aller mollo sur la symbolique chrétienne dans la promo d’Exodus. Il recevra les quolibets des Wailers ne voyant en lui qu’une brebis égarée, et avec eux du film lui-même – drôle de paradoxe à la fois rastafari et babylonien, entièrement piloté par une standardisation commerciale terminalement déshumanisée du produit “biopic”, et tout à la fois construit comme une messe d’illuminés de la dernière espèce.

Bob Marley: One Love de Reinaldo Marcus Green avec Kinglsey Ben-Adir, Lashana Lynch, James Norton – sortie en salle le 14 février

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