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"Je les choque, je les attriste" : comment Macron traite ministres, conseillers et amis

Inouï ! Il arrive à Emmanuel Macron de manquer, à l’égard de ses amis politiques, de gracieuseté. Au zénith du psychodrame déclenché par un François Bayrou fort marri de ne pas avoir été traité comme son rang l’exige par le jeune Premier ministre Gabriel Attal, Emmanuel Macron, jetant de l’Elysée un coup d’œil aux déclarations ardentes du Béarnais ("Je n’entrerai pas au gouvernement" faute "d’accord profond sur la politique à suivre"), philosophe calmement : "Je l’ai associé au discours de la conférence de presse, le jour de la déclaration de politique générale les députés MoDem ont applaudi comme un seul homme, il fallait se lever avant ! François va voir les journalistes, il est tout ébouriffé… Moi, je le précarise." Faut-il préciser ? Pas un coup de fil, pas un échange depuis une discussion prometteuse en tête-à-tête le jour de la relaxe, aucun signe de la part du chef de l’Etat pouvant donner à l’intéressé le sentiment que ses doléances au plus haut niveau sont écoutées, pire, entendues. Le management par l’indifférence, leçon n° 1.

Contredite par la leçon n° 2, mais qui a dit que la cohérence, en Macronie, tenait lieu d’absolu ? Leçon n° 2, donc : parfois, faire preuve de souplesse. Même Jupiter doit apprendre l’horizontalité. Décembre, le froid améliore la réflexion, Emmanuel Macron songe à son "reset" de janvier. Il l’imagine en grand et a, pour cela, une idée tranchante : changer les deux visages du gouvernement que les Français voient depuis sept ans, Gérald Darmanin et Bruno Le Maire. Au puissant ministre de l’Economie, l’Elysée envoie trois émissaires pour le convaincre d’accepter de conduire la liste du parti présidentiel aux élections européennes. Sur tous les tons, "BLM" dit non. A Gérald Darmanin, on fait savoir que le grand ministère social regroupant Travail, Santé, Solidarités dont il rêvait hier pourrait enfin lui être confié. Refus net : Beauvau encore ou Bercy, merci. Inouï ! Il arrive au président de manquer d’urbanité. "Ils me font ch…", l’a-t-on entendu s’exclamer. Avant de renoncer aux grands "bougés" envisagés.

Par conséquent, leçon n° 3 : décider sans rien demander. Ainsi Frédéric Rose, conseiller intérieur et sécurité du chef de l’Etat, croit-il sans doute à un poisson d’avril quand il reçoit - certes avec quelques mois de retard ou d’avance - en décembre 2023 des SMS de félicitations. Les messages sont louangeurs : succéder à Jean-Jacques Brot au poste de préfet des Yvelines, presque 1,5 million d’habitants, l’une des plus importantes préfectures de France, quand on a exercé comme sous-préfet jusqu’alors, voilà qui n’est pas une broutille ! Alors, comment se fait-il que le premier concerné n’ait été mis au courant de rien ? Autour de lui, dans la sphère élyséenne élargie, on écarquille les yeux. Certes, le chef a une aversion bien connue pour les ruptures ; les départs lents de ses anciens conseillers en communication, Joseph Zimet et Frédéric Michel, contre lesquels il ne se privait pas de pester "ça ne va pas, il faut remettre droit", restent dans l’esprit de ses collaborateurs des modèles d’évitement. Mais en constatant le silence dont il fait preuve avec Frédéric Rose, qu’il apprécie autant pour son expertise que pour sa fidélité, quelques proches peinent à cacher leur désappointement. Une mutation, fût-elle de Paris à Versailles, nécessite un minimum d’organisation, le patron s’en rend-il compte ? Il y a les esprits au sein du cercle familial à préparer, les écoles pour les enfants à trouver, le déménagement à programmer… Et ce tourment : pourquoi ne suis-je plus désiré à l’Elysée ?

Puis, 2024, nouvelle année. La lumière, enfin. Emmanuel Macron confirme sa volonté : le 78, troisième département à recevoir le plus grand nombre d’épreuves des Jeux olympiques après Paris et la Seine-Saint-Denis ; le 78, terre politique où le roué patron du Sénat Gérard Larcher règne, complote, prêt à griffer, l’Etat doit ici montrer son meilleur visage sinon… Le 78, enfin, cachette officielle pour président fatigué ou en quête de tranquillité, désireux de se retrancher derrière les murs de la Lanterne, résidence versaillaise de la République. A la tête de ce département, lui, Frédéric Rose, un homme de confiance ou rien. Est-ce pour cela que le patron a oublié de lui demander son avis ? Ceux qui l’aiment prendront le RER, point.

La loyauté a ses défauts, ce n’est pas Julien Denormandie qui dira le contraire. Lui aussi a reçu mi-décembre ce qui s’apparente à une bonne nouvelle. L’Elysée le presse de concocter un plan disruptif pour le début d’année. La rumeur d’un changement à Matignon enfle, bientôt son tour ? Il est, en tout cas, le premier contacté, le premier auquel une note est formellement demandée. De l’avis de ses soutiens, nombreux, l’ex-ministre de l’Agriculture s’attelle à la tâche, avec rigueur. Premiers jours de janvier, le voici reçu à l’Elysée pour dévoiler devant Emmanuel Macron et Alexis Kohler une ébauche de projet politique. Il s’y rend un lundi soir. Le mardi matin, Gabriel Attal devient Premier ministre. Parmi ceux qui s’indignent et rouspètent, il est un homme qui en cet instant le fait pour des raisons humaines plus que politiques. Dans les semaines précédentes, Richard Ferrand a été sondé sur le choix du Premier ministre. Denormandie ou Attal ? Sa préférence va au premier, et il ne se contente pas de le dire, il travaille son argumentaire. "Tu conviendras avec moi qu’aucun des deux choix n’est déshonorant", lui glisse le chef de l’Etat quelques jours avant l’annonce. Peut-être, mais ce dont Ferrand peine à convenir c’est qu’il traite ainsi ses plus fervents soutiens. Presque un mois d’espoir et autant d’angoisse infligés à cet intime de la première heure pour finir par lui préférer l’ambitieux ministre de l’Education. "Pourquoi avoir fait mariner aussi longtemps Julien pour nommer Gabriel ? Ce n’est pas correct", s’emporte le Breton en comité restreint. Quand il entend au téléphone Emmanuel Macron crâner, ravi de son coup, quelques minutes après la nomination de Rachida Dati à la Culture, l’ancien président de l’Assemblée ne s’embarrasse plus de faux-semblants : "C’est du sarkozysme bling-bling !" Leçon de management n° 4 : le chef n’a pas tous les droits.

Notamment quand il en va de la destinée du pays. Philippe Grangeon, l’homme de gauche, s’est chargé de le rappeler à Emmanuel Macron. Irrité par la tournure droitière prise par le texte sur l’immigration sorti de la commission mixte paritaire, ce proche d’ordinaire si réservé fait savoir via la très officielle AFP qu’il voterait, s’il était député, "avec tristesse contre un texte de division", qui "tourne le dos au logiciel doctrinal de 2017 et aux valeurs humanistes". Orage. Fragilisation venue de l’intérieur. Le président enrage. Cette façon qu’ont certains de ses amis à bâbord de se sentir plus propriétaires du macronisme que l’inventeur du macronisme… Lui a dit "dépassement", "pragmatisme", eux ont compris Mendès France. Leur faute, pas la sienne. Il peste : "Pas lui, pas maintenant !" Puis tambourine sur son téléphone le numéro de son ancien conseiller : "Tu aurais pu garder tes réserves pour toi, ça ne te ressemble pas." Trahison amicale, blâme-t-il. Trahison politique, regrette Philippe Grangeon pour qui l’amitié compte peu quand l’étranger à ses yeux apparaît stigmatisé.

Humainement, Emmanuel Macron serait-il à contretemps ? Un jour cahoteux, cette confidence comme un remords : "Je suis inapte, je ne sais pas bien dire les choses… Les gens, je les choque, je les attriste." Une nuit rugueuse, ce constat : "La mission qui est la mienne condamne à la solitude." Parfois, une parenthèse affective, rare et secrète, un élan : le voici qui, reconnaissant, enveloppe de ses bras un camarade de jeu politique qui a fait preuve avec lui d’une franchise détonante.

Dans son monde depuis 2017, flatteurs et faux amis. C’est fou ce qu’on peine à trouver le ton juste avec un président. Surtout quand ce dernier s’est mis en tête de restaurer l’autorité. L’un des premiers arrivés dans la campagne 2017 a d’ailleurs payé au prix fort ses familiarités : aucun portefeuille ministériel durant sept ans malgré une proximité savamment entretenue avec tout l’entourage élyséen… L’Assemblée nationale pour seul terrain de jeu. Son crime ? N’avoir pas compris que publiquement on ne tutoie pas le président. Surtout pas quand on a l’âge de ce président, que même François Bayrou continue à vouvoyer, en public comme en privé. Reconnaissance mesurée aussi d’Emmanuel Macron pour ceux qui à ses côtés se sont engagés. L’histoire de Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture avant Rachida Dati, et avant cela conseillère culture deux années durant à l’Elysée, anime les conversations entre macronistes désabusés. Le chef de l’Etat n’a pas pris la peine de lui téléphoner pour l’avertir de son sort. Raide. Tout comme après avoir demandé à Edouard Philippe de réfléchir à une liste de ministres pour ce nouveau gouvernement, il a délégué à Gabriel Attal le soin de lui passer un coup de fil pour lui annoncer le maintien de Christophe Béchu au poste de ministre de la Transition écologique. Gestion des ressources humaines en Macronie ? "Facile, aucune, étrille un ministre. Il considère qu’on a gagné au Loto en devenant député. Et qu’on a tiré le numéro complémentaire en entrant au gouvernement. Est-ce complètement faux ? Sans doute pas. Donc, il n’a pas à nous traiter."

Bien sûr, des exceptions existent. "Emmanuel a un cœur…", croit nécessaire de préciser, sans rire, un intime. Olivier Dussopt, ancien ministre du Travail, jugé pour favoritisme puis relaxé, a bénéficié de l’attention de l’hôte de l’Elysée. Ce 3 janvier, alors que ses collègues avancent dans le brouillard, il est reçu une heure et demie par Emmanuel Macron qui tient à lui faire part de son soutien. Viennent la relaxe et les mots réjouis du président. Puis l’appel du PNF, et les mots navrés. A chaque étape, un réconfort. Quelques mois plus tôt, c’est l’ancien LR Pierre Charon, sénateur déchu, qui à 9 heures du matin, lendemain de défaite, entend cette phrase consolante : "Qu’allez-vous devenir ? Il faut continuer à faire de la politique !"

Bel ami qui dans les instants où la vie intime se corse sait déployer une sollicitude qui revigore et surprend ; puis, le soir même, sirotant un whisky avec l’un de ses stratèges l’alertant sur la situation d’un ministre qui "risque de tomber dans une trappe à loups" s’il sort du gouvernement, lui répond d’un ton parfaitement monocorde, parfaitement indifférent : "Oui, c’est sûr…" La vie des bêtes, quoi.

Il y a au fondement du macronisme cette certitude que tout individu est responsable de son destin, il suffit de traverser la rue pour inverser le cours de son histoire personnelle. Audace réformatrice. La politique suppose aussi un rapport au temps singulier, et ces deux exigences, dans son esprit, s’imbriquent. Emmanuel Macron a, ces dernières semaines, devant les siens, plusieurs fois théorisé : "Chacun a son moment. Il y a, bien sûr, un côté irrationnel : on ne peut pas l’anticiper. Mais on peut le saisir quand il se crée, c’est ce que j’ai fait avec Gabriel." Et le voici qui pique : "Edouard [Philippe] s’y prend mal. Il aurait dû rentrer au gouvernement quand je lui ai proposé l’Education nationale. Dans le monde où l’on vit, où tout s’efface très vite, quand on a de grandes ambitions, il vaut mieux être aux responsabilités. C’est parce que les gens ne font pas les choses que d’autres les font." Enseignement n° 5 du manager élyséen que nous résumerons de cette façon un peu triviale : l’histoire ne repasse pas les plats.

Cette leçon, il se l’applique aussi à lui-même, lui qui désormais tient un décompte rigoureux du temps qu’il lui reste. Conscience que chaque pas doit être un but, projection vers l’avenir mâtinée de réflexion sur le passé, le sien, naturellement. "Il reparle beaucoup de la campagne présidentielle, de comment tu fais l’opinion publique", atteste un intime. Soudain, Emmanuel Macron égratigne : "Créer un leadership, ça se fait tard, pas cinq ans avant." Evidemment que les candidats déjà déclarés à sa succession provoquent chez lui un haut-le-cœur, être et avoir été, vertige du second quinquennat.

Même les faits et gestes de ceux qui hier semblaient bénéficier de son soutien, ou au moins d’un coup de pouce, comme Gabriel Attal, sont disséqués avec sévérité par ce président convaincu d’avoir réussi l’incroyable. Acmé de la crise agricole, Matignon et l’Elysée décident de façon concertée de "lâcher" pour reprendre le terme assumé par l’exécutif sur un ensemble de mesures afin de calmer la fronde. Et Emmanuel Macron de commenter en privé la façon dont son Premier ministre a manœuvré : "Moi quand je vais à Whirlpool, je ne cède pas sur tout…" Toujours encourager. Leçon magistrale.

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