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Rintarō : “Avec ‘Albator’, je voulais raconter l’histoire d’un anti-héros”

À 83 ans, le grand nom de l’animation japonaise se met à la bande dessinée pour rembobiner le film de sa vie. Rencontre.

En France et ailleurs, Shigeyuki Hayashi alias Rintarō s’est fait un nom en réalisant en 1978 la série Albator d’après Leiji Matsumoto. Légende de l’animation japonaise, il a contribué à en écrire l’histoire. Après avoir débuté en adaptant Astro le petit robot ou Le Roi Léo d’Osamu Tezuka en dessins animés dans les 60’s, il a signé des films fondateurs comme Galaxy Express 999 (1979), Harmagedon (1983) ou Metropolis (2001), coécrit avec Katsuhiro Otomo (Akira).

À 83 ans, il se raconte dans sa première bande dessinée à l’européenne, Ma vie en 24 images par seconde. Rencontre avec un créateur encore vert. 

Ça a été facile de vous transformer en personnage ? 

Rintarō – C’était assez intimidant de se lancer dans une autobiographie mais ça a aussi été spontané. Je n’ai pas vraiment cherché à me représenter… Je ne suis même pas sûr que ce personnage me ressemble. Il y a un peu plus de dix ans, j’étais en discussion avec un studio d’animation basé à Paris qui voulait réaliser un film sur ma vie. Mais le projet s’est retrouvé dans une impasse et Shoko Takahashi qui traduit notre entretien m’a dit : “pourquoi ne pas le transformer en bande dessinée ?”. Un certain nombre de mes amis français sont curieux de connaître l’histoire de l’animation japonaise et comme j’ai vécu l’évolution de cette industrie de l’intérieur, je me suis dit : “pourquoi pas”. 

Dans votre bande dessinée, vous vous considérez, enfant, comme un voyou. Pourquoi ? 

Juste après la Guerre, le Japon avait tout perdu. Nos parents étaient tellement occupés par la reconstruction de notre pays que nous étions assez libres. À l’époque, ceux qui lisaient du manga ou allaient au cinéma étaient mal vus… C’est pour ça que j’étais traité de voyou. C’est depuis ce moment-là que je suis hanté par la magie du cinéma. 

Votre père vous répétait que “le cinéma se joue entre l’ombre et la lumière”. Comment le compreniez-vous ? 

Aujourd’hui, je fais des belles phrases pour en parler mais à l’époque je n’étais conscient de rien. C’est vraiment en réalisant des films que j’ai petit à petit compris ce que mon père voulait dire. Évidemment, ce contraste est visuel, mais il se rapporte aussi à notre intériorité. Nous avons tous plusieurs facettes, une partie éclairée et une partie sombre. C’est avec ça que l’on raconte les drames humains. 

Pourquoi adapter une dernière fois Osamu Tezuka en 2001 avec Metropolis ?  

J’ai commencé ma carrière en tant qu’animateur avant de passer metteur en scène avec des épisodes d’Astro le petit robot à l’âge de 21 ans. J’étais vraiment très immature par rapport au grand mangaka qu’était Osamu Tezuka. Ce sentiment d’insatisfaction est resté présent chez moi. C’est pour ça que j’ai voulu reprendre plus tard Tezuka avec le savoir-faire que j’avais acquis. Le film Metropolis a été un moyen de boucler la boucle. Concernant le film de Fritz Lang, on peut juste supposer que Tezuka l’a vu car c’était un grand cinéphile.  

Dans les années 1970, vous avez arrêté l’animation, que s’est-il passé ? 

J’ai fui la réalité et le monde de l’animation. J’avais commencé à travailler dès l’âge de 16 ans et enchaîné sans m’arrêter. Je m’étais marié, mais j’avais l’impression d’avoir mis de côté ma vie privée. J’ai fréquenté des gens un peu comme moi, perdus. 

Dans votre autobiographie, la musique est omniprésente comme dans vos films… 

Elle m’est indispensable, elle est presque mon alter ego. J’ai vraiment beaucoup appris en regardant les films noirs français comme Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle. La musique y était cohérente avec chaque mouvement de caméra, avec la composition de chaque plan.

Albator, dès le départ vous sentez que ce projet est pour vous ?

Oui, j’ai eu vraiment cette intuition. Au Japon, la série Albator était diffusée vers 19 h , la tranche horaire destinée aux enfants. Mais je n’ai pas vraiment songé à eux, je n’ai pensé qu’à créer mon propre style. Alors que les autres séries parlaient d’un héros, je voulais raconter l’histoire d’un anti-héros. Albator, c’est un personnage fictionnel, mais je sentais que l’on se ressemblait. Avec lui, j’ai la sensation d’avoir rencontré le personnage plutôt que son créateur, Leiji Matsumoto

Pour vous, l’I.A. est le prochain chantier de l’animation ? 

C’est le prochain grand mur qui se dresse devant nous. L’I.A. pose plein de questions économiques et aura plus d’impact que l’arrivée de l’ordinateur ou des images de synthèse. Si on arrive à la maîtriser, ça sera un excellent outil. Si on se laisse dominer, il n’y aura que des films peut-être visuellement parfaits mais sans aucune chaleur. Les films que j’ai réalisés était les fruits d’un travail en équipe. Leurs imperfections ajoutaient du charme à l’œuvre. Si j’avais tout créé avec une I.A., je n’aurais rien à raconter !

Ma vie en 24 images par seconde de Rintarō (Dargaud/Kana), 256p., 27,90€, traduction du japonais par ShokoTakahashi, en librairie

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